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Être au monde,
peser le poids de son absence.
La ligne trembleuse des mots n’étant
que le reflet de cette absence-présence.
De pierre, de sable ou de cendres à la fin,
seuls les mots ne pourrissent pas.
Nommer ses manques.
Ecrire.
Car la mort est aphasique.
Poésie… lumière noire
sur le ciel blanc de la page.
Quelque chose qui reviendrait au silence.
La mort c’est un problème de vivant. D’ailleurs pas tant la mort que la rupture, l’inévitable tombé de rideau ; ni passage, ni envers occulte du décor, ni mots pour désigner le non-lieu auquel peu d’esprits ne peuvent se résigner sans perte de discernement. Et combien déchirant cet appel du vide sourd à notre raison aveuglée par les fausses promesses du jour qui se lève encore.
Puisque rien jamais n’est accompli
– plutôt interrompu –
qu’aucune preuve n’est établie, jamais,
que les traces même disparaissent à la fin,
puisqu’au soir venu
un voile obscurcit le chemin,
puisque le présent se ligue, le passé se fissure
– vaisselle fêlée, pages cornées, vieilles serrures –
quel sursaut d’avenir te pousse encore
à démêler les fils de l’intrigue ?
Ma mère
son petit parapluie voltigeait dans la foule.
Son petit parapluie
dans la foule voltigeait ma mère…
Obsédants ces mots revenus
déposés dans un souffle
sur la vague légère.
Légère ma mère
son petit parapluie faussement débonnaire
avec quels fantômes croisait-il le fer?
Ma mère
parapluie petit voltigeur
main de noyée
dans la mer aveugle des marcheurs
ton fils écrit des mots dérisoires
qu’on retrouvera peut-être
serrés dans la main d’un passeur.
À moins que la mort ne vienne avec l’oubli
quand les mots
cendres éparses
auront cessé leur petit roulis.
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Circonvolutions
Faux jeton, escobar, vieille anguille ! je me dis, quitte à finir un de ces quatre matins ventre en l’air à la surface du bocal, il n’y a plus à tourner autour du mot, à sonder plus longtemps les fonds abyssaux de l’aquarium et de la page blanche, tu vas me faire le plaisir – certes pas le mien, rechignai-je à part moi qui sue sang et encre pour démarrer ce tortillard de poème – de te mettre à écrire illico. Et de renchérir presto : - tu n’es d’ailleurs pas en reste d’inspiration ; il y a tant à dire sur la condition humaine : de l’humeur guerrière des fourmis Tetraponera à l’inconstance en amour des chimpanzés bonobos, tant à gloser sur l’homme, ce singe dégénéré capable au demeurant d’un imparfait du subjonctif et à la confrérie duquel – ajoutai-je in petto – je suis tenu d’appartenir depuis que tout décontenancé mais français bon catholique je débarquai en 1950 et des poussières sur cette planète, quelques années après la bombe et l’Holocauste et où à part l’avoir échappé belle, il n’y avait pas de quoi pérorer. Et je ne pérorai pas ! Mais rasai au contraire les murs de la cour de l’école Lemercier où maintes fois des indiens de sept ans, farouches descendants des poseurs de la bombe, faillirent me scalper au prétexte que je réprouvais leurs us et coutumes. Mais revenons à nos anguilles. Je est cet autre qui me tarabuste, me reproche mes digressions, dubitatif quand je lui rétorque que je m’enquiers dorénavant de promouvoir en littérature un art du bref et du contournement. – Un art du bref, faut voir ! il me fait narquois. Car tu noies le poisson et plus que trop je t’assure. Ton anguille a bu la tasse avec les fourmis et les singes. Alors, pour résister à l’emprise du doute, pour ne pas transformer mon poème en cocotte en papier et mon cœur en bouillie de chiffons, j’ai bataillé un peu avec les faits, prenant l’autre à témoin de ma nullité en matière d’entomologie et de mes connaissances simiennes limitées à quelques fréquentations déplorables. (Pour autant j’essayai, mais en vain, de lui cacher l’abîme de mon inculture qui ne se borne pas à la zoologie.) À la fin j’ai dû convenir avec lui que je n’avais pas vraiment d’histoires à raconter, sinon sur quelques lignes de portée ma petite musique à faire entendre. Et puis lui avouai-je, dans mon jabot de plumitif je n’amoncelle que petits cailloux à jeter dans l’eau. Pour le plaisir de faire des ronds et gagner le large. Quitte à me perdre en circonvolutions.
JACQUES ROLLAND
Présentation :
je suis né à Paris en 1952 et suis le papa de deux enfants. J'exerce le métier d'éducateur de rue dans l'agglomération lyonnaise. Après un retour tardif à l'écriture, je n'ai publié ces dernières années que des textes épars dans quelques revues imprimées ou en ligne : La Page Blanche, Les Cahiers de Poésie, Francopolis, Ecrits...vains ?, Pleutil...)
J'écris pour me mettre d'accord, pour que mes mots se souviennent de moi, pour devenir complice, j'écris à mes moments gagnés sur mon temps perdu, j'écris parce que quelque chose " me " dit.
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