Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - EKATERINA DOBRINOVA

Publié par Le Capital des Mots sur 23 Août 2018, 16:28pm

Catégories : #poèmes

Ma mère est un Dragon à quatre têtes

 

 

Ma mère est un Dragon à quatre têtes

Une tête jolie-

Trois têtes pourries.

La première sourit béate

La deuxième crache du feu

La troisième m’incendie du regard

La quatrième plante ses crocs dans mon cou.

Elle a les dents d’un vampire,

Le suçon d’une tique,

Le poison d’un serpent.

Elle se cramponne à ma peau,

Elle se nourrit de moi,

De mon sang,

De mon temps,

De mon cœur

C’est un Dragon sans loi sans foi,

Qui mord en rigolant.

C’est un vampire qui dit m’aimer,

Qui m’ouvre son cœur rempli de souffrance.

Est-ce à moi de le soigner ? –Non !

Je lève les bras, je tente de me protéger,

Ouvrir les yeux pour mieux voir

La sangsue.

L’agripper,

L’écraser,

La précipiter au loin…

A force d’écouter mon cœur,

J’ai appris à combattre les Dragons,

Les sangsues, les tiques, les vampires.

Ce Dragon de mère est des plus coriaces,

Il vient de loin de mon enfance,

Il est le plus proche à mon cœur,

A mon corps,

Qu’Il, Elle a engendré.

Mais le voilà qui rit à pleine gorge.

Ne pas me laisser attendrir !

Il enfonce ses griffes et farfouille,

Il cherche mes larmes, ma pitié.

Je me redresse,

Je plante mes jambes,

Décroise mes bras,

Et de toutes mes forces je repousse l’ennemi

Avec un énorme cri.

De mes coups de pieds dans le flanc,

J’abats le Dragon à quatre têtes :

Je le terrasse,

Le matraque,

Le tords,

Le balance,

Le pends,

Le suspends ;

J’écrase la première tête,

Je déchire la deuxième,

Le déchiquette la troisième,

Et piétine la quatrième…

 

L’ennemi à terre,

Le Dragon dans son sang,

Le vampire édenté,

La tique écrabouillée,

Je me relève

Et remets mes cheveux éparpillés

Remplis mes poumons de la Victoire !

 

Il me reste à affronter

Ma nouvelle condition d’orpheline

Et à respirer la Vie Libre !..............


Septembre 2014

 

 

 

 

***


 


 

Je n’ai pas envie que le jour me voie (1)

 

 

Un matin comme celui-là

Un matin comme un autre

Du mal à me lever

Du mal à assumer

Mais un effort je fais je traine mes pieds

Ma tête mal coiffée

J’ouvre à moitié le store

 

Non, je n’ai pas envie que le jour me voie

Je n’ai pas envie de me lever

De mettre un pied devant l’autre

De me débarbouiller

Pas envie de me regarder

Pas envie de m’aimer

Plutôt envie que quelqu’un m’aime

Que quelqu’un soit là

Que quelqu’un soit doux avec moi

 

La lumière m’aveugle

Mes idées se brouillent

Tels des nuages gris et blanc.

 

Non je n’ai pas envie que le jour me voie

Comme ça

Sans sourire

Sans le regard doux et aimant pour la vie

Lucide et clair

Joyeux et sincère

 

Me recoucher ?

Boire un thé ?

Appeler ?

Se connecter ?

Se relier ?

Pour réapprendre à s’aimer.

 

***

Je n’ai pas envie que le jour me voie (2)

 

A Denise Sbait

 

 

Je n’ai envie de me lever

De mettre un pied devant l’autre

De me débarbouiller

Pas envie de me regarder

Pas envie de m’aimer

Plutôt envie que quelqu’un m’aime

Que quelqu’un soit là

Qu’il soit doux avec moi

 

Je n’ai pas envie que le jour me voie

Telle que je suis à l’intérieur

Avec mes milles fleurs fanées,

Mes herbes brûlées

Un soleil sec

Et des cendres collantes

Mon volcan qui murmure

Mes oiseaux, tout de même bien vivants,

Qui en veut-il ?

Pour quelle chanson donc ?

 

Je n’ai pas envie que le jour me voie

La lumière aveugle mon cœur

Et brûle ma déchirure

Je ne suis pas belle au matin

Je ne peux pas avoir le regard franc

Le sourire doux

Et ce jour qui se lève sans me demander

Si j’ai envie de me lever

Si j’ai envie de regarder, de voir…

 

Non je n’ai pas envie que le jour me voie !

 

Mais voilà,

Je ne suis pas seule ce matin là

Un enfant est là

Un amour pas loin

Mais surtout une voix

Une voix protectrice, douce

Qui me sort de mon  «  non »

Et je vais ouvrir le store

Oui la lumière est là

Et le jour me voit

Je me sens aimée cette fois !

 

***

 

 

L’inconnue

 

A peine assise en face de toi

Ton regard planté dans le mien,

Un regard de souffrance.

La déception se lit sur ton visage,

Tu es malheureuse le regard au loin,

Jeune fille

Aux cheveux noirs et soyeux.

 

Et je ne dis rien,

Je reste en silence,

Bienveillante.

Quels sont tes soucis ?

Un amour déçu ?

Une amitié brouillée ?

Problème d’argent ?

De logement ?

 

Tu sens ma présence.

Mais que puis-je faire pour toi

Le long d’un trajet de métro ?

De nouveau ton regard glisse sur moi.

Je voudrais te parler

Te serrer dans mes bras,

Te servir une tasse de chocolat bien chaud…

 

Mais ici c’est le métro

Et nous ne nous connaissons pas…

Il y a des règles dans la société…

Je ne te regarde plus

Je te sens

Et respire en silence

Je pense :

Prends un peu de ma chaleur

Jolie et jeune inconnue.

 

***

La « venue d’ailleurs »

 

 

Elle est venue

Un sac sur ses épaules,

Elle est restée

Un coup de cœur pour le pays.

Elle ne savait pas ce qui l’attendait :

Adaptation.

Intégration.

Oublier sa langue.

Mettre de côté ses coutumes.

Car une tradition en dehors du pays

D’origine,

N’a plus de sens d’être…

Seule,

Elle apprit la nouvelle langue,

Et les mœurs de ce nouveau pays.

Longtemps lorsque

Tout le monde rigolait,

Elle ne comprenait pas.

Et jusqu’à maintenant,

Quand on parle

De choses sérieuses,

Elle tend l’oreille

Avec une double concentration.

Elle s’est faite petit à petit

Une place dans ce nouveau pays,

Qui devint le sien.

Acceptée,

Elle s’est sentie,

Aimée,

En voilà une nouvelle patrie !

Mais une partie d’elle

Est restée toujours là-bas,

Où l’on parle la langue

De son père.

Où elle peut entendre résonner

Le rire de son père…

Où ses souvenirs d’enfance

Ressurgissent

Comme les hirondelles

Au printemps.

Où des chants magiques

Sonnent.

Où ses amis d’enfance

La saluent…

Où les montagnes sont

Belles et majestueuses,

Et le ciel et la mer,

D’un bleu intense…

Mais dans le nouveau pays ah !

Mais dans le nouveau pays surtout,

Elle s’est défaite

D’une mauvaise mère,

Et elle vit à présent

Avidemment.

 

 

***

 

Au printemps

 

 

Au printemps

Je me découvre petit à petit,

Avec la timidité d’une none ;

Je m’habille de couleurs,

Je croise des regards qui me scrutent,

Je suis telle une fleur,

Fraichement éclose

 

***

 

 

Le balayeur

Février 2017

 

 

Toi le balayeur de la rue – que dit ton cœur ?

Toi le balayeur de la rue – quelles sont tes pensées ?

Toi le balayeur de la rue – quelle est ta spiritualité ?

Toi le balayeur de la rue – que manges-tu à Noël ?

Et tous les jours qu’y a-t-il dans ton assiette ?

Toi le balayeur de la rue – que deviennent tes enfants ?

 

Dis, balayes-tu les miettes des oiseaux

Ou bien les leur laisses-tu ?

Tes amis sont le vent et le soleil

Tes ennemies la pluie, la neige…

 

Dis balayeur de rue,

Sais-tu que tu es poésie pour moi

Lorsque je te vois ?

 

 

Février 2017

***

 

 

« Le cœur est ouvert au couteau »

 

 

Le cœur est ouvert au couteau

Pas de larmes, à sec

C’est le désespoir

Qu’un souffle parcourt.

Par hasard du soleil

Par hasard je respire encore

La vie autour belle, tranquille

Qu’est-ce que ça fait de se confier ?

Mal !

Car autrefois ça n’était pas possible.

Alors défaire les liens,

Sortir sa tête noyée de souvenirs

Puis reprendre le gout de l’espoir

Accepter le réel, l’ aujourd’hui,

Le maintenant,

L’amie assise en face de soi et qui sourit

Et s’avouer, oui s’avouer

Sa solitude.


28 /04/2016


 

 

EKATERINA DOBRINOVA

 

Elle se présente :

 

Ekaterina Dobrinova est née à Sophia, Bulgarie en 1973. Elle arrive en France en 1992. Elle exerce la profession de comédienne et animatrice d'atelier de théâtre depuis 1996 à Saint-Etienne, la région de Lyon et de Toulouse. Elle s'installe à Paris en 2001 et commence à écrire des contes et poésies à partir de 2005. En 2006, elle devient élève aux ateliers d'Aleph à Paris, où elle achève également la formation à l'animation et devient en 2011 animatrice d'ateliers d'écriture. Actuellement elle exerce le métier d'animatrice et continue d'écrire des contes, des nouvelles et des poésies. Elle suit aussi  des études d'art-thérapie.

 

Ekaterina Dobrinova - DR

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