Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - XAVIER FRANDON

Publié par ERIC DUBOIS sur 16 Septembre 2014, 16:34pm

Catégories : #poèmes

Gaza

 

 

 

 

C’était ce fameux jour où les anges

Avaient refusé de travailler

Vous en gardez vous aussi un souvenir étrange

On en parlait beaucoup

 

Ils avaient dit qu’on ne reconnaissait plus leur truc

Qu’on lui avait mis quelque chose d’indéfinissable sur les yeux

Si bien que quand les gens passaient à côté

Ils se trompaient sur le sens

 

Les anges s’étaient assis en cercle dans un grand pré

On était au printemps et il commençait à faire chaud

Chacun leur tour, ils se levaient pour monter sur une caisse en plastique

Et alors ils avaient dix minutes chacun

 

Cela les occupa une journée entière et une nuit

Et nous, les gens qui n’y comprenaient rien

A cause de la chose sur les yeux

Ca nous avait beaucoup ennuyé et nous les avions laissé là

 

Le lendemain, sur les onze heures, on constata que

Les anges s’étaient assoupis, couchés les uns sur les autres

On avait rien vu, personne ne comprit pourquoi

Certains s’étaient battus et pourquoi leurs visages avaient disparu

 

Quand on vint les chercher enfin

Quand tout fut à nouveau silencieux

On leur jeta des cailloux et on cria

« Ils ne nous servent à rien, ils n’y croient plus eux même »

 

Alors les anges ont enlevé leurs vêtements

Et sans rien ajouter, masquant leur tristesse

On les a vu frapper dans leurs mains et entamer une danse

Qui les occupe toujours à l’heure où je vous parle

 

Les anges n’ont plus jamais refusé

Ils dansent sur le pré, ils frappent dans leurs mains

Et leurs visages ont abandonné les yeux

Pour ne plus en pleurer

 

 

 

***

 

Salut rose du matin

Tu me flattes les yeux, ronce compatissante

Et je t’ouvre

Mes bras pour te délasser

 

Sur ta gaine, tes larmes sont tes larmes

Fraîches

Et tu me dis

« Que le soleil soit heureux pour nous

Car dans le lointain ce sont nos sourires qui chantent

Que la Lune et les étoiles ne pleurent pas pour rien

Car si nous revenons vers eux un jour

Ce sera accroupis, mais raffermis dans nos positions »

 

A ces mots, je m’incline

Puis je relève les yeux

Avec cette façon décidée qu’ont ceux qui croient

Les messages

Puis

Je coupe la rose et

Par une de ses extrémités

Je la brandis comme un tison brûlant

 

***

 

 

 

Nous avions mal à la tête et les rats nous bouffaient les pieds quand le vieil indien eu sa vision. Il racontait que son cœur criait des insanités et que celles-ci nous étaient destinées. Alors, nous avons bouché nos oreilles et pour ne pas y penser, nous trébuchions dans les flaques en lançant de telles imprécations que finalement le vieil indien nous abandonna.

C’est une étoile qui nous sauva. Elle rentrait à l’instant de sa course et elle n’avait pas eu le temps de retirer son chapeau, mais le devoir lui commandait de repartir, de nous guider jusqu’au cercle lumineux où nous étions en retard.

Elle demanda que nous fermions les yeux et que nous nous prenions par les mains. Elle ajouta que si un seul d’entre nous fléchissait, nous serions perdus à jamais et que les autres qui nous attendaient, ils ne nous attendraient plus, qu’ils ne pleureraient pas notre disparition à cause de notre faute, imaginant bien ce que le vieil indien avait crié avant que nous le maudissions.

C’était à cause de l’âge. Nous n’en avions pas assez. Nous ne voulions pas connaître ce qu’il cachait dans ses poches profondes, et les chansons que nous avions pourtant prises l’habitude de fredonner avec lui étaient dorénavant superflues.

Ainsi, dépassés par les évènements, nous nous sommes laissé traîner jusqu’à eux. Vous auriez vu leurs visages quand ils nous ont aperçu, les yeux clos, nous cramponnant dans cette farandole famélique derrière l’étoile, n’écoutant que sa voix haute, à ne prendre aucun risque supplémentaire.

Ils ont soufflé profondément. Ils nous ont tourné le dos à cause de notre manque de courage et, quand tout fut achevé, l’étoile est remontée au ciel, retirant enfin son chapeau. Ils ne posèrent qu’une seule question. Ils voulaient savoir si l’indien, le vieil indien, il était bien celui à qui ils pensaient tellement fort qu’ils en perdaient le sommeil.

Mais nous ne sûmes pas répondre. Alors, ils nous jetèrent des pierres dans les jambes et ils ne nous fréquentèrent plus que par habitude, quand ils avaient besoin de faire travailler leur mémoire, par exemple. Et à chaque fois qu’ils venaient dans le cercle, ils reposaient cette même question : le vieil indien, n’était-il pas celui là qui depuis des siècles les empêchait de dormir ?

 

 

***

Oblomov, Zakhar

 

 

Si ce matin j’empeste le chagrin

Ce n’est pas votre faute

Mais vous ne pouvez rien y faire

Parce que pour moi, c’est bien fini

 

Si je vous racontais ce que j’ai avalé…

Et si je vous racontais comme j’ai tout gardé…

Mais vous vous en doutez, hein ?

C’est marqué là, ce matin

 

Après tout la chance n’a rien à y voir

Là dedans ce sont les fautes qu’on prend

Des fautes qui n’en sont pas, quelque part

Mais des fois on se plante et c’est très dur

 

Je suis aveugle de ma raison

Mon maître n’a pas grandi, il a vécu

Et moi avec, comme une habitude

Une affaire qu’on ne se refait pas

 

Il est mort et je connais parfaitement son tombeau

Avec du Lilas, la vodka au cassis

Et moi je vous salue par-dessus, merci

Merci pour ce que vous en pensez

 

 

XAVIER FRANDON

 

 

Il se présente :

 

 

 

Xavier Frandon est né Vierge ascendant Balance et Bouc de surcroît quelque part sur les bords d'un fleuve. Après des études consacrées à une des lorgnettes de l'humanité, Il émigre en région Parisienne en 2006 où il est l'heureux détenteur d'un métier tout à fait normal mais dont l'occupation légitime l'enrichit quasi quotidiennement. Il publie quelques articles dans des revues mais surtout...mais surtout ça ne rigole plus du tout depuis que ses poèmes emplissent des milliers de pages que le monde entier, avide, frétille d'impatience de découvrir. Il cherche des contacts, des intéressés de curiosités, avec qui partager le fond de sa pensée tout aussi indispensable pour lui-même que celui de son coeur.

Il tient prêts dans ses tiroirs des trésors qui ne demandent rien, mais qui sont là, qui attendent leur tour de passe-passe, qui attendent.

(Le Moulin de Poésie, Le Capital des mots, Paysages écrits, L'Autobus, Libelle, Gelée rouge, 392, La Traction Brabant, Le Florilège Soc et Foc, Microbe, Comme en poésie).

 

 

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