Hommage à Joseph Delteil
Automne-Faune
Roussies d’écume : les berges où, dans le suint des glaises, l’eau filtre.
L’eau, terrain vague errant aux labours.
L’eau voile moite des sueurs de terre.
Dans la buée douce des haleines, une goutte meurt aux sillons des lèvres. L’eau tiède, ce cocon tissé à nos corps, vient comme une onde. C’est l’eau des courses effrénées et des mains attendues, la frêle vêture des corps ravis au monde.
Dans le ressac des pluies, verse le rire de l’eau. Dans le battement des pluies, l’automne, son indocile baiser ; une flamme mussée aux cimes, coulant à terre, un éclat nu.
Plaqué, mouillé, hosties données à nos bouches, le corps des feuilles. Et je sens leur brûlure, cette brûlure d’or des feuilles, comme ta main musant à mon sein. Tombent, nus, les baisers et l’automne à mon corps m’usant à pris place.
Aux nœuds des arbres une ruisselure fauve, l’échine rousse, bossuée, d’un corps mêlé. Automne-Faune, quand ta coiffe devient andouillers, tu es ce dix cors brûlant aux yeux d’or, larmiers luisants, telles des sources.
Et voilà qu’en un songe, à mon corps, ton corps renversé dans un rauquement réait. Et ma peau, chantant ses noces, résonnait sous ton cri et ma peau chantant ses noces hurlait sa vie.
Du plein ciel au ras des terres, la vie musarde et dans le battement d’une aile, dans la fuite d’un corps court l’appel au sang.
Aux épousailles du point du jour, l’aube vient tel un drap, une aube blanche sur robe sang, un drap perlant rouge ; une aube telle une goutte. Une goutte bue au drap de l’horizon.
Aux brumes nouvelles, la bête noire fouille la terre. Ouvrant large la plaie du sillon, de son groin, il l’a décousue comme chair. Sombre, il pèse sur elle, comme elle pèse sur lui, dans la boue qui le cerne. Sombre, il l’a possède, comme elle le possède dans l’enlisement du sillon. Aux girons des labours, la bête noire boit aux brumes nouvelles.
Féroce est l’amour germant aux noces d’automne.
***
Moisson
Au blé levé
Tombe la faux.
Et, je vois,
Montante,
La Marée lente,
Des javelles en tas ;
Fétus solaires,
Noyant le pas des hommes
D’un mat bouillon d’or brassé.
Et les épis en faisceaux
À fourches fières volent
Au poids des fléaux éclatent.
Et les épis en faisceaux,
Aux fourches amères,
Corps foulés, tombent, solaires ;
Fétus noyés au glas qui sonne.
***
Source
L’aube à son front coule entre ses cornes,
Il boit ce jus clair de fruit jeune sur sa lèvre.
Pan s’ébroue, la nuit s’échappe de son poil,
S’étire, se gratte et c’est un rire qui tombe de sa côte.
Il ramasse l’éclat et le place au moelleux de sa langue.
Nouveau-né aux creux de ses joues,
Pan le retient au rempart de ses dents.
Rire et salive se mêlent, lève un chant
Que sa gorge roule en cascade
Que sa gorge cuit de soleil.
Son pied sur l’entame du jour
Entonne la mesure.
Dévers face aux nues,
Pan chante sur la terre.
© Béatrice Pailler
BÉATRICE PAILLER
Elle se présente :
Je suis rémoise et j’ai exercé à Reims pendant vingt ans le métier de libraire. Je me consacre maintenant à l’écriture et uniquement à celle-ci en alternant prose et poésie. En 2015, la société des poètes français récompense du prix « Jean Giono » (prix du manuscrit de prose poétique) mon recueil L’heure métisse.
Trois recueils sont parus à ce jour :
Aux Éditions L’Harmattan : Jadis un ailleurs, recueil réunissant : L’heure métisse et Motifs /collection Poètes des Cinq Continents /2016 ; Aux Éditions La Porte : Mouvements, Panta Rhei / Poésie en voyage 4èmetrimestre 2017 ; Aux Éditions Encres Vives : ALBEDO mars 2018
Participation aux revues : Décharge, Les Amis de l’Ardenne, Traversées, Souffles
Le Capital des Mots, Levure littéraire et prochainement : Arpa, Écrits du Nord, Lichen courant 2018 et à l’Index en 2019.
Mon écriture prend sens dans la langue. Je m’en imprègne et la transforme, la travaille, pour façonner mon langage poétique. Mon but est d’approcher de ce que j’appelle « la poétique du monde » qui est pour moi indissociable de la création. C’est pourquoi, je place la lumière au centre de mon écriture et en appel à tous les sens. C’est la lumière intrinsèque de la création que je cherche à faire partager. La création telle une terre d’avant l’homme mais sans regret d’un hypothétique paradis. Un ailleurs où les éléments sont omniprésents air/terre/feu /eau, où la respiration/le souffle du végétal et de l’animal s’animent. J’instaure des passerelles entre homme et animal : l’animal dans l’homme et vice versa. Je puise dans l’ensemble de la création : de nature ou humaine. Le corps est très présent: corps-souffrant / corps-amant, le geste et le mouvement. Le sentiment de perte quel qu’il soit. La lumière est très présente et l’ombre qui n’est pas moins belle, juste différente : une lumière qui ne se dit pas, qui ne se dit plus.
Je tente d’exprimer ce qui m’habite : émotions et sentiments, interrogations, par le biais d’une écriture qui n’est pas sans violence, une écriture de contraste et de rupture ; sensuelle, elle fait appelle à tout les sens et invoque le charnel.
A consulter
Sur le site de Décharge
http://www.dechargelarevue.com/Voix-nouvelle-Beatrice-Pailler.html
Sur le site de la revue Traversées
https://revue-traversees.com/les-auteurs-de-traversees-2/
Sur le site des éditions L’Harmattan
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs&obj=artiste&no=31670
NB :