Amour d’enfance
Les deux enfants, une fille et un garçon, jouent ensemble auprès d’une cheminée dont le foyer orangé réchauffe le salon sans relief d’une maison, perdue au beau milieu d’une petite ville du Parisis. Les chérubins se sentent bien ensemble, ils ne font de mal à personne à s’amuser comme des enfants. Le cousin et la cousine ne se voient pas souvent, mais ils se retrouvent immédiatement et spontanément lorsqu’ils se rencontrent à nouveau. Comme si le temps ne s’était pas écoulé pendant leur séparation, ils reprennent leurs jeux tout naturellement, sans discuter, tant tout ce qui se passe entre eux leur semble relever d’une évidence indiscutable. Ils paraissent inséparables. Ils s’aiment comme des enfants peuvent s’aimer, en toute innocence. Ils ne savent pas qu’ils s’aiment. Ils ne savent pas non plus qu’ils aiment se retrouver, mais ils le sentent bien : ils sentent bien qu’ils s’apaisent à simplement être ensemble. Ils savent encore moins pourquoi ils ont tant besoin d’être apaisés. Le garçon comprendra, beaucoup plus tard, que son père est tourmenté par des images effrayantes et des obsessions récurrentes qui perturbent le tréfonds de son âme en souffrance : lors d’une crise qui marquera le garçon à vif et à vie, il lui transmettra l’angoisse d’exister, en héritage ; le garçon a dix ans à ce moment décisif qui signe le basculement de sa vie dans le vide …
Peut-être sa cousine l’a-t-elle alors rassuré par sa simple présence, aimante, généreuse et chaleureuse, douce et détendue comme l’insouciante vie des innocents. Fabienne rime avec Adrienne, l’étoile perdue que Nerval croit retrouver sous les traits d’Aurélia dont le visage angélique, transfiguré par le désir tortueux et torturé du poète romantique, figure à ses yeux l’idéal sublime de l’ange incarnée. Fabienne n’est pas décédée comme Adrienne, mais quelque chose a bien trépassé. Ce n’est pas son corps qui est mort, c’est leur amour d’enfance qui fut cruellement mis à mort par leur entourage familial.
Leurs parents s’inquiètent en effet de cet amour hors du temps, tout en affectant de s’amuser de l’attachement de ces deux enfants qui ressemblent à un couple d’Inséparables, ces paires de petits perroquets collés l’un contre l’autre en raison de l’affection ou de l’amour (agapè) qu’ils éprouveraient l’un pour l’autre (Agapornis personatus). Loin de s’en moquer pourtant, les adultes blessent de leurs moqueries le cœur meurtri des inséparables. Faisant fi de l’âge des enfants, les parents obsédés sont effrayés par la perspective d’un mariage consanguin entre doubles cousins germains. Les cris des corbeaux terrifient l’esprit des oisillons affaiblis qui se réfugient dans leur nid d’amour pour soigner leurs plaies, un temps du moins : le temps de se résigner à se séparer corps et âme, à tout jamais, et à tout jamais blessés dans leur intimité. En condamnant à mort cet amour prétendument interdit, les parents terrorisent et traumatisent à vie les enfants innocents. Accusé d’un crime à tort, le corps de l’amor est mis à mort dans la chair même du désir.
Échappant au désastre, l’étoile morte n’a cessé de briller, au fond du firmament intime d’une folie lunatique, régnant, tout en douceur, sur la vie secrète d’un poète inconnu, comme un astre éperdu dont la luminescence éclatée a rayonné discrètement aux confins de son cœur ébranlé. Inséparable rime avec inoubliable et mémorable : l’incantation, à tout jamais infinie, resterait inachevée si le chant bleuté des inséparables masqués à leurs propres yeux ne parvenait à faire rimer l’inoubliable et le mémorable, en accordant l’insondable souffrance de la blessure infligée et l’adorable présence de l’amour apaisé. L’amour d’enfance restera toujours un présent des dieux…
NADEJDA
Il se présente :
Ce poète de l’ombre se dénomme Nadejda (Надежда), du nom russe de l’espérance qui gît au fond de la boîte de Pandore. Ses poésies livrent en pâture une intimité transfigurée, ses rêves les plus fous, sa vision sublimée de la beauté, dans un recueil en gestation. Nostalgia est son nom : c’est le nom caché de la vacance de l’être les jours ouvrables de la semaine, le nom caché de l’ajournement extraordinaire de la vie ordinaire les jours de fête, l’ouverture à l’existence du merveilleux dans le monde. Il s’agirait d’y raconter une histoire au plus haut point imaginaire, une histoire déplacée, l’histoire d’un temps partagé en privé, hors des feux de la rampe qui brûlent les envies, l’histoire d’une rencontre impossible, vécue comme un rêve éveillé...