Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - JULIEN QUITTELIER

Publié par Le Capital des Mots sur 8 Novembre 2019, 15:46pm

Catégories : #poèmes, #texte, #prose poétique

 

 

Vitalement embrasé

 

 

Des dialectes fantomatiques intériorisent mille langages et leurs lettres se personnifient dans l’abstrait des rythmes sélènes. La muse est pareille à la primauté vers laquelle on ne peut rien absoudre. De la nuit gisent les arts solennels et les mythes déifiés par les instantes amours ; l’encre irradie les densités de la fièvre, elle les imprègne de nuit comme un or à l’alliance contracte la pureté de l’idéal. Vivre mille ans n’est plus vivre, les légions de l’azur se mêlent au sang et à la chair du vespéral. J’élève mon récital dans celui des déclamations éthérées par les promesses du sommeil et le châtiment des solitudes jumelles.

 

Je suis le triomphateur d’un pays de symboles : un pays en rupture continentale, un pays récrit dans le sillon des apologies atemporelles, en extase d’opium et dont la descente suit la courbe du désenchantement. L’aube ne lira pas ce que je lis, les cieux n’inhaleront pas ce que j’inhale, toutes les autres choses ne refléteront pas mes prières profanement commises et impudiquement confiées ; car s’élèvent les syllabes d’incantation, les syllabes qui exaucent l’idéalité de l’amour en antécédence et qui cloîtrent l’être dans sa caducité existentielle.

 

Il n’est que la muse de l’incréé, l’incréé qui s’esquisse d’encres concourues au vide, la muse s’y enlinceule d’axiomes et de ce qui se peut sacrant. L’œuvre est l’azur qui dans la nuit se déverse faillible, outre que ses vérités ne s’égarent qu’aux êtres du Sépulcre. La muse s’y est confédérée, elle a cillé l’ultime dictame, elle s’est insultée à Dieu au prix des diables innés. Mon exil de science et d’au-delà s’éternise, ce n’est pas tant ciseler l’âme et la mêler au ciel que dénier l’irréversibilité.

 

Il m’apparaît cette empreinte infuse qui s’enfouit au plus secret d’un être providentiel, un être dans lequel les aléas du terrestre ravivent la mysticité. Providentiel d’absolu : l’absolu de la non-résilience.

 

L’empreinte que ma muse a exilée est un symbole d’abréaction : séquelle, clameur sépulcrale et ténèbres, Babel éthérée, grêlée, ignée, ciguë idyllique. Je la récris par des syllabes et des axiomes infaillibles, je la mémorise par des religions incessibles de flambeaux et d’ectoplasmes ; et je m’y noie comme un feu qui incise les profondeurs hadales.

 

Je me retrouve dans les politiques chrétiennes, né d’un chant infernal, baptisé de cime et de néant. Le soleil se converse avec les yeux de grêle, la froideur se ressent avec la chair ignée. Tout descend, tout s’élève, tout s’entremêle dans la dualité des amours sélènes. Ce sont les astres des jadis et des ailleurs vers la nuit conclue au rythme du diurne et des suivantes apologies. Tout se repense, se relie aux sens les plus incessibles, la psyché se contorsionne dans des divinations de plus en plus savantes, elle entrevoit le précipice de l’être… Un abysse marqué d’essences funestes qui souscrit au sceau des dieux.

 

Les aubes s’entrenuisent à s’espérer dans celle qui offre ses suites, qui harnache l’être en lui faisant ressentir les terreurs continentales, les tourments trop vifs pour qu’ils soient jurés, la déliquescence, la pesanteur de la défunte en fièvre jaillissant des complaintes vespérales. C’est ici que s’instaurent l’enfer de dictame et le Styx chevillé au baptême des sens. Entendrais-je ma muse édénique implorer mon corps que mon âme dissoudrait l’enfer dans lequel je la retranscris ; le châtiment révélé dans l’encre en raison de l’exil.

 

2015

 

 

 

 

***

 

 

 

J’irai crever moral

 

 

L’ange aux yeux de psychose ─ pour que chaque chose nommée soit l’approximation, plus poétique que téméraire, de la teigne et du dégénéré que je m’exerce à être victorieusement. Non que mes yeux soient empreints de cette folie dont le seul pouvoir est de toute façon la discrétion, mais les différents ésotérismes et la Logique les ont dépersonnalisés jusqu’au point que s’il fallait que je peigne mon portrait, en vrac et à vendre à l’encyclopédie de la démonologie, je le nommerais « L’ange aux yeux de psychose ».

 

Les cils cadenassés, enfreints, décivilisés. Les aléas, les aléas, les aléas. Ma propre répulsion s’est incrustée, cataplasme des bals poétiques caduc et pantouflard, non pas dans l’expressivité de mes yeux ni sur mon front des pissotières cosmiques, mais dans mon ignominie intemporelle, dans mes doigts des jaunes réfutations, dans mes mouchures occidentales sur-vingt-et-unième siècle, sur mon bidon d’alcool et d’acide fantasmés, sur mon imperfectible peau de tuberculeux, sur mes lèvres des IST et sur ma moustache freudienne, dégueulassement vaginale ! Les pieux en bois pareils à ceux qui renvoient les vampires au-delà se sont amoncelés sur mon corps : orteils, fémurs, bassin, thorax, gorge, connexions neuronales, liquide séminal ; et dans les quelques grammes de l’âme. Telle âme est le rosier du mal. Paranoïde fleur des sépales raréfiés, psychotique don : voilà le sauvage qui l’épelle. Mon épiderme se fissure semblable aux maçonneries centenaires, muraille de glèbe et de chiure dentelée. Sous des brûlures de cigarettes du sang se fraye un chemin pareil aux vomissures des égouts et aux trompe-l’œil, cul de bœuf, queue de cochon, gros sabot : de Charybde en Scylla. Le tunnel sanguinaire n’a ni but ni sortie, au-dedans de lui tout est chialement : tout chiale des hosannas surannés, plusieurs orants cellulaires dévisagent les alentours de l’anatomie, partout un indicible carnage irrespirable, un vrai carnage irréversible, à perpète... Le sang erre, vaque, s’indiffère. Le boucan anatomique est l’équivalent à celui des mots plus atomiques que les bombes. Mes commissures des lèvres n’ont pas figé le sourire de l’ange. À perpète… elles expriment l’inexpressivité, la légende du grand zéro, le substrat originel de l’inutilité ; à perpète… Mon ouïe aborde l’inécoutable. Elle le rejette en ma gorge. Mon ongle est crasseux pareil à l’ongle du mineur. L’ensemble crée une forme trop humaine et un fauve esprit sur-vitalisé de ténèbres et de bronchites sanguinaires. Je suis le pisseux de l’absinthe et le gerbeux de diérèses. Ma crasse personnelle n’est pas intime : toutes et tous la constatent mais sont loin de vouloir et pouvoir la laver, y remédier. Ils fuient. Ils redoutent. Ou ils haïssent. Tombe de Carrare naissante, dès le berceau. Sépulcre prémédité. Linceuls des parodies et des persécutions. Cierges que je sois de plus en plus profond en Enfer. Conversations sur le dos du « fou-suicideux », ces chamailles. Enfants de Chœur. En colère. Leur hargne envers ce poète hérétique à lier sur un autre poteau de Supplice, davantage rocailleux. Bienheureux… Ils s’extasient. Je les entends. Mon ouïe atteste de leur superstition maléfique. Le carnaval des triples pitres. Ils chantent pour que je sois dans l’Enfer mésopotamien de leurs considérations aseptisées. Cierges que je sois torturé. Vœu d’incessant mépris. Culte. Le vespéral est récité, ils pensent à mon martyre, ils en jouissent, ils exultent, ils me prennent comme l’exemple antinomique de la bonté et de la fraternité. Jésus endiablé. Prophète de Méphisto. « Abalam l’a emporté ! ». Impardonnable. Impossible de m’absoudre. Pardon fantasmatique. J’ai des yeux immoraux. Mon fiel immoral est corseté de haine et d’anathèmes. La détestation. Jugement du mythe d’Er. Ils me zieutent là, comme une carie qu’on lèche avec le bout de la langue avec des mimiques de nausée, ils me lèchent avec leur esprit : ils me dégueulent. Je cherche l’île, l’Icarie, l’exil ou la ciguë, l’Un, la transcendance, le surhumain, le sur-verbiage, la thébaïde, la rumeur swiftienne, la philosophia perennis, les miracles, la cité ; je cherche l’admiration, la considération ; je trouve Pandémonium, un Necronomicon, un ghetto spirituel, une hargne méticuleuse, un vœu de suicide : un bien-être de moi en paradis, un cénacle de prêtres exorcistes refourguant mon corps dans des vaporisations de balayures et de crapauds. Ce verbiage s’amenuisant : le verbe pour le verbe, le fin mot de l’histoire, chat dans la gorge.

 

Dans ce cas (ce cas aux connotations et aux fondations largement cliniques et d’ordre psychiatrique si ce n’est tombal) mon sang c’est du sang de canaille et de scélérate messeuse, et je serai parmi les cancres de l’existentialité, les salopes et les foutus en l’air de la Vierge (putain de viergitude), les refourgués de toutes les putasseries et même de toutes les dégueulasseries des plus dégueulasses débauchés, je serai l’abstruse complainte parmi des déferlements d’agonie mondiale et de gerbes qui trinquent leur luxe prolétaire, indégueulable, je serai le pion incolore des désarticulations chrétiennes et la reine hérésiarque d’un échiquier masochiste, œil de chouette. Le lynché des superstitions parallèles aux folles dingueries émergentes d’une trop cérémonieuse cérébralité. Ce pou cadavérique pré-somnambulique, ce ver qui tète le ciel cuisant de cirrus malpropres et infectés, ce lion aphasique ; tout cela en y rajoutant une grande dose de miasmes et de laideur pastichée et pendouillante, là, quelque part : dans les champs morphogénétiques ou tout naturellement sur ma face bouseuse de taré foutue  à coup de mouchures et de conjonctivite barbouillée couronnée par deux globes psychotiques cramés par mon indicible carnage...

 

2019

 

 

 

***

 

L’excuse littéraire

 

 

Par la rêverie claustrale de la Poétique je veux conquérir l’absolu : cette Empreinte est identitaire, ontologique, solennelle, moderne et antique, et surtout dissociée de la barbarie ; utopique et sans allégeances, par un tropisme inhérent à l’être, etc., qui mène, peut-être, aux dédales de la fortune – mais une fortune plus salutaire, intangible et presque insondable – ; inhalant la chair comme l’âme tant par son éloquence que par ses aphorismes dimensionnels. Cette fortune se traduit par un relèvement des sensations et par des transcendances juxtaposées qui soutirent du ciel un cadastre de rayonnement, créant l’extatique de l’art.

 

Découvrir l’incréé des sens, tout en sertissant le vide de créations de hasard, voilà une apparence que je veux transmuer, pour combler mes insuffisances et mes remords, mes angoisses de décadent ; je veux être baptisé par les flammes et ainsi m’insurger contre la déliquescence et la morbidité : qu’une liberté soit donc une philosophie du feu ! Je veux l’apparat des anges dans mes yeux : un verbe étrange et univoquement ciselé vers la mysticité, mais je ne veux plus de croix funéraires, mais un paysage vénéré, licencieux, dont les images transissent et fluctuent au gré de ma mentalité.

 

– Mon âme n’est pas mon âme, et l’axiologie qui la pervertira sera le phénix de tout être qui se lamente, se flagelle, s’intériorise ; mais comme il s’épanouit ! Comme il erre vers le mystique aux aléas du terrestre !... Je veux la magie littéraire embrasée en essence picturale, détonante, que ce soit par l’enfer ou par la fougue angélique, par les gouffres ou par les cimes. J’aime l’explicité d’un langage secret, car celui-ci porte sur tous les mystères de la vie et sur le sens que nous nous en faisons, escorté par la diligence céleste d’un oracle qui lui-même est abscons. Le poète supplante la lucidité : la lucidité-maniaque. En même temps il se dédore de la société. Une fois que ses vers sont démasqués (débauchés), il se sent comme impersonnel, il se sent comme dépucelé ; car il est dépourvu de la marge savante de mystère qui existe entre lui et le lecteur. Il voit son œuvre menacée par des interprétations souffreteuses sitôt qu’il rêve d’un perspectivisme infini : comme l’homme qui regarde une vague qui roule et dont les ressacs la rendent esclave d’une infinité de mouvements, son contemplateur a des possibilités aiguës d’oppressions ravageuses que la folie tente d’enfouir dans l’être le plus suprême, un être fait de consolation, donc un être de surcroît providentiel. Un poème compris est un poème atrophié, car tout ce qui est modéré n’appartient plus ou moins pas à la littérature (tant soit peu !) ; c’est en tout lieu mon chemin, c’est mon nouveau Salomon, c’est une certaine profession de foi, que j’entame trismégiste… Se marier à la folie tend vers l’immodération, un engagement sacrificiel, luxueux, par un prétexte péremptoire – mais il faut que la folie mange la misère pour laisser place à quelque luxe immaculé –, il y a souvent maintes choses pathétiques et froides et tristes dans la folie, mais maintes choses lui sont redevables.

 

Les nerfs qui bouillent, le corps et l’âme en transe… pour ne plus se sentir défunt d’une fièvre universelle, et ainsi se soigner des hypocrites rancœurs et de la dégueulasserie de l’inertie, comme cette didactique en approvisionnement de la bêtise humaine, apprêtée, et qu’un trop plein de snobisme bénira. La folie n’est pas serf de la société : la folie est baptisée par la société et pour la société ; elle s’arbore donc en substrats et emmène vers l’extatique. La capacité – qui pourrait paraître obsolète – à peindre l’Inachèvement est un miracle qui englue toutes les expériences de la vie, et celui qui risque sa vie pour les lettres incarne ces expériences. J’aime ce poëte qui s’est incarné dans les complaintes de vespéralité et dans le mutisme maladif ; car celui qui crée son chemin est plus fort que celui qui décrée son Odyssée. Le suicide livresque claustre l’ombilic du poète : il le condense, le simplifie, le libère et l’exulte pour le rendre abordable, il aiguise sa lame ; enflamme son enfer et lustre son paradis. L’excuse littéraire est toujours l’ombre réfléchie d’une nécessité, l’excuse est exprimée par des mots qui sont des instruments de la raison, il n'est donc nulle excuse pour la folie littéraire ; ce qui constitue l’inéluctable oppression dont le poète n’est que le témoin

 

2015

 

 

JULIEN QUITTELIER 

 

Il se présente :

 

Julien Quittelier est né en 1991 à Mons (Belgique) et vit actuellement à Bruxelles. Il s’adonne à l’écriture, à la philosophie, au dessin et aux sciences. Il publie ses poèmes dans plusieurs revues et sur La Cause littéraire. En 2019, Vespéral de l’être, son œuvre poétique complète de jeunesse, paraît aux éditions ÉLP. Outre sa poésie, l’auteur travaille actuellement à un roman et à un essai sur le symbolisme belge.

 

Vespéral de l’être, éditions ÉLP, 2019

Sonnets du levant lacrymal, éditions Stellamaris, 2019

Julien Quittelier - DR

Julien Quittelier - DR

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