J'ai besoin d'eau
Les cœurs aussi secs que des pommes de pin
Les visages de verre, si fragiles qu’ils explosent
Les larmes rondes et durcies du poème
Les cordes de violoncelle dans la gorge, râpeuses
Les pièces intérieures, rugueuses, qu’on ne visite jamais
Les tatamis, rêches, sous les pieds
J’ai besoin d’eau.
Nous avons tous besoin d'eau.
Arrose-moi.
Arrose-nous, à la racine.
J'ai les longs claviers brûlés jusqu'aux pointes
Tu dis qu'ils sentent bon, avec leur odeur de soleil
Je trouve qu'ils sonnent faux
L'amour a défait devant moi ses vieux cheveux
Et j'ai eu peur.
Nuage, et nuage, et puis ciel
Inspirer, inspirer et puis mourir
Nue sous la lumière éparpillée des pleurs
Je te dis : dormons en étoile
En une étoile étroite et repliée
Lovons-nous, encore une fois, dans notre nid de cendres.
*
La mer s'éloigne
La mer s'éloigne progressivement de nos chambres à coucher
Ou bien ce sont nos maisons qui se sont retirées de l'océan depuis longtemps ?
La poésie consiste en un étirement de la lumière.
Il y a ceux qui passent leur temps à naître et ceux qui espèrent ne pas mourir.
Le soleil entend la nuit venir.
Et l'aube, somnolente, encore toute allongée contre le drap noir...
Violente tempête et pluie de mots sans lettres, ô plénitude !
J'ai peur qu'une ligne folle rattrape tous les mots écrits, les rature
Mais je tiens mon visage ouvert
Derrière les tentures tirées les volets rabattus
Pour attraper ces nuits qui teintent les suivantes
*
Jeux
On pourrait jouer à reconnaître les parfums
On pourrait jouer à se lancer des éventails
Des myriades de flacons de saké
Des foules de paravents colorés pour se cacher
J'écrirais à la lueur de la lune, sans rien y voir
Les lettres se superposeraient. Se brouilleraient. S'annuleraient.
On oublierait
L'éphémère écume, l'inconsistante rosée
J'imprègnerais toutes mes robes d'encens
Je mettrais des feuilles d'érable, des fleurs de cerisier
Nues dans mon petit bain blanc d'Occident
Il y aurait sur le bord, pour toi, un gros cigare et un verre de whisky sur glace
Je passerais ma vie entière sur l'eau allongée sur les bateaux
Comme une grande dame du Japon
La tête à l'envers, faisant du ciel le lac, du lac le ciel
*
La mer entière dans la baignoire
J'ai voulu mettre la mer entière dans la baignoire.
Mais l'été, il y a trop de lumière.
Alors je n'y voyais plus. Ça a débordé.
Tu ne me voyais plus ! Je ne te voyais plus ! On ne se voyait plus !
L'hiver, je pouvais m'abriter dans ta grande ombre et me cacher dedans
Mais l'été...
Je l'ai mise, toute la mer, entre les carreaux de la baignoire.
Et nous avons débordé.
Maintenant, tous ces baisers, à côté de mes lèvres
Juste, à côté
Mes yeux brouillés regardent le mur.
Ils pensent au silence souriant des tiens, oh ce silence
Comme je n'en ai trouvé que dans les grands lacs
Sur mon épaule droite, ma bretelle tremble
Le ciel a un haut-le-corps
Je le vois se contracter, puis s'humidifier
Je sens tout l'air passer entre mes jambes écartées
Désormais, j'occupe mon temps à effleurer du bout du doigt l'univers en braille
Pour essayer encore, malgré tout,
D'en rapporter pour toi les contes du silence.
***
Extraits des Impromptus de bord de piscine, Editions La Lucarne des Ecrivains, 2017.
*
En bikini les cuisses à l’air
Gouttes d’eau sur la peau
Du bout des doigts je soulève
Ma chaise longue en plastique
La déposer un peu plus loin
Et suivre le soleil
Pour lui, je ferais le tour de l’horloge
De la piscine
C’est-à-dire, enfin, du monde entier
Une heure après, presque brûlée
Il me faut inverser
Le sens de mes tours
La rotation de tous mes sens
Mon corps qui tient
Mon corps qui ne tient pas
J’observe de près, étourdie
Sous son parasol rouge, alanguie :
Ma Fragilité
*
Écarter le bas de son maillot de bain
Pour laisser passer l’eau, un peu
Qu’elle saisisse de froideur
Tout en restant couverte
Un peu
*
Je veux écrire des secrets
À propos des secrets
Sur des secrets à propos des secrets
Pour que dans les marges
Vous puissiez écrire
Vos étoiles à vous
Vos oeuvres sanguines
Allonger les couleurs, les oiseaux
Les ailes des cigales, celles des lauriers en fleurs
Les larmes et les sourires
Entre les feuilles
De la naissance et de la mort
Il faudrait aussi qu’entre les lignes, parfois
On puisse fermer les yeux
*
J’ai mis mon amour à sécher sur un fil
Être en déshabillé
Quand on y pense
C’est quand même quelque chose
*
Je planterais tout autour des parterres de fleurs, des arbres luxures
Je te ferais gober grenade après grenade
Rouge après rouge
J’installerais des fontaines et leurs multiples bouches
Puis j’en deviendrais une
Je rêve de fleurs en plein désert
De tulipes moirées
Quels ornements pour découper ton ciel ?
Je rêve de cyprès, d’agrumes, de vignes et de palmiers
J’ai le culte de la beauté cachée
Moi, je camperais la rose.
*
Cette nuit, il y a eu un petit fantôme
Et j’ai eu peur
Une porte a violemment claqué
Dans le couloir tout près
M’a réveillée, sursauté
J’ai marché pieds nus
Pour aller voir
Sur les carreaux des nuits
Les mille-pattes, les araignées
J’ai pensé le plus fort possible à
Colette
« Cette saison à fenêtres ouvertes
Et chandelles allumées, moustiquaires étirées »
Laissé
Les chandelles allumées
Les moustiquaires étirées
Pas les fenêtres ouvertes
J’ai eu si peur
De l’enfant que j’étais
*
CÉLINE ESCOUTELOUP
Elle se présente :
Céline Escouteloup a publié à ce jour trois recueils de poésie : Le soleil dans la bouche (Unicité ; 2016), Debout dans tes yeux (Unicité ; avril 2017), Les Impromptus de bord de piscine (La Lucarne des écrivains ; juin 2017 - recueil illustré de photographies). Elle publie aussi régulièrement en revues : Verso, Les Cahiers du Sens, Décharge, Nouveaux Délits, Ce qui reste, Contre Jour, Poésie/Première, Les Écrits du Nord, Recours au Poème, Terre à Ciel...Mélomane, passionnée d'arts visuels et de photographie, pratiquant aussi la danse orientale, ses projets actuels se dirigent vers d'autres formes d'écrits et collaborations artistiques, au gré des rencontres et voyages. Anciennement journaliste et chargée des communications en arts et culture, elle se destine désormais à l'enseignement des lettres.
Céline Escouteloup - Photo de © Jean-Luc Favre. Extrait de" Impromptus de bord de piscine", Céline Escouteloup, Editions La Lucarne des Ecrivains, 2017. - DR