J’ai bu tous les poisons
J’ai bu le poison du sang noir qui coulait de tes veines
A même tes poignets tranchés.
Toi et moi, issus du même lit.
La lune rousse se reflétait dans tes yeux
Ta lente agonie.
Tu m’as dit c’est mieux comme ça.
Je t’ai dit adieu.
Le poison blanc avait coulé sur mes lèvres, nectar des dieux impies
En pur délice.
J’étais encore une enfant, et toi déjà coupable.
Tu voulais me quitter.
Toi et moi dans un seul corps. L’écume au bord des lèvres
Tu as bu le poison
Et le ressac de la mer.
Au loin, le grondement du tonnerre.
Tu te déchaînes, tu pars, déjà.
Je reste, seule, avec mes sens interdits.
J’ai dix ans.
J’ai bu tous les poisons.
Toi, poisson-chat, tu ondules et glisses entre mes jambes.
J’essuie l’écume et le sang.
**
Présages
Morgane rêve…
Des langues de feu zèbrent un ciel d’encre
Présages de la grande bataille à venir
Horizons embrasés
Fulgurance
La pâle Guenièvre, la tête dans les mains
Elle voit les serpents enroulés autour de ses poignets
Elle se signe
Tend les bras vers le ciel puis s’écroule terrassée par ses visions
Il y a du sang
L’enfant qu’elle porte en elle depuis quatre mois est mort
Morgane s’entaille la main et dessine
Un dragon de sang
A même le sol
Tout autour d’elle est désolation et vertiges.
Au-delà d’abîmes insondables apparaît le lac.
Emerge des eaux un long cou suivi par un corps sinueux
Couvert d’écailles s’avançant en rampant vers le rivage
Glissant se tordant comme un reptile.
Un chien éventré hurle à la mort.
**
Visions
Parfois, lorsque la lune était pleine, elle allait boire à la source sacrée
Et se penchait sur les eaux paisibles
Elle allumait un feu
Elle égorgea son chat blanc comme neige
Moment cruel mais fatal
Car elle aimait passionnément l’animal
Elle eut un haut le cœur en respirant l’odeur fade
Elle jeta alors le sang dans le feu et appela trois fois
Morgane ! Morgane ! Morgane !
Une Silhouette se dessina peu à peu dans la pénombre
Une voix lointaine s’éleva
Il lui apparut, maigre et décharné
Couvert de peaux de bêtes, l’air halluciné
Courant à perdre haleine dans la forêt comme un animal aux abois
L’instant d’après une force irrésistible l’obligeait à se lever
Elle eut l’impression de quitter le sol
Oui elle planait… Elle survolait la pièce, elle montait plus haut
Toujours plus haut, toujours plus loin
Les yeux remplis d’effroyables visions
Vaisseaux de guerre en forme de dragons
Un vol de corbeaux passa en croassant
Mauvais présage
Extraits de "Nouvelles lunes" ( Inédit)
CATHERINE ANDRIEU
Née en 1978, Catherine Andrieu a étudié puis enseigné la philosophie. Elle a publié un essai sur Spinoza aux éditions de L'Harmattan. Peintre et poète ( site d'art: http://www.catleen.eu), elle publie Poèmes de la Mémoire oraculaire aux éditions du Petit pavé en 2010.