J’ai un nouveau visage. Les mêmes traits qu’auparavant,
sauf bougés d’un-deux millimètres –
et mon destin est complètement changé :
la malchance, qui ne me quitte jamais,
est devenue vautour aux ailes terriblement épaisses.
Massif, m’a envahie, reste immobile,
et moi prête à disparaître, pour le libérer.
Je ne suis plus que fine pellicule autour de lui.
●
Rien de ce que j’ai écrit jusqu’ici
n’a la cohérence de ma propre vie.
Elle le chef-d’œuvre.
La seule forme vraisemblable, viable, de m’exprimer,
est ce journal à moi, spécial.
Tout ce qui m’arrive, que je note aussitôt.
Parce que jour après jour, ma vie prend beaucoup mieux
qu’un roman, qu’une nouvelle ou autre chose, les plus structurés ou réussis possibles.
Même ce que sur le coup je trouve inutile, un jour
s’avérera avoir été à sa place.
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Les jeunes marchent sur l’eau et m’enterrent sous leurs pas.
Je n’existe pas.
Et des dizaines d’anges-diablotins, par deux ou trois, de chacun
jaillissant d’autres,
boivent sur une plateforme illuminée à ma santé.
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Un chemin jaune double ta trajectoire quotidienne
Et en toi-même tu dépasses poteau après poteau.
Ceux que tu as aimés sont devenus
des doigts de ta main droite.
(fragments qui me sont revenus de l’année 2000)
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La Rose inerme
Il m’a toujours manqué l’épine.
J’ai été en bouton,
J’ai embaumé,
J’ai éclaté au crépuscule : mes pétales, encore plus forts,
Tournoyaient au bout
De la tige inerme.
Bonne sève, bon goût – frôlant la confiture,
Des feuilles brillantes –
Personne ne soupçonnait mon manque d’épines.
La fleur même : la seule menace
Jamais devinée.
Je me retire, je vous salue
Et je maintiens mon dard
En fleur.
(octobre 2012)
Un corps
Un corps.
Encore
Et non pas pour le décor :
Mon corps normal dans un corps plus grand,
en pâte levée, pour un gros beignet
qui sera cuit bientôt –
Mon corps à l’abri et en même temps en danger dans cet autre corps, gonflant
de plus en plus, peau autre, de plus en plus pleine d’air.
Mon corps encore : j’adore !
Histoire de gore : après la mort, mon sexe reste seul,
vit au soleil
entouré de gens ignorants…
Mon corps en accords
Il s’invente sans le suivre :
Je l’appréhende et je le crie aux oisillons qui à leur tour
crient de faim : harmonie malgré tout.
Mère-oiseau ensuite : mon corps devenu autre pour écouter – écouter ? – le vent.
Cible marine : les vagues ne cherchent plus
le bord, le sable.
Alignées, les vagues – soldats en marche,
mais révoltés, s’amassent, se retournent, forment une ronde, se rétrécissent
de plus en plus et moi
au milieu !
(juin 2012)
SANDA VOÏCA
Elle se dit : " incapable d’arrêter d’écrire – façon de me défendre contre moi-même, contre le monde –, je
défends cette… défense en montrant ses traces aux autres. Comme ici, pour (et sur) Le Capital des Mots."
Après des études de philologie, à Bucarest, travaillé comme professeure, ensuite comme correctrice pour quelques unes des plus importantes revues littéraires roumaines. Publications variées dans ces revues et la parution d’un livre de poèmes, « Le Diable avait les yeux bleus », en 1999, à Bucarest,« Editions Vinea ». Arrivée en France en 1999 et écrivant directement en français - textes variés, que je n’ai commencé à « montrer » et envoyer (éditeurs, revues) que depuis peu.
Participation, le 6 juin 2012, au Centre Pompidou, à la Carte blanche accordée à Alain Jouffroy.
Quelques contributions sur le site « Passion Bouquins ».
Plus d'infos :
https://sites.google.com/site/revuepaysagesecrits/