Comme chien et chat
Un gros chien est apparu au bout de la rue
le chat a pris peur il s’est
caché dans un carton qui traînait au pied de l’arbre au milieu
des sacs poubelles jaunes les sacs de recyclage de papier qu’on ne sort
qu’une fois par semaine
le chien est passé sans rien renifler
gros balourd
j’ai sifflé mon chat il a sorti le museau a vérifié qu’il n’y avait plus de danger
il est sorti
hier au soir
tu m’as raconté comment plus tôt dans la journée
pendant la réunion avec les administrateurs
tu t’es tassée sur ta chaise et as cherché à
te faire toute petite comment tu aurais voulu
te cacher sous la table quand est venu ton tour
de présenter les résultats trimestriels de ton secteur
mais tu n’es pas chatte
pas plus que ton patron n’est chien –
quoique
je me rappelle mes quatorze ans
et mon amour pour cette fille aux boucles rousses
assis le rang de devant aux heures de français
quand son regard tombait sur moi dans la cour au réfectoire
ses grands yeux verts
je me cachais le bas du visage dans ma veste mon pull ou mon t-shirt
tirant le vêtement parfois jusqu’au-dessus de mon nez
qu’est devenue cette fille qui m’a
volé tant d’heures ?
elle a grandi elle a vieilli
que je serais soulagé de savoir
qu’elle est devenue moche
***
Brève de matin
Après ton départ
le tigre s’est endormi
sur le tapis du salon
presque sans bruit j’ai réussi
à me préparer un café
des œufs brouillés deux toasts
dans le canapé je parcours tes magazines
laissés en vrac sur la table basse
fumant une cigarette –
qui ne dérange pas l’animal
nous fumons la même marque
je reçois ton message
tu es coincée là-bas la guenon vient de mettre bas
tu ne reviendras pas avant le début de l’après-midi
c’est-à-dire pas avant
quatre ou cinq heures
tu es désolée nous aurions dû partir ensemble
pensant que certains instincts de la jungle sont solubles dans la ville j’ai tenté ma chance
je me suis habillé j’ai fait mon sac
sans un bruit me suis approché de la porte
tout doucement j’ai débloqué le verrou tourné la poignée
me suis retourné pour vérifier il dormait toujours respirant
juste un peu plus fort
j’ai ouvert la porte grognement sourd
il était derrière moi il me fixait
j’ai refermé la porte il est retourné sur le tapis
il ne bouge plus il me fixe
je ne bouge plus
je t’attends
quand il sera rendormi
si je parviens à sortir mon téléphone de ma poche je t’écrirai pour te dire
que si notre avenir me paraît compliqué
il me plaît d’être avec toi
***
Héron héron petit
Un homme parle au téléphone
deux jeunes filles sortent du magasin d’alimentation en riant les bras
chargés de commissions
une voiture passe fenêtre ouverte le vieil homme au volant fume un cigare
sur le trottoir d’en face une dame regarde mon chien sourit –
elle le trouve mignon oui elle a aussi un chien de cette race –
sur le même trottoir sans doute m’aurait-elle parlé – on ne traverse par une rue pour
parler à un inconnu –
et quand je ne m’y attends plus elle me dit en parlant haut
« qu’ils sont mignons j’en ai un moi aussi » l’affaire est entendue
dans le ciel passe un avion il vole très bas
pourtant on ne l’entend pas c’est comme si on
avait coupé le son
toute langue dehors mon chien halète le mercure va
encore grimper la météo annonce
une journée record
je ramasse la crotte la jette dans la première poubelle
je rentre chez moi
tout est à sa place ce matin pour une fois le puzzle est
complet
mais voilà que d’au-dessus des toits surgit un oiseau
un grand oiseau aux longues pattes
un échassier
et un enfant qui passe avec son père s’arrête
pour le montrer du doigt
ce doit être un enfant malin bien éduqué
qu’on a collé des heures devant des programmes animaliers à la télévision
ou devant une encyclopédie illustrée parce qu’il s’écrit
« un héron ! »
le père s’arrête
je ne comprends pas ce qu’il répond que peut-il
bien répondre pour que l’enfant rétorque
« ou peut-être qu’il a faim ? »
le père passe un bras sur l’épaule de l’enfant
ils repartent en parlant
et alors que mon puzzle était terminé
je dois le défaire pour intégrer ces deux nouvelles pièces
un héron au-dessus de la ville
un moment entre un père et un fils
assez de place ?
et la tempe de se remettre à
bourdonner
MICKAËL BONNEAU
Il se présente :