jubilation
on avait l'élan la turgescence
on pressentait des jours
heureux on croyait l'angoisse
du suspens une attente seulement
bientôt disparue
alors que l'on voit
déjà la fin la petite
mort comme prélude le grand
jeu n'est pas si loin qu'on
l'aurait voulu la chair joyeuse
n'altéra la menace
pas autant qu'on l'aurait
voulu
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tout compte fait depuis
le premier jour sur le chemin
le cartable à la main
pendant soixante an et plus
accepter le sort on avait
pour nous jeté les dés d'avance
cru l'espoir radieux quand
serai grand (pourtant près
de soi d'édifiants contre
exemples pa et ma) mais
l'espoir grimper l'échelle
plus tard toujours triomphant
ou
simplement abruti c'est mon cas
n'imaginant pas d'autre sort
possible alors cheminant disant
bonjour au monsieur cet immense
étouffement à petit
pas avancer
dans cette purée
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la fin s'allège
elle ne pèse plus alors qu'elle
s'annonce comme déliaison
peut-être on la voudrait
enfin libéré du sort
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malgré les bonnes raisons
bien construites
les obligations de tous les
progrès possibles grandir
prospérer jouir de tous
les biens la réalité bien
établie où résider vaquer
peiner intacte la question
du premier jour
Presque rien
peut-être ça
comme pied de nez aux grandes
entreprises qu'il nous faut
conduire à moins d'être conduits ou bien
trainés entrainés malgré soi pour
bouffer simplement
infimes histoires
du journalier valorisant
en rien lever
manger dodo et surtout
l'art d'agencer les plaisirs
à chaque minute de vie
rien de soufflant ni
conquérant simplement
aménager la place de
la tasse le matin
accueillir la lumière
disposer l'espace autour
de soi les objets familiers
tout un jeu de nuances
où puiser un plaisir
léger
vivre sans plus sans
la formidable épopée
du progrès humain
débarrassé (ou plutôt
ignorant) du toujours
plus
rester en paix en deçà
du désir être
seulement livré
à une coulée de vie
trouver là l'essentiel
le bruit de base
simple coulée de vie
au fond n'avait voulu
que ça
avait dû sortir
par forceps jeté
au sacrifice universel
école boulot conjugo
fallait la cadence
l'aimer de force s'inverser
prendre goût au mauvais
cad l'exploit perso conquis
par l'effort la suprématie
d'être quelqu'un sur
l'échelle gravir
les barreaux de
la prison facile
l'étant n'a d'autre
ressource qu'aimer
là comme c'est
pour subsister du coup
ignore la fenêtre ouverte
sentir l'obscure montée
du suc de vivre chaque
instant sans rien
à dire ou démontrer
revenir au presque
végétal
Regrets
quelle voix
s’est tue a-t-elle
un jour clamé
babillé voix
en quoi nous
étions en elle
l’être retiré
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(en)tendue vers
elle douce et
dure ne nous
connaissait pas
qu’importe elle
était là
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il suffisait
de cueillir
on l’a voulu
domestiqué
en rangs serrés
le blé capital
dans les silos de béton
châteaux forts
contre l’ennemi
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et nous aussi
carapaces lentement nous
nous déplacions lourds
d’une richesse en quoi
étouffer
Porter ce qui me porte
quand mise au net
la peau raclée de tous
fantasmes croyances en les belles
raisons quand rien
ne tient au sujet de quoi
avancer par où pour qui
ainsi mis au plus
désert on avait cru
jouir quel tord boyau
toute la maison mise à bas
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voulu j’avais
nettoyer nettoyer
chercher le nu
jeter les falbalas
histoires familles amours
idées et combats je moi
et les autres les j’y
viens j’y cours j’en
meurs ou jouis
toutes ces couches
endossées l’une à l’autre
et dessus et dessous et
dedans à ne plus
savoir qu’y suis-je
alors nettoyer décaper
à l’os plus de
chair vibrionnante
mais un pur et serein
réceptacle où n’être
qu’une pure odeur
de rose
s’évider
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abandonner ce dont
nous fûmes dépouillés
ces raisons à vivre comme
des loques tombées dans
la désolation au plus net
reste un bourgeon
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des traces encore
d’une eau sur les sables
l’oued de pierres brossées par
une absence que le vent
la poussière la lumière
on se demande l’arbre
comment les rares branches
et feuilles pointues
faisant l’ombre légère
il pousse
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évidence
du désert sans histoire
des origines nos traces
donnent matière
au vide
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la peau raclée
de ses graisses
bientôt raide comme
un parchemin
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l’humain tombé
de moi plus de goût
pour (peut-on oser
dire sans encourir
les foudres humanitaires)
il a failli comme
un fruit blet
tombé (voilà pourquoi pas
poète) suite à saletés
il a fallu
se débarrasser
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colère ire irritation courroux exaspération
inimitié antipathie animosité
emportement haine aversion
répulsion répugnance et abomination
exécration hostilité fureur
fiel et venin furie
dépit indignation ressentiment
rogne et rage
agitation déchainement tempête violence
véhémence virulence
frénésie ardeur fougue et foudre
explosion fièvre
et tout autre transport
comme tu me fais du bien
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bonne vieille rage
mon amie emporte moi
que je parte avec toi
loin de ce champs
dévasté des batailles
quelle paix quel silence
plus rien ici
qui nous retienne
J'ouis
Je n'ai jamais cherché que ça
dans le tremblement décoller
la tête aux étoiles décollée cou
coupé en plein sidéré
d'écrire au jouir comme si le physique
si peu vite fait alors que je voulais
m'installer alors dit Thérèse
« le désir n'est plus mêlé d'inquiétude »
au lieu de la jaculation passagère
tout désir éteint dans la joie
écrire ainsi renverse l'ordre
des plaisirs dans l'ascèse loin de
tout objet la joie détachée et même
libérée de moi par la faux du poème
ce fameux coup constate dans son intérieur
« deux êtres distincts dont l'un semble n'avoir rien
de commun avec l'autre tant ils sont séparés
par une distance immense » dit encore Thérèse
entre l'assis et celui qui trace ailleurs
dans le méta ainsi voudrais-je
aux quatre coins éparpillé d'être
à la mer retourné le soleil dit l'autre
mais non
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chercher l'état
pas d'excitation pour ouvrir la porte
se referme au moment d'entrevu
ça venait ça allait venir et puis non rejeté
dans l'oubli déjà ne pas recommencer
l'aller venir trouver l'état
dans le méta mais non
pas d'éternité alors de rage jeter
les papiers d'illusion du poétique
plutôt mytho le faux vrai de l'espoir
toujours recommencé dans le ça va ça vient
seul reste l'oubli et quelques traces
mortes sur le papier comme cendres
ou tache anonyme sur le drap
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la raison en est
dans le retrait du soi plus de main tendue pour
la fécondité le jouir l'exige ne peut survenir sans meurtre
de l'autre plus de moi toi nous le jouir est à soi seul
dans la perte du soi l'autre oublié depuis longtemps
(sauf à entendre ses cris ses battements comme si
la mer retournée à son soleil se prendre
à croire qu'elle parviendrait à l'autre pas à soi)
ainsi le jouir serait toujours la perte
disparue d'apparaître
en rien la montée continue d'une sève
le vol sans fin comment se contenter
de ça
MATHIAS LAIR
Il se présente :
J’ai vite découvert l’état de l’édition en poésie, ce qui m’a amené à éditer la revue mot pour mot, et à pratiquer l’imprimerie offset. Dans la foulée j’ai été quelque temps représentant pour alternative diffusion. J’ai défendu le droit des auteurs en créant le calcre (Comité des auteurs contre le racket de l’édition), en militant à l’union des écrivains, puis à la SGDL. Donc je connais ce qu’on appelle « la chaîne du livre ».
Sous le nom de mon alter ego, J.-C. Liaudet, je publie chez Fayard, Flammarion, L’Archipel, Albin Michel des livres de psychanalyse pour le grand public.
Sous le nom de Mathias Lair je publie régulièrement en revues (Tarabuste, Europe, la défunte Passages d’encre, Verso, les Cahiers du sens…), et tiens deux chroniques : Il y a poésie dans la revue Décharge, Humeurs dans la revue Rumeurs. Dernières parutions chez les éditeurs :
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Des poèmes : Écrire avec Thelonious, Atelier du Grand Tétras, 2019 / Amour dépris, La cour pavée, 2017 - encres de Jacqueline Ricard / Bandes d'artistes 19, Lieux dits éd., 2017 - peintures de Jacques Thomann / Ainsi soit je, Ed. La rumeur libre, 2015 / Pas de mot pour, Ed. Éclats d’encre, 2011.
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Des romans : Reste la forêt, Sans escale, 2019 / L'amour hors sol, Serge Safran, 2016.
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Des récits et nouvelles : La chambre morte, Ed. Lanskine, 2014 / Aïeux de misère, Ed. Henry, 2014 / Oublis d’ébloui, cinq récits amoureux, L’échappée belle, 2013 / Enfin, Ed. Gros textes, 2012.
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Des essais : Il y a poésie, Isabelle Sauvage, 2015 / Écrire sans sujet, coll. Trait court, Passage d'encres, 2013 / A la fortune du pot, anthologie d'expressions populaires d'origine culinaire, rééd. L'Opportun, 2013.