Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - PASCAL MORA

Publié par Le Capital des Mots sur 18 Juillet 2018, 05:30am

Catégories : #poèmes

A L’ORÉE

 

 

Millions de feux, millions d’êtres veillant aux fenêtres.

Ô mer de pierres, ô continent d’âmes,

Tu nous attendais cachée, cité-monde

Dans le très haut jardin de l’origine.

 

Depuis l’instant sans pareil

Nous cherchions le visage d’avant ta naissance.

Avant notre venue au monde,

Tu étais là, déjà, encore.

 

Ô femme de pierre. Je reviendrai toujours

Vers tes avenues aux courbes parfaites,

Tes rues qui enlacent mes gestes.

 

Tout un passé vit dans cette présence

Tout ce passé qui nous paraît nouveau.

Nous avons beau faire tourner les tables,

Nous parcourons les mêmes nervures de rues

Où afflue l’énergie de nos élans.

 

L’ample cité accorde nos rivages

Aux saisons des voies sensorielles,

Nous adorons l’astre de nos pays intérieurs.

Au ciel, notre père-luminaire, vertical,

À l’horizon, étreignons notre terre-mère.

 

Nous sommes montés de l’argile,

Nous sommes tombés de l’étoile.

Depuis des millions d’années,

Depuis les sphères de cristal,

Les crânes transparents.

 

 

***

 

LUMIÈRES DANS LE REGARD DES VILLES

 

L’avenue impose la tyrannie

De la ligne droite. A Ivry, à Vitry.

Banlieues de silex, banlieues soviétiques

Banlieues étatsuniennes à Chessy, à Serris.

 

La membrane des pluies mouvantes

Enveloppe la ville

Comme grande voile d’oiseaux, une seule âme

Faisant demi-tour en plein vol.

Changeant d’orient, ondulant entre lunes.

 

Dans les cieux d’autres mondes.

Dans chaque nuit de boulevards,

Trafics en tout genre mixent les flaques.

Sur les chaussées huileuses

Sur les routes de verre.

 

Glissent les phares des voitures

Qui se mêlent à l’aura des sémaphores

À l’œil rouge des feux,

Les feux verts, orange alternant

Les sillons de teintes liquides.

Air des films policiers

Miroirs lucioles des enseignes et néons,

Le chaos lumineux masque les constellations.

 

L’avenue l’écrasante ligne droite

Aussi large qu’un boulevard.

Porte des pistes parallèles,

Se découvre sur les lignes de l’échiquier

Où te suit une ombre.

 

Celle de Buenos Aires que tu viens

De traverser en taxi jaune.

Un voyage à l’envers

Avant de reprendre l’avion

À bout de souffle, à Ezeiza.

Au zénith, les rayons réchauffent

Les prismes de verre et acier.

Un enfer de déchetteries

De carrières à ciel ouvert,

De plateformes portuaires

De pistes des aéroports.

 

 

 

 

Lisbonne, Naples, Rio, New York.

Les multiples mégalopoles littorales

Forment la mosaïque des peuples

Au bord des abysses salines.

 

Arpentant cette rue qui fait le tour du monde

J’y respire un parfum puzzle.

Une robe en flore et faune

De langues, peaux, chevelures.

 

Qui se tient derrière ces silhouettes ?

Quelles chandelles brûlent

Aux fenêtres de leurs prunelles ?

Yeux vitrines des âmes vivantes,

Ou consciences s’éteignant doucement

Sur le rebord d’une existence

Pointée vers l’étoile polaire.

 

***

 

ETRE DANS LA VILLE

 

La nuit urbaine murmure son velours bleu.

Ailées comme des sphères,

Les millions d’âmes nous constellent

D’un pluriel de paroles.

 

Vivent de lune, vivent de soleil

Dans la lunette arrière

Ou en pleine lumière

Sortent de l’éveil ou du songe.

 

Lac reflet des lumières d’or

La nuit nous libère de nos histoires

Recouvre nos gestes manqués

Et disperse l’abjection des batailles.

Pose sur nos épaules

Son châle de ténèbres

Dissipe notre angoisse d’être.

 

Avec la foule des quartiers

Semant des brassées de mots et d’images,

Les flâneurs forment frêles flammes défilant

Sur le carreau des boulevards.

 

Ils se pressent en feux d’artifices,

De rires et gestes par le jour

Des drapeaux et langues du monde entier.

Entre nous, il y a la Goutte d’Or

Entre nous, il y a Ipiranga

Entre nous, il y a Harlem.

J’ai bien attendu de lire Blaise Cendrars

Avant d’écrire, avant de comprendre.

 

J’ai attendu qu’Hector parle de Claude Roy

J’ai attendu de lire Zone d’Apollinaire

J’ai attendu d’écouter Harvest de Neil Young,

J’ai attendu de manger chez Hare Krishna

À Guadalajara et avec Mariana,

J’ai attendu de faire zazen, rue Tolbiac.

Après Montmartre, le drugstore

Avec Ugo chez les joailliers.

Les Champs-Élysées sont une vitrine,

Une rivière qui me fait oublier la mort.

 

Aujourd’hui, je suis seul avec ma liberté

Sans nom parmi tous les sans nom.

Aujourd’hui, je ne sais encore rien

Aujourd’hui, je vais par les villes où je vis.

 

Les villes me chiffrent, je les défriche,

Elles vivent, voyagent et respirent en moi

Je suis en elles dans le ventre matériel.

 

Je nais avec les lumières après la brume,

Sur les lignes entrecroisées

Les sirènes sèment l’incendie

De l’agitation, du tumulte.

Je marche en fatigue, en apesanteur,

Dans les rues, sur les quais, dans les tunnels.

 

Extraits de "Ce lieu sera notre feu" Editions Unicité, 2018.

 

 

PASCAL MORA

 

Il se présente :

 

Pascal MORA est formateur chez les Compagnons du Tour de France. Il a publié plusieurs livres de poèmes : Ce lieu sera notre feu (Unicité 2018), Feuilles du chemin (Encres Vives, 2009), Etoile nomade (L’Harmattan 2011) et Paroles des forêts (Unicité 2015). Il participe à des lectures poétiques, en France et à l’étranger : en Argentine en Espagne et au Mexique. Il pilote un site web : Voyages dans la clairière http://www.clairiere.net/. Ce site accueille plusieurs poètes avec leurs textes et leurs photos. Il a publié dans plusieurs revues en France : Arpa, Les Cahiers du Sens, Comme en poésie, Mange-monde, Multiples…

Pascal MORA s’intéresse aux poésimages, poèmes en surimpression sur des photos. Depuis février 2016, il œuvre à un Café-Poésie dans la ville de Meaux, où il réside. C’est un moment de rencontre et de partage pour les poètes.

 


 

Ce lieu sera notre feu . Pascal Mora. Unicité, 2018. - DR

Ce lieu sera notre feu . Pascal Mora. Unicité, 2018. - DR

Pascal Mora - DR

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