Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - SANDRINE CERRUTI

Publié par Le Capital des Mots sur 9 Juin 2020, 08:58am

Catégories : #poèmes

outrefeu

 


 

l’enfant-feu


 


 

 

feu l’enfant 

 

il est mort l’enfant 

 

feu l’enfant vraiment 

 

il a vraiment brûlé le plus petit enfant

avec les milliers d’autres enfants

l’enfant génocidé parmi les autres

dans l’amoncellement grossissant des humains

leurs tas de bras

leurs tas de jambes

leurs tas de mains

des grandes

des petites

toutes ces jambes

ces bras

ces ongles d’humains

c’est le tas de cendres des exterminés de l’humanité

 

celui dans lequel est dissimulé le plus petit des enfants 

 

là-bas au fond de l’ombre

tout au fond

sous la projection de l’ombre de l’ombre

sous les couches des os des cendres des incinérés

 

l’enfant n’est pas mort

 

l’enfant n’est pas mort

 

il n’est pas mort le plus petit enfant

 

il fait le mort l’enfant

 

 

il fait son petit enfant mort dans le périmètre oublié de la fournaise

il a su se faire oublier

il fait son petit mort bien respirant sous les cendres des fours

des cendres pleines de dents

de dents qui pleurent leurs mâchoires incinérées

leurs mâchoires qui ne peuvent plus crier

qui ne peuvent plus crier à l’incendie de l’humanité

qui ne peuvent plus hurler à la calcination de ceux qui n’ont rien fait

rien fait que former l’humanité

 

parce que c’est ça le crime

c’est juste former l’humanité

 

alors parce que former l’humanité, c’est le crime

alors on les a séparés de l’humanité

au feu tous les doigts

les bras

les jambes

les yeux de la simple humanité

des yeux qui ont eu le temps de pleurer avant d’entrer dans l’enfer de l’étuve tueuse

dans le brasier des âmes des humains balancées au feu sans qu’ils aient pu se retourner

des humains aux pupilles jetées au cœur des âmes de ceux qui vont y passer

de ceux qui vont venir s’entasser aux cendres des carbonisés

 

 

 

pour former des tas d’humains brûlés

des tas d’humains réduits aux tas de leurs propres cendres mêlées

 

 

mais lui

l’enfant

il attend

 

 

il attend

 

 

l’enfant attend une nuit

 

l’enfant attend un jour

 

il attend l’interstice

 

et quand il est prêt

il vole un peu du feu du brasier géant de l’humanité calcinée

 

et il avale l’étincelle

 

alors il est l’enfant qui porte le feu retourné le feu inversé

le feu qui fait l’enfant-feu

un parmi les autres enfants-feu

les enfants-feu qui mettent le feu le feu élémentaire

le feu à reconstituer l’humanité

 


 


 


 


 


 


 


 


 

plume et sang


 

vite

j’ai pris une plume sur le cadavre bouillant de l’oiseau

de l’oiseau au corps brûlant

 

de l’oiseau tué pour n’avoir rien fait

 

vite

j’ai trempé la plume dans son sang échappé

je l’ai trempée dans le sang de l’oiseau innocent qui a payé de sa vie pour toutes les souffrances de tous les innocents

 

vite

j’ai dessiné les veines de l’oiseau

des veines par dizaines

des veines

des croisées de veines par centaines

des réseaux entrecroisés d’artères

de veinules

des veines entrelacées aux gaines glissantes

des veines gorgées de sang visqueux

d’un sang bleuté et gluant

des veines qui se sont ramassées

qui se sont resserrées en un cœur

et des ventricules ont commencé à palpiter

 

et le cœur s’est lancé

 

 

 

 

 

 

 

 

vite

j’ai dessiné les organes vitaux de l’oiseau

des organes racinés autour du cœur

du cœur qui palpite avec la régularité inédite d’un temps neuf

des organes écarlates

resserrés

pansus de sang épais

 

alors j’ai griffonné la nouvelle chair de l’oiseau autour de ses nouveaux os

de larges os de calcaire au cœur de moelle électrique

 

et les nouvelles ailes de l’oiseau ont convulsé en tremblements de vie

 

 

puis j’ai tracé toutes les plumes

chaque belle plume

délicatement une par une

chaque plume

 

et la tête de l’oiseau a convulsé

 

vite

je lui ai posé ses beaux yeux

de beaux yeux d’oiseau aux pupilles toutes dilatées par leur naissance à la violence solaire

et je lui ai posé son bec jaune

 

à articuler les silences

 

les silences de l’oiseau mort dans son sang duquel il renaît

 


 


 


 


 

 

les orties orange

 

 

ce soir elle rentre à pied parce que l’horizon

l’horizon d’orage

oui l’horizon ne s’éteint plus

c’est beau

c’est beau comme du jamais vu

non jamais

beau comme un horizon qui ne s’éteint pas

ça existe

un horizon qui ne s’éteint pas ça existe

 

toi là-bas

oui

toi de l’autre côté

viens

viens par là

viens

viens voir avec moi le jamais vu

 

on n’a jamais vu ça

on va vers la ligne de feu que rien ne peut éteindre

 

rien

 

regarde-moi ça 

rien ne peut l’éteindre

aucune eau

ni l’eau des nuages

ni celle des sources

et encore moins l’eau de tous les océans

mais oui

tu m’entends bien

 

 

rien ne peut rien contre ce feu que l’on n’éteint pas

 

les cieux se tisonnent et se craquèlent de toutes leurs brisures rouges de nuages difractés par la foudre

leur éclatement vole en éclats de mouches folles qui zèbrent le ciel de leur énervement

de leur rage d’étincelles d’insectes qui craquent comme des têtes d’allumettes devenues folles

 

c’est du feu qui est plus que le feu

c’est le feu qui est le feu

c’est l’outrefeu

 

viens

allez viens

viens je te dis

on avance dans sa direction

de ligne qui chancelle et recule en se consumant

regarde

c’est ça le mystère

on va vers les orties orange

les orties de feu

les orties de flammes

les orties qui ne peuvent plus mourir

 

allez viens

c’est le moment de la cueillette des orties orange

de la marche aux orties de feu

aux orties d’outrefeu

 

 


 


 

 

 

SANDRINE CERRUTI 

 

Elle se présente : 

 

 

Formation : Lettres, sciences du langage, philosophie. Enseignante. Sophrologue. Maman d’Olivier 8 ans. Authentique résiliente. J’ai décidé que la poésie serait définitivement ma maison. L’écriture du poème a pris sa place vitale dans mon existence. L’écriture poétique est ontogénésique, le poème est l’expression de l’être. L’être de celui qui écrit, tourné vers les êtres lecteurs.

J’ai aussi un second projet d’écriture en parallèle : l’écriture d’une thèse sur Céline Arnauld. Son oubli littéraire est une honte. Je souhaiterais la sortir de l’ombre d’un fossoyage injuste. Si le surréalisme célèbre la femme, parmi les poètes reconnus, combien de femmes ?

J’ai écrit Outrefeu qui est un itinéraire poétique dense : depuis la descente aux enfers intérieurs, jusqu’à la marche à outrefeu. J’ai eu la chance d’être retenue par quelques revues. Un grand merci à la passion qui anime les revuistes !


 

Sandrine Cerruti .- DR

Sandrine Cerruti .- DR

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