Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - NADINE TRAVACCA

Publié par Le Capital des Mots sur 3 Décembre 2019, 11:35am

Catégories : #récits, #nouvelles

Papotages

 

Avant de se transformer en étuve aux heures chaudes de l’après-midi, le séjour restait l’endroit le plus frais de la maison. Nous y étions installées, ma mère tassée au fond d’un fauteuil défraîchi, moi vautrée sur le canapé du salon, jambes pendantes sur l’un des accoudoirs. Elle portait l’une de ses blouses fleuries en nylon, une matière sans grâce qui flottait autour de son corps en retenant la transpiration mais dont elle appréciait le côté pratique puisque le tissu ne froissait pas et séchait rapidement. J’avais cessé d’en débattre le jour où j’avais compris qu’à son époque l’avènement du fil synthétique avait révolutionné, en les simplifiant, les corvées de lessive.

 Elle me raconta une anecdote, quelque commérage de voisinage auquel elle se laissait parfois aller. L’histoire ne m’intéressait guère, je connaissais à peine les gens dont elle me parlait et ignorais tout de leur vie. Je ne séjournais dans cette maison qu’une dizaine de jours en été, trop peu de temps pour tisser des liens véritables avec l’entourage. Je la laissais dire sans bien écouter. Un mot soudain dans son discours retint mon attention - le nom d’une ville éloignée qui m’était familière et demeurait chère à mon cœur - et comme je lui demandais de répéter ce qu’elle venait de dire, elle partit d’un rire étrange qui me fit l’effet d’une détonation.

Elle avait porté la main à sa gorge, les doigts qu’elle tenait largement écartés broyaient l’encolure de la blouse comme si elle voulait protéger son cou et retenir les sons qui s’échappaient en cascades. Sa tête se renversa en arrière, et j’eus alors l’impression qu’elle ne riait pas comme je l’avais cru d’abord mais que de sa bouche sortait un cri, longtemps retenu, un cri comme une supplication.

Elle perçut mon hésitation, lut l’inquiétude dans mes yeux comme si je redevenais l’enfant dont elle débusquait l’inattention. Lorsqu’elle eut retrouvé son assise habituelle, elle ne fit aucune allusion à ma question m’assurant qu’un souvenir cocasse lui avait traversé l’esprit et que – maléfice de la vieillesse qui s’installait - son rire s’était étranglé.

Je n’y crus pas une seconde mais elle m’offrait une sortie. Je lui affirmai qu’elle vivrait centenaire et me dirigeai vers la cuisine pour réchauffer du café.

 

NADINE TRAVACCA 

 

Elle se présente :

Nadine Travacca vit en Savoie et publie des textes poétiques en revue papier et numérique.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents