Gaza
C’était ce fameux jour où les anges
Avaient refusé de travailler
Vous en gardez vous aussi un souvenir étrange
On en parlait beaucoup
Ils avaient dit qu’on ne reconnaissait plus leur truc
Qu’on lui avait mis quelque chose d’indéfinissable sur les yeux
Si bien que quand les gens passaient à côté
Ils se trompaient sur le sens
Les anges s’étaient assis en cercle dans un grand pré
On était au printemps et il commençait à faire chaud
Chacun leur tour, ils se levaient pour monter sur une caisse en plastique
Et alors ils avaient dix minutes chacun
Cela les occupa une journée entière et une nuit
Et nous, les gens qui n’y comprenaient rien
A cause de la chose sur les yeux
Ca nous avait beaucoup ennuyé et nous les avions laissé là
Le lendemain, sur les onze heures, on constata que
Les anges s’étaient assoupis, couchés les uns sur les autres
On avait rien vu, personne ne comprit pourquoi
Certains s’étaient battus et pourquoi leurs visages avaient disparu
Quand on vint les chercher enfin
Quand tout fut à nouveau silencieux
On leur jeta des cailloux et on cria
« Ils ne nous servent à rien, ils n’y croient plus eux même »
Alors les anges ont enlevé leurs vêtements
Et sans rien ajouter, masquant leur tristesse
On les a vu frapper dans leurs mains et entamer une danse
Qui les occupe toujours à l’heure où je vous parle
Les anges n’ont plus jamais refusé
Ils dansent sur le pré, ils frappent dans leurs mains
Et leurs visages ont abandonné les yeux
Pour ne plus en pleurer
***
Salut rose du matin
Tu me flattes les yeux, ronce compatissante
Et je t’ouvre
Mes bras pour te délasser
Sur ta gaine, tes larmes sont tes larmes
Fraîches
Et tu me dis
« Que le soleil soit heureux pour nous
Car dans le lointain ce sont nos sourires qui chantent
Que la Lune et les étoiles ne pleurent pas pour rien
Car si nous revenons vers eux un jour
Ce sera accroupis, mais raffermis dans nos positions »
A ces mots, je m’incline
Puis je relève les yeux
Avec cette façon décidée qu’ont ceux qui croient
Les messages
Puis
Je coupe la rose et
Par une de ses extrémités
Je la brandis comme un tison brûlant
***
Nous avions mal à la tête et les rats nous bouffaient les pieds quand le vieil indien eu sa vision. Il racontait que son cœur criait des insanités et que celles-ci nous étaient destinées. Alors, nous avons bouché nos oreilles et pour ne pas y penser, nous trébuchions dans les flaques en lançant de telles imprécations que finalement le vieil indien nous abandonna.
C’est une étoile qui nous sauva. Elle rentrait à l’instant de sa course et elle n’avait pas eu le temps de retirer son chapeau, mais le devoir lui commandait de repartir, de nous guider jusqu’au cercle lumineux où nous étions en retard.
Elle demanda que nous fermions les yeux et que nous nous prenions par les mains. Elle ajouta que si un seul d’entre nous fléchissait, nous serions perdus à jamais et que les autres qui nous attendaient, ils ne nous attendraient plus, qu’ils ne pleureraient pas notre disparition à cause de notre faute, imaginant bien ce que le vieil indien avait crié avant que nous le maudissions.
C’était à cause de l’âge. Nous n’en avions pas assez. Nous ne voulions pas connaître ce qu’il cachait dans ses poches profondes, et les chansons que nous avions pourtant prises l’habitude de fredonner avec lui étaient dorénavant superflues.
Ainsi, dépassés par les évènements, nous nous sommes laissé traîner jusqu’à eux. Vous auriez vu leurs visages quand ils nous ont aperçu, les yeux clos, nous cramponnant dans cette farandole famélique derrière l’étoile, n’écoutant que sa voix haute, à ne prendre aucun risque supplémentaire.
Ils ont soufflé profondément. Ils nous ont tourné le dos à cause de notre manque de courage et, quand tout fut achevé, l’étoile est remontée au ciel, retirant enfin son chapeau. Ils ne posèrent qu’une seule question. Ils voulaient savoir si l’indien, le vieil indien, il était bien celui à qui ils pensaient tellement fort qu’ils en perdaient le sommeil.
Mais nous ne sûmes pas répondre. Alors, ils nous jetèrent des pierres dans les jambes et ils ne nous fréquentèrent plus que par habitude, quand ils avaient besoin de faire travailler leur mémoire, par exemple. Et à chaque fois qu’ils venaient dans le cercle, ils reposaient cette même question : le vieil indien, n’était-il pas celui là qui depuis des siècles les empêchait de dormir ?
***
XAVIER FRANDON
Il se présente :
Xavier Frandon est né Vierge ascendant Balance et Bouc de surcroît quelque part sur les bords d'un fleuve. Après des études consacrées à une des lorgnettes de l'humanité, Il émigre en région Parisienne en 2006 où il est l'heureux détenteur d'un métier tout à fait normal mais dont l'occupation légitime l'enrichit quasi quotidiennement. Il publie quelques articles dans des revues mais surtout...mais surtout ça ne rigole plus du tout depuis que ses poèmes emplissent des milliers de pages que le monde entier, avide, frétille d'impatience de découvrir. Il cherche des contacts, des intéressés de curiosités, avec qui partager le fond de sa pensée tout aussi indispensable pour lui-même que celui de son coeur.
Il tient prêts dans ses tiroirs des trésors qui ne demandent rien, mais qui sont là, qui attendent leur tour de passe-passe, qui attendent.
(Le Moulin de Poésie, Le Capital des mots, Paysages écrits, L'Autobus, Libelle, Gelée rouge, 392, La Traction Brabant, Le Florilège Soc et Foc, Microbe, Comme en poésie).