La vie n'a pas de plan préétabli, de schéma directeur. La vie se charge de nous mener là où elle veut, sans qu'on y décide quelque chose. Tout est question de voix, et ça, les voix, je vais connaître, d'appels, ça aussi, de commandements internes (ou externes ?). Le fleuve cru emporte nos pessimismes, nos beautés retranchées et nos rêves essorés par un quotidien terne et sans événements majeurs ou si peu. Le fleuve contigu des années, métaphore usée pour désigner l'immobilité mobile d'un temps, en fait, fragmenté, concassé en blocs disjoints, en dehors de toute logique véritable, semble couler en nous, apparemment et on veut bien y croire à l'existence magique de ce palimpseste que nous pensons sans cesse écrire et réécrire. Comment (r)établir la vérité des faits ? Tout est confus. Je garde du passé une image fixe. je dois rassembler ça et là des morceaux épars pour tenter de consolider l'ensemble. Comment tout ça a commencé ? Le temps passé filtre les pas erratiques, les déconvenues. Comment tout ça est venu ? Une espèce de schizophrénie ? Allez, les médecins posent le diagnostic, on n'en parle plus, on n'a plus qu'à vivre avec, avec ça. Dis-je, en avalant un comprimé de 200 mg de Solian et un autre de 20 mg de Deroxat, comme tous les jours, cela depuis des années, le premier depuis vingt-deux ans et l'autre depuis quelques années. Ma vie est coupée en deux. Il y a l' Éric d'avant 1996 et l' Éric depuis 1996. Je rappelle que la schizophrénie ce n'est pas un dédoublement de la personnalité. C'est, m'a-t-on dit, la personnalité qui se scinde en deux. En gros, la schizophrénie c'est la cassure, la fracture. Puis-je en dire plus ? Je ne suis pas médecin. La maladie mentale, c'est quelque chose d'imprévisible, dans une famille. Cela a l'air d'un lieu commun mais c'est vrai ! On ne songe pas un instant qu'un de ses proches va en souffrir. J'allais avoir trente ans.
Quelques années, auparavant, je travaillais dans une société de marketing direct à Créteil. Employé de bureau, j'étais devenu, les derniers temps, la tête de Turc de certains de mes collègues, une victime toute désignée d'un bizutage intempestif.
(...)
Je suis à la terrasse d'un café parisien. Dans la confusion des bruits du dehors, me viennent des pensées en provenance d'un passé maintenant lointain. La cinquantaine venue, je sais qu'il ne reste plus rien de ces liens distendus, de ces histoires promises au gouffre. J'ai juste appris à savoir écrire ce rien un peu aristocratique et romantique, que je saupoudre de vraie lumière et de fausse pénombre. Écrire des poèmes. Ce n'est pas sérieux. Pourtant, si. Si on y réfléchit. Je pense à Nadia, l'infirmière de Logos qui avait repéré mon talent, alors que je griffonnais avec un feutre rouge des poèmes sur une feuille Canson, dans l'atelier de dessin de l'hôpital.
(...)
– Mais ces voix ? On me recherchait. J'étais l'Élu. Une automobile affrétée par une radio périphérique partait à ma recherche dans les rues de cette ville de banlieue que je parcourais de long en large, depuis tant d'années, dans une boucle de la Marne. Les médias me cherchaient. J'entendis un jour des voix amplifiées par les micros. Je participai à un jeu étrange auquel je ne comprenais pas grand-chose. Et puis il y eut ce jour de mai 1996, où je rencontrai Dieu ou son équivalent, en fait un retraité portugais à la barbe amovible, aux traits changeants, assis sur un banc, muet, peut-être à moins qu'il n'entendît plus rien de ma voix, mes mots, les bruits à l'entour comme étouffés. Tout était signe(s).
(...)
Je suis arrivé en Saint , à l'Hôpital Les Murets, La Queue-en- Brie, bâtiment Logos. Après une première semaine de cure de sommeil obligatoire, dans un autre bâtiment, j'ai commencé à refaire surface et à parler avec les autres patients, en articulant très mal à cause des effets secondaires de l'Haldol et du Tercian. Mes compatriotes en psychiatrie, pour la plupart étaient aussi dans le même état mais nous échangions entre nous, des mots, des regards, des sourires voire des rires.
Extraits de "L'homme qui entendait des voix " ( récit ) Editions Unicité, 2019.
Préface de Laurence Bouvet.
ERIC DUBOIS
Il se présente :
Éric Dubois est l'auteur de nombreux livres de poésie aux éditions Le Manuscrit, Encres Vives, Hélices, Publie.net, L'Harmattan, Unicité, depuis 2001. Éric Dubois collabore par des poèmes avec la collagiste Ghislaine Lejard à la réalisation de livres pauvres. Il est présent dans de nombreuses anthologies depuis 2004. Poèmes et articles en revues et sur des sites littéraires depuis 1995.
Éric Dubois dessine, peint et photographie.
Il bricole des vidéos.
Eric Dubois est référencé au Centre National de Ressources pour la Poésie ( Le Printemps des Poètes) et à la Maison des Ecrivains et de la Littérature , dans l'Anthologie Progressive de Poésie en Liberté et sur Evene ( Le Figaroscope) . Il est aussi référencé au Movimiento Poetas del Mundo .
Eric Dubois est référencé aussi sur Wikimonde Plus .
Il est membre de l'Union des Poètes & Cie et sociétaire de la SOFIA . Il est membre de la SGDL.
Et membre aussi du Collège du Prix Littéraire Rive Gauche à Paris ( de 2014 à 2018 ). Eric Dubois est membre du Comité de lecture du Concours Poésie en Liberté depuis 2016.
Eric Dubois est président de l'association Le Capital des Mots.
Eric Dubois est responsable de la revue culturelle en ligne Le Capital des Mots . Il est aussi blogueur : Les tribulations d'Eric Dubois , Nouvel Orphée , La pierre de l'aube , Joinville le pont . Voyage immobile dans le temps suspendu.
Il tient aussi un blog sur Mediapart : Eric Dubois poète, blogueur et chroniqueur .
Eric Dubois est l'attaché de presse du webmagazine Levure Littéraire .
Il tient un site sur IggyBook : https://eric-dubois2.iggybook.com/fr/
Site officiel : http://ericdubois.info .