Il est une heure trente-quatre du matin
La nuit entre dans la chambre par la fenêtre ouverte
Le Froid glisse sur les draps
Je sens que le silence va se rompre
Dans une étrange tragédie
J'ouvre sur Deezer un album de métal
Et la guitare m’envahit sans attendre
La distorsion se mélange au goût de chocolat que J’ai dans la bouche
Je ne sais pas trop pourquoi le sommeil ne vient pas
C’est comme si tous les stimuli s’étaient réunis en un seul moment
Ici dans cette pièce où se forme ma vie
En ces quelques secondes décharnées
Qui laissent la place bientôt à des secondes neuves
Tout se résume à de pâles sensations par lesquelles j’aime
Je respire ou suffoque
Grâce auxquelles j’avance sur le fil ténu de l’ombre encore tiède
La musique le froid le chocolat la douceur des draps
Et l’image de la nuit en personne qui vient me visiter
Tous ces sens qui me lacèrent le corps et le cœur
S’oublient une fois le matin venu
Quand chaque mouvement a repris sa place d’origine
Quand chaque espace devient tuteur d’infini
Quand chaque mot contient l’éternité
Et que mon visage fatigué semble perpétuer la douleur des anges
Tous ces sens sont là comme les brisants du littoral
Attendant qu’on s’échoue sur eux pour déchirer l’écho noir de l’hiver
Alors je me laisse atteindre en cette embrasure divine
Et je bois la nuit au goulot froid de la fenêtre
Je regarde au loin si les collines de Créhange dorment encore un peu
Puis je crie en silence mon âme vers demain.
***
Le vent couve
Sous les braises
L’âme blanche neige
Entre les ponts de l’oubli
Tout est mistral
Ici
Comme ailleurs
Les jours déshabillent la nature
L’écorce tombe
Manteau double qui soulève
La paupière de la forêt
Là où s’endort l’étoile invisible
Et où revit la terre noire des pensées.
***
Je heurte le seuil
Et trébuche
La neige déboule entre les doigts
Ventrus de l’aube
Mes pas s’allongent
Le vent immobile tord les arbres noirs
Léger comme les ombres
Mon corps ploie sous la lumière
Le ciel squelettique
Laisse sa pluie effleurer mon visage
De gros nuages gris passent
Entre les collines
Collision de pensées et de silences
L’hiver souffle sa blancheur glaciale
Je marche avec le bleu du lendemain à l’esprit
Ne craignant que l’empreinte des louves
Et les rêves à l’odeur d'épicéa
La forêt gronde et craque
J’entends les branches grincer
Comme des articulations besogneuses
Les bergers au loin font tinter les cloches des vaches perdues
Et le pays immaculé rougit
Sous un soleil de perdition.
***
Le vrai silence n’est pas celui du cœur
Il est celui qui bat sous les paupières
Et qui regarde l’univers en ne disant que des étoiles
Il appauvrit la roche mais enrichit l'arbre
Il est celui qui touche les lèvres et
Posant un doigt sur elles cèle l’avenir
En un seul souffle béni
Le vrai silence ne tue pas il perfore l’immensité
Il brandit l'écho de la grandeur jusqu’aux plus petites veines
Il s’émancipe de la terre jusqu'au ciel
Et passe dans les mailles du temps
Caressant les joues pures et les visages glacés.
***
Est-elle devenue cicatrice
Cette déchirure en toi qui ôtait tout répit
A-t-elle effacé d’elle-même la douleur
S’est-elle évanouie dans l’océan houleux
De tes silences
Le désir de guérir t’a-t-il foudroyé
Comme un écho blessant
Et le temps infini de la métamorphose
Est-il passé sur toi
Comme L’écorce recouvre l’aubier
Es-tu branche ou racine
De quel bois proviens-tu
Et les traces en toi des tempêtes
Sont-elles de simples traces
Ou bien des plaies que rien n’apaise ni ne panse
La vie est une meurtrissure
Tu le sais par tes feuillages
Tu le sais par tes fruits
Ils mûrissent au soleil parce que les jours
T’ont entaillé parce que les nuits T’ont privé de lumière
Tu grandis vers le ciel au seul son du grondement terrestre
À la seule murmuration du monde
À la vibration grandiose de l’univers
Qui comme ton cœur bat dans son étoffe de chair invisible
Tu n’es pas que césure
Tu es le corps vivant de toute destinée
Et ton instinct que nul ne peut saisir
Donne aux forêts rivières champs d’humus et de béton
La musique intérieure qu’il faut pour être unique
Tu n’es pas seul ici bas
Tous les êtres comme toi s’unissent à ton appel
Et ta voix grave dans le noir est parvenue jusqu’à moi
Je l’entends encore ce soir même
Et je prie les yeux levés vers les cimes
Que l’ébauche de ton nom
Soit sculptée dans la pierre où coulent toutes les eaux…
© Khamylle-Abel Delalande
Février 2020
In Le Témoignage du dormeur
KHAMYLLE-ABEL DELALANDE
Il se présente :
Poète breton né à Dinard en 1981. Il fait ses études universitaires de Lettres à Rennes. Après quelques années d'enseignement sur Paris et la Bretagne, il se consacre aujourd'hui exclusivement à l'écriture. Il a publié plusieurs recueils dont La Traversée du non-lieu (2013), La Conjuration des Roses (2018), Sémantique de l'absence (2018). Il a été publié dernièrement dans les revues Le Capital des mots et La Page blanche. Il fera quelques apparitions très bientôt dans la revue Lichen.
Il anime aujourd'hui son blog d'artiste : khamylle-abel-delalande.over-blog.com