Outback, disent-ils. Agnès Clancier. Editions Henry
Agnès Clancier, qui signe un recueil intitulé « Outback, disent-ils », a longtemps vécu en Australie où elle a commencé à écrire les poèmes qui le composent. L’outback désigne l’arrière pays australien, dont les aborigènes étaient les habitants originels.
« Outback, disent-ils », n’est pas une simple succession de poèmes mais un véritable récit en vers composé en hommage aux aborigènes, à leurs croyances (le serpent arc-en-ciel) et à leurs traditions (le temps du rêve). L’auteur a divisé son œuvre en trois parties intitulées respectivement Territoires, Fractures et Cohabiter la terre.
Territoires raconte la vie tranquille des aborigènes en harmonie avec la nature la faune et la flore, Fractures l’invasion de barbares assassins qui veulent s’approprier les terres et massacrer leurs occupants, et Cohabiter la terre la coexistence des aborigènes avec les nouveaux habitants de l’Australie.
Agnès Clancier possède une écriture poétique qui est à la fois simple, limpide et sophistiquée. Elle excelle dans l’art de marier les sonorités, aussi bien à l’intérieur d’un vers et d’un vers à l’autre. Sa poésie est à la fois descriptive et suggestive. Elle sait parfaitement jouer de la musique des mots et de la douceur des voyelles comme en témoignent quelques assonances douces aux oreilles de ses lectrices, comme devrait l’être toute poésie digne de ce nom.
Comme la Bible, tout commence par la genèse.
« Aux commencements immobiles
gisait
une vaste étendue de terre plate,
muette et nue,
une surface lisse
qui ne respirait pas. »
Puis vinrent les hommes qui peuplèrent le continent. Les aborigène sont paisibles, ils ne connaissent pas l’écriture mais leurs traditions se perpétuent à travers les siècles grâce au savoir des anciens.
« Etre de ce pays
est secret et sacré.
Depuis soixante mille années
cette terre nous possède. »
Mais, s’ils ne sont pas instruits, les aborigènes ne sont pas ignorants pour autant :
« L’enfant apprend les oiseaux,
connaît tous les chants,
de tous les oiseaux,
Sait l’arrivée des saisons,
Déchiffre le ciel.
(…)
Il apprend les animaux,
tous les êtres de la création,
leurs migrations et leurs errances,
quand ils boivent,
comment ils mangent et qui,
comment les traquer. »
De Territoires se dégage une atmosphère de calme, comme un océan immobile. Les vers libres d’Agnès Clancier possèdent leur propre musique, leur propre rythme et disent tout les sentiments que lui inspirent les premiers occupants de l’Australie.
« Dans les senteurs ocreuses d’après la pluie
et le vent noir des rêves ensevelis,
dans la lumière trahie, loin des siens
pleure l’enfant orphelin. »
Là, comme dans l’invitation au voyage, tout est luxe, calme et volupté :
« Vacillantes silhouettes de brume
Qu’exsangue le soleil ardent,
aux caresses d’argile humide sur la peau,
s’armurent d’ocre et de douceur. »
C’est le paradis sur terre. Mais, soudain, coup de tonnerre, surgissent les diables blancs qui détruisent la belle harmonie du paysage.
« Aux confins de l’océan
tout à coup,
dans l’ombre mangeuse du monde,
le tonnerre.
Est apparu
le premier vaisseau. »
Les envahisseurs considèrent que cette terre n’est à personne, ils ont des hommes d’armes munis d’arcs aux flèches empoisonnées et des esclaves. Ils se croient civilisés mais ne sont que des « âmes arides, déracinées, orphelines de leurs pères ». Ames qui n’ont plus d’ancêtres pour « déchiffrer les énigmes, glisser à leur oreille la vérité du monde et insuffler en elles les sources de la vie ». Ce ne sont que des « prédateurs, voleurs du monde ».
Ils se croient supérieurs mais, au fond :
« Ils ignorent la nature
qui ne les connaît pas
la faim les renverra tous
au pays des Morts. »
Ils ont de belles vestes rouges et font travailler leurs esclaves qu’ils ruent de coups mais n’ont pas le temps de danser. Pourtant :
« Ils ne sont que des humains
dans ce monde qu’ils ne comprennent pas.
Pourquoi détruisent-ils autant d’arbres ?
« Ils tuent les paysages
mais sont impuissants
dès qu’il s’agit de l’air et de l’eau.
Ils n’ont pas de pouvoir sur la pluie. »
Mais vous, les prédateurs, les criminels :
« Étrangers au langage de cette terre
qu’un enfant sait mieux que vous ».
Vous n’êtes que les « geôliers de vous -mêmes ».
Que tout cela est bien écrit ! Que Mme Clancier a du talent !
Ces ignorants abattent les arbres et « changent les paysages » mais, au fond, ils en savent moins que les aborigènes. Peu à peu, effrayés par les terribles orages qui s’abattent sur eux puis par le froid glacial venu du Sud et décimés par les maladies qu’ils sont impuissants à guérir :
« Ils sont en train de mourir
ignorants des herbes et des remèdes,
des rites et des savoirs. »
Et la deuxième partie se clôt magnifiquement :
« Leurs âmes les unes après les autres
se détachent
de leurs corps.
Les survivants sacrilèges
creusent la terre épuisée,
sous le couvert des grands arbres aveugles. »
Dans la troisième partie Cohabiter la terre d’autres hommes viennent. Ceux-là ont des mœurs moins barbares mais ce sont des bâtisseurs qui occupent la terre des aborigènes, exploitent des mines et défigurent les paysages.
Un quatrain, aussi magnifique que saisissant, résume mieux le destin des aborigènes que de fastidieuses descriptions :
« Rien ne nous est laissé
que l’écho des plaintes et des cris,
l’odeur des meurtres
et l’amertume de l’oubli. »
Les nouveaux occupants se méprennent sur le sens des mots et ignorent les vraies richesses. Là encore, Agnès Clancier sait allier la beauté de l’expression poétique à l’efficacité de la langue de l’écrivain :
« Les avides de terre et d’or
ont voulu nous effacer,
éteindre notre race,
abolir nos langues et notre histoire. »
(...)
Mais ce qu’ils nomment richesses
est moins fécond que la boue des rivières
où fermente l’innocence de la création. »
Les aborigènes, eux, connaissent la véritable richesse :
« Pourquoi nommer richesses ce qui est délétère,
ce qui ne peut donner de l’air pur et de l’eau,
ce qui abolit le monde ? »
La fin est un mélange lyrique de pessimisme et d’optimisme :
« La terre ne mourra pas de vos crimes,
L’arbre sacré perce le bitume,
la terre ne mourra pas,
mais elle vivra sans nous, nomades millénaires,
mais elle vivra sans vous, lutins d’écume et de cendres,
buveurs de votre propre sang,
qui détruisez ce qu’on ne peut créer,
nommez progrès ce qui nuit aux humains.
(…)
Apprenons à nous connaître et choisissons notre vie,
Et sachons cohabiter la terre
Et rester debout. »
« Buveurs de votre propre sang » : quelle trouvaille suggestive ! Est-ce ainsi que les hommes meurent ?
Sachons cohabiter et, aussi, sachons lire tous ces vers magnifiques et au lieu de boire notre propre sang abreuvons-nous à la source poétique d’Agnès Clancier !
FABRICE DEL DINGO
Il se présente : ( Notice 18 Mai 2016 )
A publié, plusieurs livres dont des pastiches sous le titre global de « Rentrée littéraire ». Y figuraient notamment Premier roman de Margarine Peugeot, la fille cadette de Dieu, et les testicules alimentaires de Michel Ouelleburne (éditions J-C Lattès).
Prix concours en 2010 pour « La tarte et le suppositoire » signé Michel Ouellebeurre (éditions de Fallois 2011).
A publié « Mein lieber Sarko » d’Angela M (éditions de Fallois 2012).
Un humour impossible de Christine Anglot (éditions ONLIT 2016).
A concocté de nombreux pastiches en prose ou en vers : http://dominikdevillepai.e-monsite.com/
Fabrice Amchin est également l’auteur du roman Barcarolle (éditions de Fallois 2014).
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AGNÈS CLANCIER
Plus d'infos :
http://www.agnes-clancier.com/