Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - LAETITIA LE ROUX

Publié par Le Capital des Mots sur 2 Août 2018, 17:29pm

Catégories : #poèmes

 

 

I.

 

Escorte

 

Restant sur le palier, accoudée aux colonnes,

j'observe les soldats qui avancent sans moi

vers les paysages troubles

 

Le ciel couvert laisse tomber des notes de barbarie

sur les volants de ma robe

qui claquent la peau nue des sables mouvants

 

Je te vois t'éloigner et devenir floue,

Absorbée par la poussière chaleureuse des déserts

qui t'estompent et me rappellent combien j'ai à te sourire,

à te laisser partir, moi passée, moi polie,

 

Les mains moites et les épaules couvertes,

au milieu du pâle et du silence,

je tombe à genoux et je cherche

des aspérités

 

Je creuse un sol brûlant pour sombrer dans des sommeils de plomb,

sous la lune laiteuse et des nuits aussi fades que le jour,

et plonge dans des sursauts suants et lourds,

dans des nids de sable coquille épousant mes contours

 

Mes étés, ma patrie,

Vos morsures ont tatoué sur moi des morceaux invisibles

auxquels je murmure le soir des dialogues inutiles

 

Souvenirs, dans le lit qui m'avale, je vous envahis,

vous en veux, et cherche la caresse des matins du futur

qui m'auront délivrée d'une jeunesse de traîne

sous un ciel sur lequel rien ne s'inscrit

que la promesse de s'assurer soi-même

des vies intérieures

II.

 

 

Entre chien et loup

 

 

Assoupie sur l'herbe grasse,

les rayons déclinent sur mon corps alangui des images d'autrefois

 

Il se laisse fouiller, offert,

chercher sur la peau le miel et les grains,

et le soleil s'en allant cligne sur mes cils endormis

 

Il suffit d'une ombre pour que surgisse le rappel des crépuscules d'hier,

les sentiments d'au revoir,

l'appréhension des retours à soi

 

les cousins que l'on quitte

les piscines qui refroidissent

les douches qui dessalent

les guinguettes de rivière

le babyfoot et l'essence

les coussins qu'on installe

les chauve-souris, les faucheuses,

les courses de campagne

et ma mère qui appelle

et les jeux qui terminent

 

Tes nuances me manquent

Soleil mouillé, tard et fatigué

Sur la fraîcheur des centres français

Ta couleur sur les reliefs

ou derrière la vitre des écoliers

Voilé par la neige

Matador en hiver

 

Ne me laisse pas, mon astre

Rappelle-moi toujours

d'autres vacances à venir

mes changements d'humeur

les chantres singuliers de ces années

où nous ressuscitions les bals que l'avenir a enterrés

Rappelle-moi que ta douceur d'aujourd'hui n'est rien

à côté des fluctuations intimes, infimes des marées

 

 

III.

 

 

Éphémère

 

 

Sur les feuilles froissées de mes entrailles

L'encre noire en billes libres se balade

 

Des bandes blanches m'enveloppent tandis que je tourne

Les bras en l'air sur la pointe et momifiée de langes,

Caressée par l'élastique qui se colle à mon corps

Je respire mieux presque étouffée, bordée fort

Il n'y a que mes grands pieds nus et mon visage de brune pour animer le marbre rayé

Et endiguer la brume venue se calfeutrer

Dans les plumes de nos oreillers

 

Prends l'extrémité que je te tends

Et tire, fais-moi tourbillonner dans l'autre sens, vite,

Rembobiner mes petits pas

Rire étourdie, raide horizontale,

Ouvrir les yeux, abandonner les revêtements persistants,

Et gommer mon corps pour redevenir lisse comme une glace

 

Posée à terre

Le sol froid me fait rougir

Et accueille nos moulures régulières

D'amants bercés dans des couffins d'osier

 

La poussière du présent supporte nos attentes,

Nos ennuis d'ici qui nous soudent et nous colorent d'une lumière décalée

On recherche les échelles du ciel qui nous élèveraient au-delà des revers du temps qui nous éloigne et nous laisse plein d'alinéas vierges et violents,

Parfois débiles comme des pantins de paille,

Vides et appliqués à l'exécution des lignes

 

 

Évitant les décomptes, nous unissons nos décors, et nos balafres, claires encore, dansent à dissoudre le sombre sur nos papiers buvards

Et nous laissent hagards, au milieu des décombres, sans avoir rien d'autre à faire que piétiner les cendres, regarder en l'air

Se barbouiller du gris et éternuer ensemble

Débarrasser le plancher des restes du monde

Et de nos mains grandir nos intérieurs

Faire des morts une splendeur intime

Se badigeonner à la fin et savourer le délice de l'argile séchée, craquelée, pour se gratter les peaux douces de notre jeunesse,

Malgré notre âge,

Nos prières et nos cauchemars,

Nos traînes conduisent des châteaux éphémères que construisent des enfants, des possibilités infinies de legos d'argent, traces indélébiles dans les cimetières du vent.

 

 

 

 

 

LAETITIA LE ROUX

 

Elle se présente :

 

 

J'ai fait des études de lettres en Avignon, avec un master recherches (mémoire portant sur Emmanuel Bove). Je suis actuellement professeure au lycée français Théodore Monod d'Abu Dhabi. Cette expatriation a été l'élan du recueil poétique desquels les textes ci-dessous sont issus, et si l'écriture m'a toujours accompagnée, c'est la première fois que la soumets à un regard extérieur professionnel.

 

Laetitia Le Roux- DR

Laetitia Le Roux- DR

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J
Très beau et très belle
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