Père, je suis la sœur de Joseph (1)
J’ai fait une longue route
À travers le temps, père
J’ai été oubliée dans la Maison
Et la Maison n’est plus.
J’ai résisté: pour tout viatique, ton souvenir et les propos
De mon frère
Celui que j’aime contre leur gré.
Notre terre a été assiégée, massacrée, cassées nos maisons, nos rues, nos enfants, notre histoire
Ô mon frère tu as connu le loup
J’ai subi leurs ancêtres, les Banu Hilal lâchés comme des sauterelles, ils détruisaient tout sur leur passage » (2)
Ils sont méchants, méchants….
Ils ne nous aiment pas; ils ont voulu nous réduire, nous piétiner, nous écraser.
Pourquoi nous ? Qui sommes-nous ?Ils ne savent pas qui nous sommes…
Forts de notre ‘assabiya (3) nous leur avons tenu tête pendant cinquante lunes
Ils ont enrôlé avec eux leurs enfants pour faire nombre.
Ils sont insatiables butés, épris de pouvoir et de brillance
Ô vous les miens
Ô toi ma terre d’est et d’ouest, le jujubier, l’ambre gris, le musc , le benjoin, le bois d’Agar, l’oranger, le citronnier
Vous m’avez maintes fois ressuscitée, maintes fois poussière, maintes fois mémoire.
Ils ne nous veulent pas dans la langue arabe : pourtant Père tu m’as dotée
D’un front large tel une tablette d’argile pour y graver l’alphabet de notre
Butin (4)
Ils veulent être les gardiens du temple
Ils sont pathétiques, hystériques
Père, frère, je vous ai cherchés dans la chevelure de la terre, dans ses
entrailles et dans ses plis, dans chaque recoin, dans chaque puits, dans chaque vallée
Dans chaque blessure, dans chaque viscère.
Dans les cimetières et les rivières.
J’ai interpellé sages et maîtres, pèlerins et mendiants aux joues creuses
J’ai égrené du fond de ma longue retraite le collier de nos prières communes
Inlassablement…
Partout j’ai écrit :
Nous sommes là
Nous sommes là
Et l’écho de répondre :
Vous êtes là
Vous êtes là…là…là…là.
Extrait de Commencements
(1) en écho au poème de Mahmoud Darwich « Père, je suis Joseph »
(2) cité par Ibn Khaldoun
(3) concept khaldounien signifiant esprit de clan
(4) en référence à Kateb Yacine qui parle de « butin » en évoquant la langue française.
***
Jasmin matin
Au rendez-vous le soir
Des jeunes gens enivrés
Sous sa voûte étoilée
Refont un monde renouvelé
Cueillent les messages d'anges cachés
Le savent-ils ?
Jasmin du soir
Sans rien demander
Franchit le mur voisin
Jour après jour, à la nuit
Fragrances d'arabesques
Clochettes lutines
Parfument maisons et ruelles
De la terre fertile.
Jasmin matin
Transformé de songes
De Chuchotements
De vent, de rosée
Etirant rameaux, tiges, fleurs
Envoie les odeurs enfantines
Des croyances perdues
Tant que cela ?
Jasmin demain
A qui le hume
Donne des ailes
De l'air de l’eau
Jasmin sans début ni fin
Ni capture, ni oubli
Enroulé au-dessus de la porte
Eclaire le passage, éclaire la visite
Confiant, permanent, parfois assoupi
N'a besoin de rien ou si peu
Du vert, du blanc et puis du bleu
Aussi large que bras
Parfait bouquet.
déc 2013
Poèmes en arabe et français de © Djalila Dechache - DR