ROULETTE RUSSE
je ne pourrai jamais oublier
ce jour d'été de mon enfance
où j'ai traversé en courant
et sans regarder
la route nationale 6
et le hurlement des freins
de la voiture
dans mes jeunes années
j'aurais pu mourir
plusieurs fois
par imprudence
mais la mort
n'a pas voulu de moi
je ne lui en veux pas
je n'ai ni dépit ni amertume
d'avoir été snobé
ignoré méprisé
le manque d'attirance
était réciproque
*
TOKYO
je me souviens de ce mendiant
sur le trottoir d'une rue à Tokyo
près de mon hôtel
il restait perpétuellement assis
sur une chaise
et sous un grand parapluie noir
ouvert et fixé
au dossier de la chaise
la nuit
ou les jours de pluie
il refermait soigneusement
l'espace autour de lui
avec une feuille de plastique
pour se constituer un étroit
habitacle en forme de tube
transparent
il ne bougeait presque pas
tenait peu de place
affichait un sourire permanent
et ne faisait pas même le geste
de mendier
j'avais lu que le quotidien
MAINICHI SHIMBUN
organisait un concours annuel
de haïkus
et qu'un mendiant
avait obtenu cette année-là
le prix du meilleur poème
je me suis demandé
si l'homme près de mon hôtel
était ce fameux lauréat
ou s'il était déjà parvenu
à cet état supérieur
de la sérénité
qui n'a plus besoin
des mots
*
MARQUISE
sur cette place austère en forme
de triangle
dont un côté donne
sur le cours Gambetta
je crois reconnaître
l'auvent
la très longue marquise
de fer forgé
et de verre
courant sur la façade
d'un immeuble
abritant au rez-de-chaussée
une supérette
c'était autrefois le siège
d'une compagnie d'autocars
où je t'accompagnais
le samedi matin
quand tu allais rejoindre ta famille
pour le week-end
dans le Bugey
rien n'indique plus
qu'il y eut une fois sur cette place
un guichet délivrant des titres
de transport
une salle d'attente
un car stationné
devant l'entrée
affichant sa destination
BELLEY
ni un jeune homme
inconscient
des lendemains te regardant
partir
et toi me faisant des signes
à travers
la vitre
*
GIMME SHELTER
cherchant sur Youtube
la meilleure version
scénique
de Gimme shelter
et retenant celle du concert
au Trans World Dome
à Saint-Louis Missouri
le 12 /12/1997
merveilleuse prestation
où Lisa Fisher
se surpasse
dans son duo avec Jagger
je pense à la longévité
exceptionnelle
des Rolling Stones
qui m'ont accompagné
de l'adolescence
à la vieillesse
leurs 50 ans de carrière
coïncidant avec mes 50 ans
de non-carrière
le monde a changé de fond
en comble
mais les Stones continuent
de chanter Satisfaction
depuis 1965
comme les sujets anglais
sous le long règne d'Elsabeth II
j'ai vécu sous les étoiles
fixes
de Mick Jagger
et Keith Richards
rassurantes
lumières
dans l'impermanence
du monde
*
MÉPRISE
un jour je crus
la voir
de dos
dans les couloirs
de la fac
la même silhouette
la même taille
les mêmes longueur
et couleur
de cheveux
et jusqu'à ce ciré
noir
je courus après elle
en criant
son prénom
elle poursuivit son chemin
en accélérant
le pas
quand je la rattrapai
elle se retourna
et je vis la peur
sur son visage
ce n'était que son double
imparfait
un fantôme
effrayé
mais pas le bon fantôme
je balbutiai
quelques excuses
tandis que mon cœur
retombait
sur le sol
de sa cage
BRICE NOVAL
Il se présente :
Urbain repenti, Brice Noval vit en ermite dans un village bourguignon et écrit un journal en vers irréguliers.
Publications dans les revues Lichen, Infusion, La Grappe et Realpoetik.
Le blog :