Lithographies
I
Il entrevoit les nuances de la pierre.
Zones plus ou moins poreuses, trous faits par la pluie, lignes blanches qui la traversent et annoncent sa brisure.
Il comprend les lacunes de son ancien regard.
Ce que ses coups d’œil n’avaient pas décelé.
Cette broderie cousue par les doigts du Temps. La matière devant laquelle il ne s’était jusqu’à ce jour pas attardé.
La sensation se répète en lui.
Quelque chose lui avait échappé. La conviction d’une occultation.
Comment, ce rituel d’aveugle ?
La vue désormais décantée. Rincée.
Il regarde la falaise.
II
D’un galet ramassé sur la plage il a fait son amulette.
Chaque matin, au réveil et chaque soir, avant de s’endormir, il le touche.
Ce n’est pas caresser sa lisse rotondité ni un souvenir de rivage.
Mais repousser un peu de ses peurs.
Quand la superstition a soif de palper.
III
Une jarre couchée au fond de la mer.
Le sable l’a recouverte.
Elle qu’autrefois, l’échanson remplissait de vin, la voici dans l’eau.
A-t-elle, le long de ses parois ou sur son col, gardé un peu de son arôme ?
Le sel, désormais, lui fait une seconde peau.
Ses anses sont deux trous par lesquels la soif de fête fut furieusement saisie.
Tant d’hommes l’empoignaient pour aller à davantage d’ivresse.
Quant aux poissons, ils ne s’approchent pas. Comme si ce relief de roche joufflue proposait un piège.
IV
Il entre dans la chapelle à midi.
L’heure est propice à attendre que Dieu s’assoie à côté de lui, avec son visage de silence, sa mémoire de tous les hommes, des blessures qu’ils n’ont pas surmontées.
Une statue l’accompagne, le guide.
Elle offre à sa soif de ciel une chance qui se niche dans l’ombre. Elle est cette main qui l’aide à franchir le seuil de son regard.
Et voici qu’elle le pénètre, cette présence qu’on ne voit pas, son cœur la hume, s’en emplit, ce n’est pas la réponse d’un visage mais un souffle qui se souvient d’aimer.
Cette vague de sacrifice et de lumière lui ferme les yeux.
V
Cette histoire qui vient d’avant les hommes, il s’efforce de l’imaginer.
Aucun regard ne s’attardait sur la roche, aucune main ne s’y posait. Il y avait là le ciel et l’air strictement.
Le temps œuvrait, néanmoins : les herbes croissaient autour, la mousse y poussait. La pluie, peu à peu, y faisait des trous. Quelque chose s’écrivait.
Après, trouvant lieu propice pour la sieste, des animaux y montèrent. Ce fut aussi de là qu’ils repérèrent leurs proies.
Il entrevoit ce passé avec plus ou moins de précision, selon que la végétation s’étend et que les animaux en sont.
Plus il recule, plus le paysage se simplifie.
Il se trouble d’entrevoir une épure dont personne n’a pu témoigner.
D’ailleurs, cette nudité lui échappe, se cantonne à un tableau furtif et froid de mégalithes noirs, à flanc de colline, qui se dressent sans défi pendant que le soleil diminue.
Il se demande si c’est sa défaite ou celle de tous les poètes.
GABRIEL ZIMMERMANN
Il se présente :
Né en 1979, Gabriel Zimmermann vit à Paris. Ses poèmes sont publiés dans plusieurs revues (Europe, Les hommes sans épaules, Inuits dans la jungle, Le capital des mots, Recours au poème, Traversées, Décharge, Traction-brabant, Lichen, Neiges, Nouveaux Délits, Incertain regard, Poésie2001, Libelle). Son premier recueil, La soif et le sillon, est paru en juin aux éditions Tarabuste, dans la collection Anthologie. Il a aussi écrit un livre de nouvelles, Une dizaine de femmes, édité chez Édilivre. Enfin, il vous invite à arpenter son blog, « Ceci n’est pas un blog soporifique sur la littérature » et à y laisser vos commentaires et vos impressions, à votre guise…