I.
Escorte
Restant sur le palier, accoudée aux colonnes,
j'observe les soldats qui avancent sans moi
vers les paysages troubles
Le ciel couvert laisse tomber des notes de barbarie
sur les volants de ma robe
qui claquent la peau nue des sables mouvants
Je te vois t'éloigner et devenir floue,
Absorbée par la poussière chaleureuse des déserts
qui t'estompent et me rappellent combien j'ai à te sourire,
à te laisser partir, moi passée, moi polie,
Les mains moites et les épaules couvertes,
au milieu du pâle et du silence,
je tombe à genoux et je cherche
des aspérités
Je creuse un sol brûlant pour sombrer dans des sommeils de plomb,
sous la lune laiteuse et des nuits aussi fades que le jour,
et plonge dans des sursauts suants et lourds,
dans des nids de sable coquille épousant mes contours
Mes étés, ma patrie,
Vos morsures ont tatoué sur moi des morceaux invisibles
auxquels je murmure le soir des dialogues inutiles
Souvenirs, dans le lit qui m'avale, je vous envahis,
vous en veux, et cherche la caresse des matins du futur
qui m'auront délivrée d'une jeunesse de traîne
sous un ciel sur lequel rien ne s'inscrit
que la promesse de s'assurer soi-même
des vies intérieures
II.
Entre chien et loup
Assoupie sur l'herbe grasse,
les rayons déclinent sur mon corps alangui des images d'autrefois
Il se laisse fouiller, offert,
chercher sur la peau le miel et les grains,
et le soleil s'en allant cligne sur mes cils endormis
Il suffit d'une ombre pour que surgisse le rappel des crépuscules d'hier,
les sentiments d'au revoir,
l'appréhension des retours à soi
les cousins que l'on quitte
les piscines qui refroidissent
les douches qui dessalent
les guinguettes de rivière
le babyfoot et l'essence
les coussins qu'on installe
les chauve-souris, les faucheuses,
les courses de campagne
et ma mère qui appelle
et les jeux qui terminent
Tes nuances me manquent
Soleil mouillé, tard et fatigué
Sur la fraîcheur des centres français
Ta couleur sur les reliefs
ou derrière la vitre des écoliers
Voilé par la neige
Matador en hiver
Ne me laisse pas, mon astre
Rappelle-moi toujours
d'autres vacances à venir
mes changements d'humeur
les chantres singuliers de ces années
où nous ressuscitions les bals que l'avenir a enterrés
Rappelle-moi que ta douceur d'aujourd'hui n'est rien
à côté des fluctuations intimes, infimes des marées
III.
Éphémère
Sur les feuilles froissées de mes entrailles
L'encre noire en billes libres se balade
Des bandes blanches m'enveloppent tandis que je tourne
Les bras en l'air sur la pointe et momifiée de langes,
Caressée par l'élastique qui se colle à mon corps
Je respire mieux presque étouffée, bordée fort
Il n'y a que mes grands pieds nus et mon visage de brune pour animer le marbre rayé
Et endiguer la brume venue se calfeutrer
Dans les plumes de nos oreillers
Prends l'extrémité que je te tends
Et tire, fais-moi tourbillonner dans l'autre sens, vite,
Rembobiner mes petits pas
Rire étourdie, raide horizontale,
Ouvrir les yeux, abandonner les revêtements persistants,
Et gommer mon corps pour redevenir lisse comme une glace
Posée à terre
Le sol froid me fait rougir
Et accueille nos moulures régulières
D'amants bercés dans des couffins d'osier
La poussière du présent supporte nos attentes,
Nos ennuis d'ici qui nous soudent et nous colorent d'une lumière décalée
On recherche les échelles du ciel qui nous élèveraient au-delà des revers du temps qui nous éloigne et nous laisse plein d'alinéas vierges et violents,
Parfois débiles comme des pantins de paille,
Vides et appliqués à l'exécution des lignes
Évitant les décomptes, nous unissons nos décors, et nos balafres, claires encore, dansent à dissoudre le sombre sur nos papiers buvards
Et nous laissent hagards, au milieu des décombres, sans avoir rien d'autre à faire que piétiner les cendres, regarder en l'air
Se barbouiller du gris et éternuer ensemble
Débarrasser le plancher des restes du monde
Et de nos mains grandir nos intérieurs
Faire des morts une splendeur intime
Se badigeonner à la fin et savourer le délice de l'argile séchée, craquelée, pour se gratter les peaux douces de notre jeunesse,
Malgré notre âge,
Nos prières et nos cauchemars,
Nos traînes conduisent des châteaux éphémères que construisent des enfants, des possibilités infinies de legos d'argent, traces indélébiles dans les cimetières du vent.
LAETITIA LE ROUX
Elle se présente :
J'ai fait des études de lettres en Avignon, avec un master recherches (mémoire portant sur Emmanuel Bove). Je suis actuellement professeure au lycée français Théodore Monod d'Abu Dhabi. Cette expatriation a été l'élan du recueil poétique desquels les textes ci-dessous sont issus, et si l'écriture m'a toujours accompagnée, c'est la première fois que la soumets à un regard extérieur professionnel.