outrefeu
l’enfant-feu
feu l’enfant
il est mort l’enfant
feu l’enfant vraiment
il a vraiment brûlé le plus petit enfant
avec les milliers d’autres enfants
l’enfant génocidé parmi les autres
dans l’amoncellement grossissant des humains
leurs tas de bras
leurs tas de jambes
leurs tas de mains
des grandes
des petites
toutes ces jambes
ces bras
ces ongles d’humains
c’est le tas de cendres des exterminés de l’humanité
celui dans lequel est dissimulé le plus petit des enfants
là-bas au fond de l’ombre
tout au fond
sous la projection de l’ombre de l’ombre
sous les couches des os des cendres des incinérés
l’enfant n’est pas mort
l’enfant n’est pas mort
il n’est pas mort le plus petit enfant
il fait le mort l’enfant
il fait son petit enfant mort dans le périmètre oublié de la fournaise
il a su se faire oublier
il fait son petit mort bien respirant sous les cendres des fours
des cendres pleines de dents
de dents qui pleurent leurs mâchoires incinérées
leurs mâchoires qui ne peuvent plus crier
qui ne peuvent plus crier à l’incendie de l’humanité
qui ne peuvent plus hurler à la calcination de ceux qui n’ont rien fait
rien fait que former l’humanité
parce que c’est ça le crime
c’est juste former l’humanité
alors parce que former l’humanité, c’est le crime
alors on les a séparés de l’humanité
au feu tous les doigts
les bras
les jambes
les yeux de la simple humanité
des yeux qui ont eu le temps de pleurer avant d’entrer dans l’enfer de l’étuve tueuse
dans le brasier des âmes des humains balancées au feu sans qu’ils aient pu se retourner
des humains aux pupilles jetées au cœur des âmes de ceux qui vont y passer
de ceux qui vont venir s’entasser aux cendres des carbonisés
pour former des tas d’humains brûlés
des tas d’humains réduits aux tas de leurs propres cendres mêlées
mais lui
l’enfant
il attend
il attend
l’enfant attend une nuit
l’enfant attend un jour
il attend l’interstice
et quand il est prêt
il vole un peu du feu du brasier géant de l’humanité calcinée
et il avale l’étincelle
alors il est l’enfant qui porte le feu retourné le feu inversé
le feu qui fait l’enfant-feu
un parmi les autres enfants-feu
les enfants-feu qui mettent le feu le feu élémentaire
le feu à reconstituer l’humanité
plume et sang
vite
j’ai pris une plume sur le cadavre bouillant de l’oiseau
de l’oiseau au corps brûlant
de l’oiseau tué pour n’avoir rien fait
vite
j’ai trempé la plume dans son sang échappé
je l’ai trempée dans le sang de l’oiseau innocent qui a payé de sa vie pour toutes les souffrances de tous les innocents
vite
j’ai dessiné les veines de l’oiseau
des veines par dizaines
des veines
des croisées de veines par centaines
des réseaux entrecroisés d’artères
de veinules
des veines entrelacées aux gaines glissantes
des veines gorgées de sang visqueux
d’un sang bleuté et gluant
des veines qui se sont ramassées
qui se sont resserrées en un cœur
et des ventricules ont commencé à palpiter
et le cœur s’est lancé
vite
j’ai dessiné les organes vitaux de l’oiseau
des organes racinés autour du cœur
du cœur qui palpite avec la régularité inédite d’un temps neuf
des organes écarlates
resserrés
pansus de sang épais
alors j’ai griffonné la nouvelle chair de l’oiseau autour de ses nouveaux os
de larges os de calcaire au cœur de moelle électrique
et les nouvelles ailes de l’oiseau ont convulsé en tremblements de vie
puis j’ai tracé toutes les plumes
chaque belle plume
délicatement une par une
chaque plume
et la tête de l’oiseau a convulsé
vite
je lui ai posé ses beaux yeux
de beaux yeux d’oiseau aux pupilles toutes dilatées par leur naissance à la violence solaire
et je lui ai posé son bec jaune
à articuler les silences
les silences de l’oiseau mort dans son sang duquel il renaît
les orties orange
ce soir elle rentre à pied parce que l’horizon
l’horizon d’orage
oui l’horizon ne s’éteint plus
c’est beau
c’est beau comme du jamais vu
non jamais
beau comme un horizon qui ne s’éteint pas
ça existe
un horizon qui ne s’éteint pas ça existe
toi là-bas
oui
toi de l’autre côté
viens
viens par là
viens
viens voir avec moi le jamais vu
on n’a jamais vu ça
on va vers la ligne de feu que rien ne peut éteindre
rien
regarde-moi ça
rien ne peut l’éteindre
aucune eau
ni l’eau des nuages
ni celle des sources
et encore moins l’eau de tous les océans
mais oui
tu m’entends bien
rien ne peut rien contre ce feu que l’on n’éteint pas
les cieux se tisonnent et se craquèlent de toutes leurs brisures rouges de nuages difractés par la foudre
leur éclatement vole en éclats de mouches folles qui zèbrent le ciel de leur énervement
de leur rage d’étincelles d’insectes qui craquent comme des têtes d’allumettes devenues folles
c’est du feu qui est plus que le feu
c’est le feu qui est le feu
c’est l’outrefeu
viens
allez viens
viens je te dis
on avance dans sa direction
de ligne qui chancelle et recule en se consumant
regarde
c’est ça le mystère
on va vers les orties orange
les orties de feu
les orties de flammes
les orties qui ne peuvent plus mourir
allez viens
c’est le moment de la cueillette des orties orange
de la marche aux orties de feu
aux orties d’outrefeu
SANDRINE CERRUTI
Elle se présente :
Formation : Lettres, sciences du langage, philosophie. Enseignante. Sophrologue. Maman d’Olivier 8 ans. Authentique résiliente. J’ai décidé que la poésie serait définitivement ma maison. L’écriture du poème a pris sa place vitale dans mon existence. L’écriture poétique est ontogénésique, le poème est l’expression de l’être. L’être de celui qui écrit, tourné vers les êtres lecteurs.
J’ai aussi un second projet d’écriture en parallèle : l’écriture d’une thèse sur Céline Arnauld. Son oubli littéraire est une honte. Je souhaiterais la sortir de l’ombre d’un fossoyage injuste. Si le surréalisme célèbre la femme, parmi les poètes reconnus, combien de femmes ?
J’ai écrit Outrefeu qui est un itinéraire poétique dense : depuis la descente aux enfers intérieurs, jusqu’à la marche à outrefeu. J’ai eu la chance d’être retenue par quelques revues. Un grand merci à la passion qui anime les revuistes !