Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS- JEAN-CLAUDE CAILLETTE

Publié par ERIC DUBOIS sur 14 Mars 2011, 10:42am

Catégories : #poèmes

Harris et couic

 

Bon !

Sont plantés là, bouches ouvertes, trognes tumescentes, morveux !

Lui, concentration maximale, visage contracté, commissures abaissées.

L’autre, l’étonnement dans la contemplation, une certaine sérénité hébétée.

- Saperlipopette ! Psalmodie Couic. C’est le seul juron qu’elle connaisse.

- Merde de merde, qui dit l’autre. Lui, non !

L’autre, c’est Harris. Son père, un jour de dèche a ‘’tiré’’ une veste dans un magasin. À l’intérieur, une étiquette mentionnait ‘’Harris tweed of London‘’ Il en avait été si content qu’il avait voulu prénommer son premier enfant Harris-tweed. Alors, va pour Harris !

Elle, sa ‘’chair’’ et tendre, c’est Couic. Son vrai prénom, c’est vingt-sept de

‘’l’A.P. Limoges’’. On ignore l’origine de son surnom ! Certains disent que c’est à cause des chats qu’elle a tués. Étant gamine… Les chats… ‘’Couic’’ ! Ça lui serait resté !

 

Bon !

- C’est quoi ct’affaire ? Interroge Harris.

Dans le courrier du matin, une carte couverte de signes mystérieux.

 

 

 

 

 

 

- Ben, ça alors ! Qu’elle dit, Couic.

- Touche z’y pas ! Faut montrer ça au curé… Rapport au malin !

Harris parle peu mais cause juste !

 

Bon !

V’la-t’y pas qu’ils sonnent au presbytère…

Le prêtre, l’est pas content d’être dérangé dans sa sieste.

Contrairement au curé de Cucugnan, l’est long et maigre, l’écoute les doléances du couple aussi religieusement que lui permet sa mauvaise humeur.

- Mon dieu ! Mon Dieu ! Faites voir ?

L’a étudié le latin et lit ‘’La croix’’ tous les matins.

Après un moment d’examen, l’est aussi dépité qu’un tauriau à l’insémination artificielle.

- Jésus, Marie, Joseph ! Non, j’vois pas !

L’est vexé et n’a qu’une hâte, celle de retrouver son fauteuil et sa tisane ‘’fleurs de simples’’

Il bénit le couple, la carte - on ne sait jamais - et les congédie.

 

Bon !

- Ma ! Faudrait pas trop charger la mule, quand même, qu’elle dit Couic.

- Oui ! Pardieu ! Qui répond Harris.

- J’t’avais dit que la religion, c’était pas pour les chrétiens ! Qui dit Harris avec toute la mauvaise foi des incroyants.

Suffit pas d’aller au paradis quand on a cassé sa pipe, faut être malin !

Et l’est malin le Maire ! À preuve, l’a acheté les voix de ses concitoyens et toutes les terres alentour. Maintenant, il prête au prix de l’usure… du moral de chacun.

- Vla pour le Maire, qu’elle dit Couic. Il reçoit ses lecteurs tous les lundi matin.

 

Bon !

Ce Maire ! Tellement sympathique, tellement enjoué ! Et de serrer les mains d’Harris ! Et d’étreindre Couic.

Le chef de famille montre la carte avec toute la soumission des victimes.

Le Maire meurtrit l’épaule d’Harris.

- Ha ! Les braves gens ! Il en faudrait plus dans la commune des comme vous !

En deux trois accolades et forces bourrades, les vla-t’y pas qu’ils se retrouvent sur le trottoir avec un rouleau d’affiches 6X4, un seau de colle et une confiance en la gente politique un peu écornée.

L’on pas besoin de se concerter. En passant sur le petit pont, l’balancent leur fardeau électoral à l’eau.

 

Bon !

L’ont les bras qui trainent par terre et le moral dans les chaussettes.

- Euréka ! Qu’elle dit Couic ! Et si c’était du grec ?

Harris, l’est là comme deux ronds de flan en découvrant l’étendue des connaissances de Couic.

- Le pharmacien !

- Oui, le pharmacien ! Palsangué, qui dit l’autre !

L’apothicaire l’est cauteleux, pattemouille, sentencieux, chafouin, jésuite…

- Hum ! Hum ! Foin de la procrastination et du consumérisme ambiant et compte tenu de ma pensée volitive, ce qui, bien sûr, me met bien au-dessus de la plèbe amblyope…

Manque de s’étouffer dans sa componction, prend un bonbon au miel.

- Sans atermoiement et pour vous éviter un apologue, je peux tenir pour certain…

Ho ! Mais problème de transit, ballonnements, flatulences ! Deux cachets bleus avant chaque repas et un rose avant les selles. Voilà ! C’est dix sous ! Heureux d’avoir pu vous dispenser mon érudition…

Et v’la que je te les pousse vers la sortie.

 

Bon !

Le moral des compères redescend en dessous du zéro sur l’échelle de l’espoir, et l’espoir, à ct’heure, c’est hors de prix !

- L’est pas si malin, qu’elle dit, Couic.

- L’a dit que ça fait aller, mais l’a rien donné pour le retour !

- T’as raison, saperlotte, qui répond Harris. Conserve pour le cochon, ça lui lavera les boyaux du boudin quand on lui coupera cabèche.

L’est secoué du rire de sa blague. Un peu plus il en oublierait la carte.

- Sûr, y a plus qu’lui ! Qu’elle dit, Couic !

- Pour sûr ! Saperlipopette ! Qui dit l’autre.

C’est une constatation qui les accable.

 

 

 

 

Bon !

Lui ? C’est le directeur d’école qui s’prend pas pour trois étrons de ministre. Couic et Harris, en tant qu’anciens cancres, se sont connus au fond d’une classe, près du radiateur. Ça laisse des traces !!

 

Bon !

Résignation étant mère de sagesse, les vla-t’y pas qu’ils demandent à être reçus par le représentant de l’éducation nationale.

À l’exposé du problème, l’enflure se rengorge.

- Mes enfants ! Vous ne pouviez pas mieux tomber. J’ai un Hobby, un passetemps, si vous préférez, celui d’étudier les langues anciennes… Mais ! Qu’est-ce que ce fatras ?… Foutre du monde !... Plaisanterie de potaches !... Feriez mieux d’apprendre vos tables !... Perdre mon temps !…

L’est rouge, dessert sa ceinture, s’époumone et exige que Mme Dantu raccompagne ces ânes bâtés.

 

Bon !

Couic essuie du revers une vexation au coin de l’œil.

Harris a un peu du vent de révolte dans la tête.

Harris a froid à son amour propre.

Harris boite ! Un méchant souvenir d’une ‘’tourloune’’ maternelle, où ces mauvais jours-là, il allait se réfugier chez la sœur de celle-ci et mère de Couic.

Ils sont donc cousins ! C’est comme ça et ça n’empêche rien …

Il pleut !… Se touchent les doigts à travers les gants.… Z’ont besoin de se rassurer… La chaleur de l’autre…

 

Bon !

Mettent leur dépit au fond de leur poche, rentrent chez eux, tirent les bottes, enfilent les chaussons et rallument le chauffage.

- T’ veux du thé, Harris ? J’vas m’en faire…

- Oui ! Qui dit l’autre. J’vas mettre cette carte dans la caisse pour le vide grenier de dimanche.

Rien s’gagne facilement. Alors, forcément, rien s’perd.

Tous deux sont des taiseux !... Affaire classée !

- Hé ! La mère ! J’sors les dominos ?

 

Bon !

Dimanche dernier, au vide grenier, j’ai été attiré par cette carte bizarre. Alors, je l’ai retournée et achetée.

C’est une carte de vacances, sobre, touchante, comme j’aime…

La voici !

 

 

 

 

 

Bon… Voilà…

 

 

 

 

 

 

 

 

JEAN-CLAUDE CAILLETTE

 

 

 

 

 

Jean-Claude Caillette, acteur artistique de la vie parisienne.
 
Anime l'émission littéraire "le lire et le dire" sur FPP 106.3
Participe aux exposition de ses oeuvres picturales "collages en cadeaux"
A publié plusieurs recueils de poèmes, nouvelles et un roman "Net plus ultra"
En janvier 2011, une biographie de Gaudi; "Antonin Gaudi - Un architecte génial. Edit. l'Harmattan

 

 


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