Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - KHAMYLLE-ABEL DELALANDE 

Publié par Le Capital des Mots sur 10 Mars 2020, 11:40am

Catégories : #poèmes

Il est une heure trente-quatre du matin

La nuit entre dans la chambre par la fenêtre ouverte

Le Froid glisse sur les draps

Je sens que le silence va se rompre

Dans une étrange tragédie

J'ouvre sur Deezer un album de métal

Et la guitare m’envahit sans attendre

La distorsion se mélange au goût de chocolat que J’ai dans la bouche

Je ne sais pas trop pourquoi le sommeil ne vient pas

C’est comme si tous les stimuli s’étaient réunis en un seul moment

Ici dans cette pièce où se forme ma vie

En ces quelques secondes décharnées

Qui laissent la place bientôt à des secondes neuves

Tout se résume à de pâles sensations par lesquelles j’aime

Je respire ou suffoque

Grâce auxquelles j’avance sur le fil ténu de l’ombre encore tiède

La musique le froid le chocolat la douceur des draps

Et l’image de la nuit en personne qui vient me visiter

Tous ces sens qui me lacèrent le corps et le cœur

S’oublient une fois le matin venu

Quand chaque mouvement a repris sa place d’origine

Quand chaque espace devient tuteur d’infini

Quand chaque mot contient l’éternité

Et que mon visage fatigué semble perpétuer la douleur des anges

Tous ces sens sont là comme les brisants du littoral

Attendant qu’on s’échoue sur eux pour déchirer l’écho noir de l’hiver

Alors je me laisse atteindre en cette embrasure divine

Et je bois la nuit au goulot froid de la fenêtre

Je regarde au loin si les collines de Créhange dorment encore un peu

Puis je crie en silence mon âme vers demain.

 

 

***

 

Le vent couve

Sous les braises

L’âme blanche neige

Entre les ponts de l’oubli

Tout est mistral

Ici

Comme ailleurs

Les jours déshabillent la nature

L’écorce tombe

Manteau double qui soulève

La paupière de la forêt

Là où s’endort l’étoile invisible

Et où revit la terre noire des pensées.

 

 

***

 

Je heurte le seuil

Et trébuche

La neige déboule entre les doigts

Ventrus de l’aube

Mes pas s’allongent

Le vent immobile tord les arbres noirs

Léger comme les ombres

Mon corps ploie sous la lumière

Le ciel squelettique

Laisse sa pluie effleurer mon visage

De gros nuages gris passent

Entre les collines

Collision de pensées et de silences

L’hiver souffle sa blancheur glaciale

Je marche avec le bleu du lendemain à l’esprit

Ne craignant que l’empreinte des louves

Et les rêves à l’odeur d'épicéa

La forêt gronde et craque

J’entends les branches grincer

Comme des articulations besogneuses

Les bergers au loin font tinter les cloches des vaches perdues

Et le pays immaculé rougit

Sous un soleil de perdition.

 

 

***

 

 

Le vrai silence n’est pas celui du cœur

Il est celui qui bat sous les paupières

Et qui regarde l’univers en ne disant que des étoiles

Il appauvrit la roche mais enrichit l'arbre

Il est celui qui touche les lèvres et

Posant un doigt sur elles cèle l’avenir

En un seul souffle béni

Le vrai silence ne tue pas il perfore l’immensité

Il brandit l'écho de la grandeur jusqu’aux plus petites veines

Il s’émancipe de la terre jusqu'au ciel

Et passe dans les mailles du temps

Caressant les joues pures et les visages glacés.

 

 

***

 

 

Est-elle devenue cicatrice

Cette déchirure en toi qui ôtait tout répit

A-t-elle effacé d’elle-même la douleur

S’est-elle évanouie dans l’océan houleux

De tes silences

Le désir de guérir t’a-t-il foudroyé

Comme un écho blessant

Et le temps infini de la métamorphose

Est-il passé sur toi

Comme L’écorce recouvre l’aubier

Es-tu branche ou racine

De quel bois proviens-tu

Et les traces en toi des tempêtes

Sont-elles de simples traces

Ou bien des plaies que rien n’apaise ni ne panse

 

La vie est une meurtrissure

Tu le sais par tes feuillages

Tu le sais par tes fruits

Ils mûrissent au soleil parce que les jours

T’ont entaillé parce que les nuits T’ont privé de lumière

Tu grandis vers le ciel au seul son du grondement terrestre

À la seule murmuration du monde

À la vibration grandiose de l’univers

Qui comme ton cœur bat dans son étoffe de chair invisible

Tu n’es pas que césure

Tu es le corps vivant de toute destinée

Et ton instinct que nul ne peut saisir

Donne aux forêts rivières champs d’humus et de béton

La musique intérieure qu’il faut pour être unique

Tu n’es pas seul ici bas

Tous les êtres comme toi s’unissent à ton appel

Et ta voix grave dans le noir est parvenue jusqu’à moi

Je l’entends encore ce soir même

Et je prie les yeux levés vers les cimes

Que l’ébauche de ton nom

Soit sculptée dans la pierre où coulent toutes les eaux…

 

 

© Khamylle-Abel Delalande

Février 2020

In Le Témoignage du dormeur

 

 

 

KHAMYLLE-ABEL DELALANDE

 

 

 

 

Il se présente :

 

 

Poète breton né à Dinard en 1981. Il fait ses études universitaires de Lettres à Rennes. Après quelques années d'enseignement sur Paris et la Bretagne, il se consacre aujourd'hui exclusivement à l'écriture. Il a publié plusieurs recueils dont La Traversée du non-lieu (2013), La Conjuration des Roses (2018), Sémantique de l'absence (2018). Il a été publié dernièrement dans les revues Le Capital des mots et La Page blanche. Il fera quelques apparitions très bientôt dans la revue Lichen.

Il anime aujourd'hui son blog d'artiste : khamylle-abel-delalande.over-blog.com

Khamylle-Abel Delalande- DR

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