La fée verte
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Paul Verlaine
Ils ne regardent rien, murés dans leur absence ;
Ils n’entendent plus, écoutent les cantilènes
Que murmure la fée verte à l’heure des phalènes ;
Leurs pensées sont du sucre en déliquescence.
Les traits de leur face au teint de porcelaine
S’embarbouillent quand l’eau et l’absinthe virent au louche.
Ils avalent la lie qui laisse amère leur bouche,
L’exhalaison jade qui empeste leur haleine.
Dans les miroirs du café, la nuit
Désordonne les avenues lointaines,
Appelle les élégantes riveraines
A venir au plus loin de la pluie.
Plus à l’écart encore, lui, rêve de fêtes galantes,
De Belle-au-bois ou de l’Oiseau couleur-de-temps.
Toutes les lunes extasiées au plus clair des étangs
Câlinent son âme comme une opale ensorcelante.
Sur les losanges bariolés de son vitrail
Se sont succédé soleil, vent, nuées, ondées.
Le livre ancien, lu, clos, se tait sous le fermail.
L’Ange et le Démon jouent sa conscience aux dés !
Dans un parc, qu’éclairent a giorno des girandoles
Pyrotechniques, filent masques fantasques, folles farandoles
Et sarabandes grimées, pipeaux et pupazzi !
Parfois, les violons cachés évincent les lazzi.
Dans les miroirs du café, le gaz
Anime les visages blêmes des sélènes,
A force enlaidit les plus vilaines,
Confère aux idiots un air d’extase.
Lui, songe au faune que brûle le soleil d’Aden.
Cette voix lui manque, ses mots le troublent plus encore.
Il tend l’oreille pour percevoir un accord.
Il se rembrume dans son vieux manteau de laine.
Tandis qu’au vent mauvais les feuilles mortes s’égrènent,
Que sonne l’heure d’un avenir qui plus n’étonne,
Lui, porte à ses lèvres pâles le verre de l’automne.
« Et puis une autre absinthe pour Monsieur Verlaine ! »
*
Chansons d’automne
Te souviens-tu encore de ton enfance
Comme d’un chemin de sable où l’on enfonce
Tu es toujours sur le perchoir tu tends la main
A des fantômes qui sont là-bas dans le lointain
Pareils à des épouvantails à merles qui s’effilochent
Tristement dans les après-midi d’automne […]
René Guy Cadou
Mon âme est un village où sonne
L’heure rousse au clocher du feuillage.
Egrenée par une bouche volage,
Résonne une chanson monotone.
Puis, la complainte des fusillés,
Murmurée par le vent, étonne,
Si loin de la carrière bretonne
D’un autre octobre de noir broyé.
Le maître d’école pèse l’encre des jours.
Les cœurs de craie s’effacent, mouillés
Par l’eau tombée d’un ciel brouillé ;
Volent les feuilles écrites pour toujours.
Nous quittent les oiseaux de passage.
Leurs plumes ont rimé tout l’amour
Prodigué par l’été si court
Qu’il oublia les enfants sages.
C’est la rentrée, couleur de pomme.
Petits, rangez vos coquillages,
Tout le butin de vos pillages ;
Las, de retour parmi les hommes !
Les fanes s’engouffrent sous le préau,
Avec vos rires, au nez de l’automne.
Vifs, les derniers soleils détonnent,
Enluminent les arbres de rehauts.
Enfants, j’ai grandi avec l’école,
Moi aussi. Apprécié le beau.
On m’a dit encor les tombeaux
Des martyrs parmi les herbes folles.
in : Les chercheurs d’or ( Inédit)
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Histoire ancienne
1.
Tu disais :
« Les étoiles font ce qu’elles peuvent ».
Et de railler l’insolence des néons.
Chaque soir nous jetait dans ces cafés aux acides enseignes
Vers quoi, depuis le fond de la noirceur, s’épuisaient les sphinx.
La houle dansée de la Lune
Se perpétuait dans le tremblement des fanaux
De vaisseaux fantômes à jamais à quai.
Nous inventions des îles,
Ignorant les continents en flammes,
Sourds aux vagissements des foules entaillées vives.
Désirade élaguée,
Ma vie dérivait en archipel de songes.
2.
Tu disais :
« La nuit viendra me reprendre ».
Et de ne plus savoir à quel horizon tu étais asservie.
Je rêvais la rumeur des feuillages,
Les vents de haut vol,
La harpe de la pluie :
Tout ce qui ne concernait guère ces heures frelatées.
Ô campagnes en sommeil,
Où mon âme chanterait avec le murmure des haies,
Au loin, si loin des désastres.
Dans le poudroiement d’or et de mercure
Des miroirs de tous les bouges
S’évertuaient nos doubles.
3.
Tu disais :
« Que nous restera-t-il pour nommer l’aube ? ».
Et d’oublier qu’elle existerait sans nous.
Dans ce port, où venaient souvent voguer
Sur la crête des vagues
Quelques oiseaux de passage,
Un accordéon esquinté chantait les amantes
Enfuies,
Le parfum des vieux rhums
Et les équipages perdus.
Par-delà la mémoire de l’ombre,
La forme du hasard
S’évadait des sabliers brisés.
*
Matin
« Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt », dit-on. Pourquoi ?
Pour regarder se lever les rémiges du soleil
Qui emplument au passage
De leur feu les nuages
Afin qu’ils puissent voler loin dans le ciel
Ombrant dans leur sillage
La Terre d’ambre et d’or brun
A l’heure où meurent les salamandres
Et se dissolvent les chimères
Pour contempler l’océan renaissant
Marée après marée
Avec le sang de la Lune
Et la folie des corps célestes
Quand l’horizon demeure vague
Embué d’une gaze d’embruns
Les îlots noirs sont des navires
Encrés dans le doute de la clarté
Pour écouter mugir le vent
Vagabond du désastre
Errant pâle du levant
Frangé des cendres de la nuit
Colporteur de rumeurs d’un autre âge
Hurlant tous ces chants sans noms
A travers les territoires du souvenir
Qu’il livre au pillage
Inédits
GÉRARD LE GOFF
Il se présente :
Gérard Le Goff travaille la prose (roman, nouvelles), la poésie, le dessin et la peinture. Pour en savoir plus, voir son site :
Gérard Le Goff : Amers & compas,