Commencer
Commencer de rien,
d’un bout de terrain sec, d’une friche,
non cultivée, au repos
comme le tapis rouge pendu
par-dessus la rambarde
sur le balcon.
Commence ton travail,
travailleur acharné,
commence ton ouvrage poétique,
arrête de parler à voix haute,
de te lamenter sans cesse sur le passé.
Commence à écrire
d’autres vers terribles
que d’autres liront
s’ils l’osent.
Reprend et commence,
dépose tes lettres noires sur le vélin blanc,
cette surface vierge où tes pensées s’effondrent
chaque fois que tu en es plein
au point
de non retour.
***
Bow-Window
Qui sera aimé ?
Qui sera blessé ?
Il y aura du sang et des larmes,
des cris, des lamentations, voire
des dépressions, des tentatives de suicide.
L’un se pendrait au bout d’une corde dans le jardin d’Eden,
ou sauterait comme un fou du haut de la montagne
jusqu’en bas du village, la chute de l’homme n’a jamais pris autant de sens,
tomber est non seulement essentiel pour tout recommencer :
c’est un acte nécessaire, un sort crucial, la souffrance
des genoux écorchés, des têtes ouvertes, des joues contusionnées,
à plat ventre, tu mords la poussière, la terre, des toquades
rustres pour d’autres effondrements, des bâtiments bombardés.
L’autre se planterait une aiguille dans le bras maigre,
le louveteau est comme une tâche irisée sur le chemin d’un pivert
qui perce la peau, la chair, les os, comme son bec perce le bois,
un autre shoot, un de trop, la mort à l’horizon,
des lignes, des bouffées, sentir son haleine rance dans l’air,
entre quatre murs, un bow-window ouvert sur une surface
plane en bitume, deux vieilles venues pour un bain dans les eaux
chaudes qui jaillissent des sources de roches et traversent le lac.
Personne n’a jamais été autant aimé.
Personne n’a jamais été autant blessé.
Du sang et des larmes coulent sur la pente,
ils pleurent leurs lamentations, sans quoi
ils seraient éjectés de la seringue.
***
Cœur d’artichaut d’artiste
Le louveteau a remplacé Franckie.
Il voulait quoi ?
Il voulait que la lumière émise par ce cerveau,
par ces yeux – d’autres fenêtres germaniques
passant à travers le prisme – empêchent l’ombre
d’envahir son repère : une chambre poussiéreuse
où des rats, des chiens, des chats, des souris, et d’autres rongeurs,
des puces, des bactéries, des virus, tant d’atroces
parasites nés ici-bas, ce trou
décati, s’évanouissent en copulant avec ses amis junkies,
et sa famille inquiète et funèbre.
Des corps cachés sous le lit,
le canapé-lit rouge,
qui pourrissait lentement pendant que nous baisions.
Des amis pour le sexe : une quête ridicule
mais comment échapper
à l’absurdité quand elle nous entoure,
nous aveugle, nous rend sourd, nous étouffe à en crever.
Après la lobotomie, vider ces crânes en coquille d’œuf,
remplacer la lutéine par de l’albumine,
ou de la vase.
Extraits de "Le foutoir"
WALTER RUHLMANN
Il se présente :
Walter Ruhlmann enseigne l’anglais et écrit depuis plus de 20 ans. Il édite et dirige les blogs et éditions Beakful et Urtica. Son dernier recueil en français Civilisé est paru chez Urtica en 2017.
Ses blogs personnels: http://thenightorchid.blogspot.fr/ et http://nightorchidsselectedpoems.blogspot.fr/