La Dernière Oeuvre de Phidias (extrait)
Ici
c'est Ostende
peut-être
ou Brighton
La plage est déserte en automne
Il bruine
et la mer
couleur de plomb
mugit
comme une bête
Impudiques
les vitrines béantes des cafés fermés
sont un chaos de chaises
empilées
Les paupières des villas
s'écaillent
L'eau ruisselle des façades aux courbes compliquées
mouvement floréal plié en pagodes aux pinacles élancés
au-dessus de frontons en ogive
rinceaux fleuris ou faux colombages
aux teintes délavées
Sur la digue un vélo trace un sillon d'argent
et sème d'humides étincelles
Des tourbillons se forment sans émouvoir
le pelage fauve et crissant
de la plage.
C'est marée basse
sur l'estran nu, le vent balaie
coquillages et noirs fucus
Un navire invisible corne au loin
Délayées par la bruine
l'eau
la plage se confondent
s'aspirent et
s'absorbent
De minces filets tracent de l'une à l'autre des réseaux
peu à peu frangeant
chaque tache
d'un liseré dentelé
d'abord hésitant
puis lançant à mesure qu'il s'assure
des tentacules
à la conquête de la surface
et le dessin originel
se dissout
et n'est plus
*
les êtres imaginaires répètent à votre égard
des gestes appris de vous
et les lieux sont fuyants plus que le sable même
Que font ils entre deux pauses de l'écriture ?
Tremblantes images indéfiniment fixées sur l'écran
ou ralenties tandis que les sons ne sont plus
qu'indistinct crépitement d'insectes
ainsi Phidias dont jamais le pas ne se pose
sur le chemin où je l'inscris
et la voix de l'enfant
suspendue entre deux syllabes
Saisis donc
Phidias
le tronc tordu du pin
Hisse-toi vers la main
de l'enfant
Phidias
je t'attendais
j'ai surveillé tes hommes qui rentraient les olives
Ainsi parle Kallimakes
et tous deux traversent l'espace tiède
qui les sépare de la maison
dont se lit dans le soir le fin liseré d'or
de la porte entrouverte
*
Ici
tout en bas de la falaise
le noir granit creuse une vasque si profonde qu'à
marée basse on y entre
à mi-corps
Entre deux roches se cachent les tourteaux
carapaces vernissées
les mouvantes anémones
et la fine dentelle des laminaires
sur l'écran de l'eau
Flottants comme ces algues entre deux profondeurs
tendant leurs rets doux et luisants dont la main ne saisit
que fuite coulissante
les lieux m'échappent
MARILYNE BERTONCINI
Marilyne Bertoncini, née en 1952, dans les Flandres, partage sa vie entre Nice et Parme, après avoir enseigné la littérature, le théâtre et la poésie. Auteur de critique littéraire et d'articles sur la pratique pédagogique, elle se consacre désormais à sa passion pour l'art et le langage, collabore avec des artistes, traduit et écrit pour différentes revues, dont La Traductière, Cordite, Recours au Poème,... Deux recueils de traductions sont à paraître aux éditions de ces derniers. Ses propres poèmes n'ont encore fait l'objet d'aucune publication en dehors des revues.