Chagrin d’amour
Une femme pleure dans la nuit nouvelle.
Une femme pleure dans un bistrot parisien.
Elle tient dans sa main tremblante
une cigarette mentholée.
Les larmes coulent sur ses joues
comme sur le visage figé d’une poupée de cire.
Une femme pleure dans la nuit violette.
Devant elle, sur le comptoir obombré,
un ballon de rosé dont le vin doux virevolte.
Au dessus de ses boucles rousses comme le feu,
la flamme blonde tamisée de la lampe
éclaire son visage d’enfant.
Au dessus de sa tête, la lampe trace
des halos de lumière sur sa main blanche
aux ongles vernis, parfumés,
d’un rouge violent presque violacé.
La lampe vacillante éblouit un instant
son regard de soie bleue encore trouble,
ses yeux tristes au-dessus
de ses lèvres de velours embué,
au-dessus de son silence,
de ses mots tus, de ses pleurs cadenassés.
***
Elle arpente le bitume,
effarée de toute la solitude de la journée,
égarée dans la rue, juchée sur ses escarpins,
son œil violet, hagard d’avoir déjà trop bu.
Titubante comme une toupie de chair tremblante,
une toupie de soie frêle,
un pétale recourbé envolé à la face du levant,
elle avance lentement, très lentement
comme une fleur effritée qui s’éclipse
dans la nuit parfumée.
Nuit effeuillée comme la rose nue de son silence,
comme un phare affrété à ses pleurs fragiles,
comme un sémaphore clignotant sur la mer
qui pointe, ivre, son amère destinée,
sa douleur lancinante, sa joie égarée.
***
Je marche dans la moiteur,
la touffeur d’une journée sans retour.
Le soleil fond au-dessus
des arbres d’automne,
au-dessus de leur chevelure d’or cendré,
maculant leur dentelle de soie ciselée
qu’aurait tissée une invisible brodeuse,
à présent ensevelie.
Leurs feuilles mortes sont pareilles
à des mains de vieille femme racornie,
toutes recroquevillées
sur la solitude de leur paume gelée,
Feuilles jaunies, toutes effritées
comme la peau ridée
de leurs doigts d’ombre éculés.
Vieilles feuilles de soie séchée
comme des mains de brodeuses
usées à la corde,
des mains d’ouvrière usagées
qui ont tant travaillé
et qui choient maintenant sur le sol,
forment un tapis d’or
sous le ciel à jamais cendré.
ALIX LERMAN ENRIQUEZ
Elle se présente :
Alix Lerman Enriquez est née à Paris le 5 mai 1972. Depuis très longtemps, elle s’adonne à l’écriture poétique et, à ce titre, a déjà publié plusieurs recueils de poésie comme Météores (2005) aux éditions La Bartavelle, Les territoires de la nuit pourpre (2012), chez Do Bentzinger Editeur, A-Contre-jour (2013) chez Hervé Roth Editeur, Les fruits blets de ma solitude (2014) et Herbier d’errances (2016) aux éditions Flammes Vives. Dernièrement, elle a également publié Au-delà de la nuit (2016) aux éditions Les poètes français, ainsi que Tessons et miroirs aux éditions Vox Scriba (2017).
Membre de l’Union des poètes et Compagnie, elle est lauréate du prix de poésie Jean Rivet 2017 pour son recueil Lever l’ancre.
Alix Lerman Enriquez a également participé à plusieurs anthologies et recueils collectifs édités par la Société des poètes français et par l’association Flammes vives. Elle a par ailleurs collaboré aux revues Xero, Le Portulan bleu, Portique, La Revue alsacienne de littérature ainsi qu’à Poésie sur Seine. En outre, elle écrit des poèmes dans les revues poétiques en ligne : La Cause littéraire, Le Capital des mots, La toile de l’un, Infusion, Recours au Poème et Lichen
Enfin, elle est l’auteur de proses poétiques sur le site de l’éditeur Hervé Roth éditeur et nourrit son propre blog Perles de poésie à l’aide de petits billets d’humeur teintés d’humour et de rêverie.