LE PASSAGE
Il fait chaud, une de ces chaleurs moites qui vous colle au corps comme une seconde peau.
Il est recroquevillé derrière le rideau poussiéreux, le mouchoir à la main déjà trempé de désir et d'impatience. Il ne voudrait pour rien au monde rater son
passage, la vue lumineuse de ses jambes fuselées qui appellent le regard vers des paradis interdits, son déhanchement de dentelle et d'air pur, le doux balancement de ses doigts épousant le galbe
de ses cuisses, les mots qu'elle pourrait abandonner dans la caresse du bitume, toutes les histoires à inventer, tous les regrets, toute l'impuissance en un seul nœud de gorge et de sexe
refoulé.
Il se tient les mains crispées aux roues de son fauteuil, allant d'avant en arrière comme un navire à la dérive, les yeux rivés sur la rue balayée
d'effluves.
Il va être l'heure. Il la sent, animal à l'affût, guettant sa proie insouciante et généreuse. La salive remonte jusqu'aux commissures de ses lèvres et de
folles visions tendent le tissu humide de son pyjama jusqu'au creux de son ventre en ébullition.
Voulant se redresser davantage il se tasse un peu plus au fond des coussins maculés et cloue son regard sur le rythme du dehors, là où tout se joue, là où
est la vraie vie, là où il n'a plus sa place, là où les secondes prennent soudain un goût d'éternité...
La voici. Déesse enrubannée de soleil, la reine des reines ! Et le monde devient le théâtre magique où tout est permis, fulgurance, le temps d'une
respiration, de parcourir avide la courbe de ses hanches, la rondeur de ses seins, le parfum de ses longs cheveux blancs, puis le mur !
La dure réalité du retour sur soi. Disparue, envolée, gobée par la fureur de la ville !
Le voici seul à nouveau, vissé à son fauteuil qui sent le dépit et la frustration ; sa croix, le compagnon d'un calvaire au quotidien qui lui broie l'âme et
l'esprit.
Il s'éloigne à reculons avec la tristesse d'un chien battu, la queue entre les cuisses avec ce liquide chaud qui lui dévore la peau.
Il ouvre sans conviction la porte du frigo puis plonge la main dans la froide lumière pour en retirer son autre souffrance, cette bière à peu de frais qui
le console le temps de quelques larmes.
Il s'oubliera le soir tombant, jusqu'au doux lever du jour où il l'attendra de nouveau, vieux bébé ridé collé à la vitre de ses rêves morts-nés, le mouchoir
à la main et un sourire de carton pâte en travers du visage.
FRANCIS DENIS
Il se présente :
Je vous invite à visiter mon blog Télérama où vous découvrirez peinture et écriture:
http://wizzz.telerama.fr/regardeurs
Pour info, mon premier recueil de nouvelles doit sortir aux Editions Kirographaires en septembre.
Voir lien ci-dessous:
http://www.edkiro.fr/les-saisons-de-mauve-ou-le-chant-des-cactus.html