Lumen
Au bruit de l’âtre où la flambée s’effondre, goutte menue, le chant de la clepsydre s’est perdu. Rehaussée de halos, l’obscurité qui vaque n’en est que plus souveraine. Quelques flammes errantes, éclairent, vagues, la pierre aux ombres souterraines. Au domaine de l’aragne, sur le manteau de la cheminée, s’empile un désordre ancien : vestige d’une vie. Parmi des brassées de parchemins, les in-folios pleurent dans le sable des encres leurs paroles enfuies. Sous la lampe pensile, le savoir tisse la patience et, au pupitre, l’homme sage en sa croyance jamais ne désespère. Lui, il sait que, sous les soleils éteints des cuirs, la vérité dort, lumière en linceul de peau, plus précieuse que l’or et l’argent. De longues heures ont passé qui ne sont pour lui ni jour ni nuit, mais prolongement de l’attente. Parfois, une voix se fait entendre, c’est un autre lui-même qui parle à son cœur.
…Giordano, Giordano …hâte-toi, ils arrivent…
Est-ce la fin ou le commencement ? Une clameur sourde gronde au sein du silence. À la fois juge et bourreau, elle répercute l’écho d’une noise indomptable. La lumière au soupirail s’affadit. Le feu sénile caquette d’un étrange babil où se content vanités et bûchers. Prophète au corps de cendre, il ne dit rien que l’homme ne sache déjà.
…Giordano, Giordano…la connaissance est un brasier…et l’univers une geôle infinie où le temps prône l’oubli.
***
C’était un soir à l’opéra
C’était un soir à l’opéra, sous un ciel de lumignons étoilés, j’errais en solitude, cherchant en ces lieux le spectacle de la vie qui me fuyait. La lassitude ourlait mes yeux, baisait ma bouche. Au poli des fenêtres, au tain des miroirs, la forêt des cierges multipliait ses reflets. Au soleil de minuit crépitant de mystère, tu m’apparus auréolée de feux follets arrogants.
Dans l’opulence de ta chevelure, l’argent se lovait. À ta gorge pâmée s’épanouissaient d’antiques atours torsadés de lumière et rouges d’absolu, veinés du vert délétère des amours déçus. Ainsi voilée d’éternité, la passion, à ton cou offert, s’étalait. La mélopée fascinante de ton souffle troublait la soie de ton corsage. Là, au plastron ensanglanté de ta robe, tu exhibais tes trophées, la chair de tes amants.
C’était un soir à l’opéra, un soir unique entre tous où, croisant ta souveraine silhouette, j’ai vu, piqué à l’étoffe, l’escarboucle caillée de mon cœur perdu qui se mourait sous l’épine d’ivoire.
***
Orpailleur
Orpailleur, ta paupière palpite, ton œil, veilleur de sommeil, s’enlumine de nuit. Pour toi, si grande fut l’attente que ton regard, roulé aux berges de l’ennui, un jour s’est lassé.
Ruban clair aux parois de métal, au creux de la cuvette d’émail, une girandole tournoie. Orpailleur, l’ombre, dans un poudroiement de lumière, se décille.
Longtemps brassé aux remous de ton cœur, longtemps filtré au vitrail de l’heure, enfin, repose, offerte aux rives de l’inachevé, la parcelle vive : ce mot de poésie, échoué en bordure de nuit.
Extrait de Jadis un ailleurs, l’Harmattan 2019. Préface de Michel Bénard. Lauréat de l’Académie française.Chevalier dans l’Ordre des Arts & des Lettres.
© Béatrice Pailler
BÉATRICE PAILLER
Elle se présente :
Elle se présente :
Je suis rémoise et j’ai exercé à Reims pendant vingt ans le métier de libraire. Je me consacre maintenant à l’écriture et uniquement à celle-ci en alternant prose et poésie.
Mon écriture prend sens dans la langue. Je m’en imprègne et la transforme, la travaille, pour façonner mon langage poétique. Mon but est d’approcher de ce que j’appelle « la poétique du monde » qui est pour moi indissociable de la création. C’est pourquoi, je place la lumière au centre de mon écriture. C’est la lumière intrinsèque de la création que je cherche à faire partager. La création, telle une terre d’avant l’homme, mais sans regret d’un hypothétique paradis. Un ailleurs où les éléments sont omniprésents air/terre/feu /eau, où la respiration/le souffle du végétal et de l’animal s’animent. J’instaure des passerelles entre homme et animal : l’animal dans l’homme et vice versa. Je puise dans l’ensemble de la création : de nature ou humaine. Le corps est présent, avec le geste et le mouvement ainsi que le sentiment de perte quel qu’il soit. La lumière est là et l’ombre l’accompagne. Ombre qui n’est pas moins belle, juste différente : une lumière qui ne se dit pas, qui ne se dit plus.
Je tente d’exprimer ce qui m’habite : émotions et sentiments, interrogations, par le biais d’une écriture qui n’est pas sans violence. Une écriture de contraste et de rupture ; sensuelle, elle fait appel à tous les sens et invoque le charnel.
Quatre recueils sont parus à ce jour :
Goûte L’Eau, nov.2018, Aux Éditions de la revue A L’INDEX collection Les Plaquettes
ALBEDO, mars 2018, Aux Éditions Encres Vives
Mouvements, Panta Rhei, Poésie en voyage 4èmetrimestre 2017 Aux Éditions La Porte
Jadis un ailleurs, recueil réunissant : L’heure métisse et Motifs /collection Poètes des Cinq Continents / sep.2016, Aux Éditions L’Harmattan
À paraître en 2019 : SACRE aux Éditions Racine et Icare
Par ailleurs, je participe aux revues Souffles, Traversées, Décharge, Les Amis de L’Ardenne, À L’INDEX, Lichen et le Capital des mots, et ARPA (numéro sur le thème de l’exil)
A consulter
http://www.dechargelarevue.com/Voix-nouvelle-Beatrice-Pailler.html
https://revue-traversees.com/les-auteurs-de-traversees-2/#P