Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - CÉDRIC BONFILS

Publié par LE CAPITAL DES MOTS sur 16 Juillet 2016, 17:08pm

Catégories : #poèmes

 Vers le grand ouvert

 

 

 

 

Voyage vers le grand ouvert, le cœur battant dans les semelles.

 

 

 

 

Les paysages respirent.

 

 

 

 

La foulée efface les sentiers trop connus.

 

 

 

 

Le muscle de la durée se contracte et fait se tendre chaque instant.

 

 

 

 

Ça se fend où ça cognait. Le réel déraille de ses formes figées.

 

 

 

 

Des frémissements d'impossible rythment le flux du sang dans les veines.

 

 

 

 

La bouche inspire le sens des choses.

 

 

 

 

Les plantes suturent la plaie des jardins oubliés.

 

 

 

 

Des strophes de fin de pluie s'étoilent sur le sol. 

 

 

 

 

Ça chante où la vie s'étouffait.

Tes lèvres ont le goût de leur premier baiser.

 

 

 

 

La douceur du ciel ressemble à un front ridé d'anciens nuages, que parcourt le vent d'un sourire.

 

 

 

 

Les fleurs butinent le retour des abeilles.

 

 

 

 

Le travail se réinvente avec l'artisanat des songes.

 

 

 

 

Des forêts insoumises gonflent l'atmosphère.

 

 

 

 

Tu entends des promesses où rouillait le silence.

 

 

 

 

Des orphelins sauvages font l'école aux désabusés.

 

 

 

 

Les quartiers monotones se recomposent en alcôves heureuses, bordant des pistes de danse.

 

 

 

 

Les élans guerriers tombent comme les bois d'un vieux cerf.

 

 

 

 

Le désespoir fond dans le ventre réveillé d'un volcan populaire.

 

 

 

 

Le rêve randonne dans les décors compassés, creuse avec ses mains d'enfant les murs qui s'abandonnent.

La rébellion fait la ronde, elle invite dans les maisons vides les évadés de la misère.

 

 

 

 

Les arbres s'envolent d'où les oiseaux se reposent.

 

 

 

 

Le fil barbelé des frontières se courbe comme une rose pliée dans une lettre d'amour.

 

 

 

 

L'air est mouillé de la suée du vide après l'effort.

 

 

 

 

L'obscurité a soudain de la gueule, résonance lyrique d'un cri de loup épris

 

 

 

 

***

 

Poème envolé


 


 


 


 

L'herbe l'a su du sauvage instinct de pousser de nulle part.


 


 


 

Les vagues l'ont murmuré aux courants clairs de mers obscures.


 


 


 

Une bougie le dira dans la dernière louange des suicidés.


 


 


 

Des fous en rêvent dans le deuxième cœur qu'ils ont, collé à l'estomac.


 


 


 

Une poétesse l'a deviné, qui n'a jamais rien écrit.


 


 


 

Une fleur, qui est une essence à elle seule, en rayonne encore où personne ne l'a cueillie.


 


 


 

Les fantômes en rient avec les poussières des écorchés.


 


 


 

Dans le désert le sable en a goûté l'évidence.


 


 


 

Les miroirs du firmament le réfléchissent en des images transparentes.


 


 


 

Un livre déjà l'avait révélé à tout le monde dans une langue disparue dans le big-bang.


 


 


 

Il reste de l'amour impossible


 

(des loups muets le crient sur le sommet d'une montagne renversée qui rentre dans la terre)


 

les couleurs d'une aurore qui n'a pas de début


 

et ce poème envolé


 

De rares oiseaux reviennent

d'où ils ne sont jamais allés

et sans cesse ils y retournent

sans rien quitter

leurs plumes brûlées

par un soleil mort avant d'être né

leur bec agrippant des éclats d'étoiles dissoutes


 

Leur chant recompose l'univers dédoublé

Ruissellent ses romances et ses secrets

(comme le supposent les vagabonds qui s'effacent sur le blanc de la lune)

avec l'averse qui n'est jamais tombée


 

***
 

Dans quelle nuit dormir ? 

 


 

La guerre ailleurs résonne. Et sous la porte, le sang. Les massacres ne restent pas dans les couloirs vides.


 


 

Il faut refaire les murs avec des sourires d'enfants.


 


 

Un fou pleure pour l'ivrogne qui l'insulte. Il n'y a pas de mots pour étancher la soif.


 


Un fou cherche un arbre pour boire goutte à goutte les étoiles qui résistent aux lumières de la ville, tandis qu’un môme cherche un chant sans parole pour y graver la voix de sa mère.


Il faut changer les fenêtres - ouvrir sur l'océan.


 


On devrait toujours voler un poème plutôt qu'une bagnole – on irait plus loin.

 


 

Il faut semer dans le chaos la menthe du thé qui réchauffera ta langue.


 


Les prostituées plaignent leurs clients. Les désirs imaginaires meurent sur les trottoirs. Mais dans quelle nuit dormir ? 

 


 

Quelle abeille butinera les ruines ? 

 


 

Il faut percer les toits avec des ongles de géants. Sentir la secrète visite du vent.


 

Il faudrait des oiseaux sur ton lit pour que les draps prennent l'odeur du ciel. Fuir cette peur que la nuit tourne en rond.


 


Il faut éponger sur le sol les traces de pas des fantômes.


 

Le silence après minuit accueille les gémissements du solitaire enfermé. Il faut des armes pour les insoumis. Mais à qui les acheter ? Mieux vaudrait qu'elles soient offertes.


 


Il faudrait craquer les volets comme on froisse la page de garde d'un livre oublié. Demain changera quelque chose, l’oreiller absorbera les pleurs, il y aura dans l’air cette buée de sauvetage.


 


Un fou écrit un poème pour une fleur. Il pourrait pousser dans la serrure d’une porte blindée.


 


La nuit souvent devient blanche, comme les falaises où rouillent les canons, elle pèse lourd dans les corps, les morts ne s’oublient pas.


 


Les policiers font leur ronde sans apprendre une chanson d'amour.


 


Il faut brûler les meubles comme on enverrait une petite annonce dans le ciel pour offrir du vide à qui est plein de chagrin.


 


Un chien féroce déchire son ombre. Il mord dans tout ce qui l’attache.


 


Un fou s'est lancé du toit d'un immeuble, la lune semblait à portée de main.


 


Il faut des doigts de fées dans les caresses quotidiennes. Une brèche dans les murs pour réveiller les insouciants.


 


Il faut des fous dans les quartiers pour écrire des vers sur les écrans de télévision.


 


La nuit manque de bruit. Les cris d'amour ne sont pas des mensonges.


 


Je hurle que je t'aime même si ça ne change pas le monde.


Le décor cache des clochards, ils dorment dehors, même ceux qui ne les voient pas le savent. Trop de portes ferment des appartements où personne ne se repose jamais. Il faudrait un fou pour les ouvrir aux sans-abris. Mais le plus proche est occupé, il chante dans une salle de bain où il fait assez frais pour mourir.


 


 

Est-ce bien la nuit qu'il faut dormir ?

 

Il y a toujours des bombes. Aucun cri d'enfant ne les arrête.


 

Ceux qui dorment en paix se sont-ils blottis dans un mensonge ?

 


 

Il faudrait des toiles d'araignées pour tisser des drapeaux gris, des trêves dans les combats.

Il faudrait échanger nos lits pour nous sentir moins étrangers.


 


Personne ne résiste s’il refuse la nuit. Elle agresse le corps de qui ne dort pas.


 


Un fou se pend à un fil électrique pour parler de plus près aux mouettes (le chant du large lui manquait), tandis qu’un nourrisson pleure dans la langue d'avant les mots.


 


Il y a des hommes dans des parcs, ils errent, que cherchent-ils ? Il y a des boîtes inondées d’une foule bondissante. Il y a des dealers dans des rues de rendez-vous (ça commerce à toute heure). Il y a des ouvriers dans des usines. Il y a les services d'urgence des hôpitaux. Mais rien n'interrompt la nuit avant sa fin. Aucun enfant ne la fait fuir en chassant les monstres de ses draps.


 


Réveille-toi un moment. Tu crois que tu le pourras ? La nuit tournera peut-être à autre chose. Il faudrait préparer la prochaine, comme on fait son paquetage pour une fugue.


 


Il faudrait signer des accords de paix. Il faudrait que les fous soient laissés tranquilles. Il faudrait briser les tables où l'on déjeune seul le matin. Et en dresser d'autres dans la rue.

 

 

 

CÉDRIC BONFILS 

 

Il se présente :

Né en 1979, formé  au sein du département d’écriture de l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre à Lyon, Cédric Bonfils anime des ateliers d’écriture et écrit des nouvelles, de la poésie et des textes de théâtre. “Trop compliqué pour toi” et "Votre regard" sont publiés aux éditions Espace 34. Plusieurs textes brefs ont été publiés par des revues web ou papier (La cause littéraire, Le capital des mots, Dissonances, L'hôte) Il tient le blog “Le divers et l’absolu”*, travail d'écriture fragmentaire entre prose et poésie. (http://diversabsolu.blogspot.fr)

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