Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - GÉRARD LE GOFF

Publié par Le Capital des Mots sur 10 Novembre 2019, 16:33pm

Catégories : #poèmes

 

La fée verte

 

Il pleure dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville ;

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cœur ?

 

Paul Verlaine

 

Ils ne regardent rien, murés dans leur absence ;

Ils n’entendent plus, écoutent les cantilènes

Que murmure la fée verte à l’heure des phalènes ;

Leurs pensées sont du sucre en déliquescence.

 

Les traits de leur face au teint de porcelaine

S’embarbouillent quand l’eau et l’absinthe virent au louche.

Ils avalent la lie qui laisse amère leur bouche,

L’exhalaison jade qui empeste leur haleine.

 

Dans les miroirs du café, la nuit

Désordonne les avenues lointaines,

Appelle les élégantes riveraines

A venir au plus loin de la pluie.

 

Plus à l’écart encore, lui, rêve de fêtes galantes,

De Belle-au-bois ou de l’Oiseau couleur-de-temps.

Toutes les lunes extasiées au plus clair des étangs

Câlinent son âme comme une opale ensorcelante.

 

Sur les losanges bariolés de son vitrail

Se sont succédé soleil, vent, nuées, ondées.

Le livre ancien, lu, clos, se tait sous le fermail.

L’Ange et le Démon jouent sa conscience aux dés !

 

Dans un parc, qu’éclairent a giorno des girandoles

Pyrotechniques, filent masques fantasques, folles farandoles

Et sarabandes grimées, pipeaux et pupazzi !

Parfois, les violons cachés évincent les lazzi.

 

Dans les miroirs du café, le gaz

Anime les visages blêmes des sélènes,

A force enlaidit les plus vilaines,

Confère aux idiots un air d’extase.

 

Lui, songe au faune que brûle le soleil d’Aden.

Cette voix lui manque, ses mots le troublent plus encore.

Il tend l’oreille pour percevoir un accord.

Il se rembrume dans son vieux manteau de laine.

 

Tandis qu’au vent mauvais les feuilles mortes s’égrènent,

Que sonne l’heure d’un avenir qui plus n’étonne,

Lui, porte à ses lèvres pâles le verre de l’automne.

« Et puis une autre absinthe pour Monsieur Verlaine ! »

 

*

 

Chansons d’automne

 

Te souviens-tu encore de ton enfance

Comme d’un chemin de sable où l’on enfonce

Tu es toujours sur le perchoir tu tends la main

A des fantômes qui sont là-bas dans le lointain

Pareils à des épouvantails à merles qui s’effilochent

Tristement dans les après-midi d’automne […]

 

René Guy Cadou

 

Mon âme est un village où sonne

L’heure rousse au clocher du feuillage.

Egrenée par une bouche volage,

Résonne une chanson monotone.

 

Puis, la complainte des fusillés,

Murmurée par le vent, étonne,

Si loin de la carrière bretonne

D’un autre octobre de noir broyé.

 

Le maître d’école pèse l’encre des jours.

Les cœurs de craie s’effacent, mouillés

Par l’eau tombée d’un ciel brouillé ;

Volent les feuilles écrites pour toujours.

 

Nous quittent les oiseaux de passage.

Leurs plumes ont rimé tout l’amour

Prodigué par l’été si court

Qu’il oublia les enfants sages.

 

C’est la rentrée, couleur de pomme.

Petits, rangez vos coquillages,

Tout le butin de vos pillages ;

Las, de retour parmi les hommes !

 

Les fanes s’engouffrent sous le préau,

Avec vos rires, au nez de l’automne.

Vifs, les derniers soleils détonnent,

Enluminent les arbres de rehauts.

 

Enfants, j’ai grandi avec l’école,

Moi aussi. Apprécié le beau.

On m’a dit encor les tombeaux

Des martyrs parmi les herbes folles.

 

 

 

 

in : Les chercheurs d’or ( Inédit) 

 

 

****

 

Histoire ancienne

 

1.

 

Tu disais :

« Les étoiles font ce qu’elles peuvent ».

Et de railler l’insolence des néons.

Chaque soir nous jetait dans ces cafés aux acides enseignes

Vers quoi, depuis le fond de la noirceur, s’épuisaient les sphinx.

La houle dansée de la Lune

Se perpétuait dans le tremblement des fanaux

De vaisseaux fantômes à jamais à quai.

Nous inventions des îles,

Ignorant les continents en flammes,

Sourds aux vagissements des foules entaillées vives.

Désirade élaguée,

Ma vie dérivait en archipel de songes.

 

2.

 

Tu disais :

« La nuit viendra me reprendre ».

Et de ne plus savoir à quel horizon tu étais asservie.

Je rêvais la rumeur des feuillages,

Les vents de haut vol,

La harpe de la pluie :

Tout ce qui ne concernait guère ces heures frelatées.

Ô campagnes en sommeil,

Où mon âme chanterait avec le murmure des haies,

Au loin, si loin des désastres.

Dans le poudroiement d’or et de mercure

Des miroirs de tous les bouges

S’évertuaient nos doubles.

 

3.

 

Tu disais :

« Que nous restera-t-il pour nommer l’aube ? ».

Et d’oublier qu’elle existerait sans nous.

Dans ce port, où venaient souvent voguer

Sur la crête des vagues

Quelques oiseaux de passage,

Un accordéon esquinté chantait les amantes

Enfuies,

Le parfum des vieux rhums

Et les équipages perdus.

Par-delà la mémoire de l’ombre,

La forme du hasard

S’évadait des sabliers brisés.

 

*

 

Matin

 

« Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt », dit-on. Pourquoi ?

 

Pour regarder se lever les rémiges du soleil

Qui emplument au passage

De leur feu les nuages

Afin qu’ils puissent voler loin dans le ciel

Ombrant dans leur sillage

La Terre d’ambre et d’or brun

A l’heure où meurent les salamandres

Et se dissolvent les chimères

 

Pour contempler l’océan renaissant

Marée après marée

Avec le sang de la Lune

Et la folie des corps célestes

Quand l’horizon demeure vague

Embué d’une gaze d’embruns

Les îlots noirs sont des navires

Encrés dans le doute de la clarté

 

Pour écouter mugir le vent

Vagabond du désastre

Errant pâle du levant

Frangé des cendres de la nuit

Colporteur de rumeurs d’un autre âge

Hurlant tous ces chants sans noms

A travers les territoires du souvenir

Qu’il livre au pillage

 

Inédits 

 

 

GÉRARD LE GOFF 

 

Il se présente :

 

Gérard Le Goff travaille la prose (roman, nouvelles), la poésie, le dessin et la peinture. Pour en savoir plus, voir son site :

Gérard Le Goff : Amers & compas,

https://gerardle-goff4.wixsite.com/monsite

Gérard Le Goff - DR

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