Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - CÉLINE ESCOUTELOUP

Publié par Le Capital des Mots sur 8 Juillet 2017, 17:00pm

Catégories : #poèmes, #photos

Extraits de Debout dans tes yeux - Editions Unicité, 2017.
 
*

J'ai besoin d'eau

Les cœurs aussi secs que des pommes de pin

Les visages de verre, si fragiles qu’ils explosent
Les larmes rondes et durcies du poème

Les cordes de violoncelle dans la gorge, râpeuses
Les pièces intérieures, rugueuses, qu’on ne visite jamais
Les tatamis, rêches, sous les pieds

J’ai besoin d’eau.
Nous avons tous besoin d'eau.
Arrose-moi.
Arrose-nous, à la racine.

J'ai les longs claviers brûlés jusqu'aux pointes
Tu dis qu'ils sentent bon, avec leur odeur de soleil
Je trouve qu'ils sonnent faux
L'amour a défait devant moi ses vieux cheveux
Et j'ai eu peur.

Nuage, et nuage, et puis ciel
Inspirer, inspirer et puis mourir

Nue sous la lumière éparpillée des pleurs
Je te dis : dormons en étoile
En une étoile étroite et repliée
Lovons-nous, encore une fois, dans notre nid de cendres.

*

La mer s'éloigne

 

La mer s'éloigne progressivement de nos chambres à coucher

Ou bien ce sont nos maisons qui se sont retirées de l'océan depuis longtemps ?

 

La poésie consiste en un étirement de la lumière.

Il y a ceux qui passent leur temps à naître et ceux qui espèrent ne pas mourir.

 

Le soleil entend la nuit venir.

Et l'aube, somnolente, encore toute allongée contre le drap noir...

 

Violente tempête et pluie de mots sans lettres, ô plénitude !

J'ai peur qu'une ligne folle rattrape tous les mots écrits, les rature

Mais je tiens mon visage ouvert

Derrière les tentures tirées les volets rabattus

 

Pour attraper ces nuits qui teintent les suivantes

 

*

 

Jeux

 

On pourrait jouer à reconnaître les parfums 

 

On pourrait jouer à se lancer des éventails

 

Des myriades de flacons de saké

 

Des foules de paravents colorés pour se cacher

 

J'écrirais à la lueur de la lune, sans rien y voir

 

Les lettres se superposeraient. Se brouilleraient. S'annuleraient.

 

On oublierait

 

L'éphémère écume, l'inconsistante rosée

 

J'imprègnerais toutes mes robes d'encens

 

Je mettrais des feuilles d'érable, des fleurs de cerisier

 

Nues dans mon petit bain blanc d'Occident

 

Il y aurait sur le bord, pour toi, un gros cigare et un verre de whisky sur glace

 

Je passerais ma vie entière sur l'eau allongée sur les bateaux

 

Comme une grande dame du Japon

 

 

La tête à l'envers, faisant du ciel le lac, du lac le ciel

 

*

La mer entière dans la baignoire

 

J'ai voulu mettre la mer entière dans la baignoire.

Mais l'été, il y a trop de lumière.

Alors je n'y voyais plus. Ça a débordé.

 

Tu ne me voyais plus ! Je ne te voyais plus ! On ne se voyait plus !

L'hiver, je pouvais m'abriter dans ta grande ombre et me cacher dedans

Mais l'été...

Je l'ai mise, toute la mer, entre les carreaux de la baignoire. 

Et nous avons débordé.

 

Maintenant, tous ces baisers, à côté de mes lèvres

Juste, à côté

Mes yeux brouillés regardent le mur.

Ils pensent au silence souriant des tiens, oh ce silence

Comme je n'en ai trouvé que dans les grands lacs

 

Sur mon épaule droite, ma bretelle tremble

Le ciel a un haut-le-corps

Je le vois se contracter, puis s'humidifier

Je sens tout l'air passer entre mes jambes écartées

 

Désormais, j'occupe mon temps à effleurer du bout du doigt l'univers en braille 

Pour essayer encore, malgré tout, 

D'en rapporter pour toi les contes du silence.

 

 

***

 

Extraits des Impromptus de bord de piscine, Editions La Lucarne des Ecrivains, 2017.

 

*

 

En bikini les cuisses à l’air 

Gouttes d’eau sur la peau
Du bout des doigts je soulève

Ma chaise longue en plastique 

La déposer un peu plus loin 

Et suivre le soleil

Pour lui, je ferais le tour de l’horloge 

De la piscine
C’est-à-dire, enfin, du monde entier

Une heure après, presque brûlée 

Il me faut inverser
Le sens de mes tours
La rotation de tous mes sens

Mon corps qui tient
Mon corps qui ne tient pas

J’observe de près, étourdie
Sous son parasol rouge, alanguie : 

Ma Fragilité 

*

 

Écarter le bas de son maillot de bain 

Pour laisser passer l’eau, un peu 

Qu’elle saisisse de froideur

Tout en restant couverte 

Un peu

Je veux écrire des secrets
À propos des secrets
Sur des secrets à propos des secrets 

Pour que dans les marges
Vous puissiez écrire
Vos étoiles à vous
Vos oeuvres sanguines

Allonger les couleurs, les oiseaux
Les ailes des cigales, celles des lauriers en fleurs 

Les larmes et les sourires
Entre les feuilles
De la naissance et de la mort

Il faudrait aussi qu’entre les lignes, parfois 

On puisse fermer les yeux

*

J’ai mis mon amour à sécher sur un fil

Être en déshabillé
Quand on y pense
C’est quand même quelque chose 

*

 

Je planterais tout autour des parterres de fleurs, des arbres luxures
Je te ferais gober grenade après grenade
Rouge après rouge

J’installerais des fontaines et leurs multiples bouches 

Puis j’en deviendrais une

Je rêve de fleurs en plein désert
De tulipes moirées
Quels ornements pour découper ton ciel ?

Je rêve de cyprès, d’agrumes, de vignes et de palmiers 

J’ai le culte de la beauté cachée

Moi, je camperais la rose.

*

Cette nuit, il y a eu un petit fantôme 

Et j’ai eu peur
Une porte a violemment claqué 

Dans le couloir tout près

M’a réveillée, sursauté

J’ai marché pieds nus
Pour aller voir
Sur les carreaux des nuits
Les mille-pattes, les araignées

J’ai pensé le plus fort possible à
Colette
« Cette saison à fenêtres ouvertes
Et chandelles allumées, moustiquaires étirées »

Laissé
Les chandelles allumées 

Les moustiquaires étirées

Pas les fenêtres ouvertes 

J’ai eu si peur

De l’enfant que j’étais

 

CÉLINE ESCOUTELOUP

 

Elle se présente :

 

Céline Escouteloup a publié à ce jour trois recueils de poésie : Le soleil dans la bouche (Unicité ; 2016), Debout dans tes yeux (Unicité ; avril 2017), Les Impromptus de bord de piscine (La Lucarne des écrivains ; juin 2017 - recueil illustré de photographies). Elle publie aussi régulièrement en revues : Verso, Les Cahiers du Sens, Décharge, Nouveaux Délits, Ce qui reste, Contre Jour, Poésie/Première, Les Écrits du Nord, Recours au Poème, Terre à Ciel...Mélomane, passionnée d'arts visuels et de photographie, pratiquant aussi la danse orientale, ses projets actuels se dirigent vers d'autres formes d'écrits et collaborations artistiques, au gré des rencontres et voyages. Anciennement journaliste et chargée des communications en arts et culture, elle se destine désormais à l'enseignement des lettres.

 
Céline Escouteloup - Photo de © Jean-Luc Favre. Extrait de" Impromptus de bord de piscine", Céline Escouteloup, Editions La Lucarne des Ecrivains, 2017. - DR

Céline Escouteloup - Photo de © Jean-Luc Favre. Extrait de" Impromptus de bord de piscine", Céline Escouteloup, Editions La Lucarne des Ecrivains, 2017. - DR

Céline Escouteloup - Photo de © Jean-Luc Favre. Extrait de" Impromptus de bord de piscine", Céline Escouteloup, Editions La Lucarne des Ecrivains, 2017. - DR

Céline Escouteloup - Photo de © Jean-Luc Favre. Extrait de" Impromptus de bord de piscine", Céline Escouteloup, Editions La Lucarne des Ecrivains, 2017. - DR

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P
Très belle découverte<br /> Exotique et dynamique ;)<br /> Bravo
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C
Ravie et merci beaucoup.

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