**
MUROL
D’une froidure de désirs morts s’échappe une odeur absente, comme une vague terre humide qui s’assèche. La perle de cristal a
fui. Et ses blessures de verre tranchant enferment nu son bourreau dans une spire close. Point de portes, point de lumière. Prisonnière, la frêle gracieuseté de ses mouvements entrevus dans les
songes ne fait qu’enserrer dans les cales nocturnes des tourments partagés. Ecorchée son enfance, écartelée sa confiance. Comme aimanté par ce trou noir, j’y tombai, tel un âne, devenant à mon
tour le vautour lunaire qui l’avait creusé d’échancrures qui jamais ne se referment. Le riant castel de nos rêves s’engloutit dans d’obscures oubliettes, où rien ne s’oublie. Les murs lentement
se rapprochent, et l’enivrante présence de ses élégances nuageuses, de ses délicatesses parfumées, de ses chants envoûtants s’enfouit dans les sombres tunnels de la répétition. Je la vois encore,
fuir comme la lumière, et revenir déchiquetée, déchirée par un autre vautour, à tête de chacal, et j’ai mal entendu cette violence, éclaboussant rageusement l’innocente de la médisance
d’innocence. Le crabe du soupçon m’enferma dans la distance. La fusion solaire avait été trop soudaine, et vint le gris sourd et lourd du soir d’ivresse, ignoble démon. Je devins le nouveau
vautour, acharné à ses yeux sur sa chair pure, lave de béatitudes, comme un ciel d’orages cruels sur une paisible plaine, courbée de suaves nuances. L’événement ne saurait être rejoué, les
prières sont vaines et les serments n’ont plus cours. La dulie de l’ange s’évapore. Les syllabes de l’amour se détachent : que je mourusse ! Entre les bastions de nos rêveries illuminées, les
courtines se resserrent, on ne saurait plus aller à la baille, courir à la joie. Se dire que ce bagne est son œuvre donne à se brûler. Il est tant aisé de briser un cristal qu’il est trop vain de
s’enterrer en plaidant qu’un léger vent de sable eût pu l’annihiler d’un simple souffle chaud. Les murailles qui séparent sont l’effet des oublis que rien n’absout. De telles fleurs caressantes
doivent être à l’abri de nos emportements. Sinon, les ponts-levis se dressent, et le tendre et ductile quartz rose se recroqueville dans son coquillage encore flamboyant de délices sauvages. Le
fauteur de troubles ne saurait plus que contempler au loin, en se lacérant, stupide, la solitude blessée du serein donjon où s’enferme la dame, protecteur et impénétrable.
ALAIN BOYER
Alain Boyer.
Né en 1954 à Clermont-Ferrand.
ENS (Ulm) 1974.
Agrégation de Philosophie (1977).
Professeur de Philosophie Morale et Politique à Paris IV-Sorbonne depuis 1998.
Publications (choix de) :
Introduction à la lecture de Karl Popper, PENS, 1994
L’Explication en Histoire, PUL, Lille, 1992
Hors du Temps, Vrin, 2001
Kant et Epicure, PUF, 2004
Ma Nue. Thérapoétique, Publibook, 2007.
**