Face à l'île des morts, je songe à Stravinsky
En sirotant mon spritz tandis que les nuages
Déchirent les dernières pages d'un grimoire
Gris-rose s'agglutinant là-bas vers l'horizon.
Le clapotis des lagunes parle à voix basse
Des vies aventureuses, mais nous qui nous taisons
Sur la terrasse, n'avons plus d'égard qu'aux frissons
De la lumière tombée ici de nulle part.
Je me demandais si le rythme imite la vague
Ainsi que le voudrait la fausse étymologie
Du mot, ou s'il ne viendrait pas plutôt d'un fond
Plus obscur, archaïque, éloigné des rivages,
Cet ailleurs éclairé de mélancolie et d'ombre...
***
Au sortir de la petite chapelle baroque
D'où fuyaient les derniers soupirs d'une aria
De Haendel perdue à jamais dans la mémoire
Et dont les harmonies étrangement modernes,
Les miniatures perlées aux traits gymnopédiques,
Se graveraient en moi autant que nous échappent
Les mots et les parfums, le contour perdu des choses,
J'ai compris que le monde n'était qu'un seul méandre
Continu et sinueux, qui des quelques marches
Où je me trouvais jusqu'aux confins de l'univers
Nous emporte avec lui, grand fleuve imperceptible
De ponts, de palais, de navires, de drapeaux
Et de mers doucement endormies au seuil du temps.
***
Nature de sable, étrangère, qui t'appartient ?
Des images du noir me reviennent.
Punta della Dogana (je revois une Anglaise
A la peau blanche, piquée de taches de rousseur
Qui lui donnaient un charme très dix-neuvième siècle)
Aucune photographie n'a su vous refléter,
Fortunes, marches de pierre, jambes de femmes
Sinon l'automne cérébral du souvenir
Entre Mozart et Vivaldi,
Miroir ou métaphore, ou profondeur encore,
Comme en écho de mes rythmes descellés,
Un visage se penche à la fenêtre, écoutant
Les bruits perdus dans la lumière du monde
MIGUEL COELHO
Miguel Coelho est né en 1973. Il vit actuellement à Paris, et enseigne la philosophie. Certains de ses poèmes ont été publiés par les revues Paysages écrits (numéro 17-18, juillet-août 2013), Les tas de mots (numéro 15, 2014), Le capital des mots (avril 2014, octobre 2017), Nouveaux délits (décembre 2014), Traversées (numéro 75, mars 2015), Recours au poème (mars 2016).
Miguel Coelho est également pianiste improvisateur.
Site : https://www.miguelcoelho-musiqueetpoesie.com/