9 janvier 2013
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Il y a des balles
dans 1 arme
pour 3 femmes ;
nuit
rivière
femmes debouts
vent
tête au mur
nuque
et les jambes ne peuvent plus courir
et les bras ne peuvent plus tomber
la voix est lame de couteau
couteau planté au fond du puits.
Il y a des balles
dans 1 arme
pour 3 femmes ;
femmes debouts
tête
vertèbres, dents de résistance
la lutte pour la liberté ;
le corps est ouvert comme un hareng
pour recevoir la pluie victorieuse d'étincelles
et l'impatience d'être demain.
Ciel
point du canal
ville, portails
les lampadaires
les petites vitres des porches
les halos des perrons,
les rues brillent.
Le sang est blanc comme ce geste qui tue
or comme les balles
transparent comme la journée d'hiver
bleu comme la lumière des couloirs.
Plus tard il deviendra rouge
plus tard
après la pluie
dans le regard des premiers accourus
plus tard
à travers les voix
à travers les regards
plus tard.
Il y a des balles
dans 1 arme
pour 3 femmes ;
les corps sont là
retrouvés à la nuit
hors d'état de penser.
Le sang n'est plus sable de vie.
Les corps sont là
la tête traversée.
Il y a des balles
dans 1 arme
pour 3 femmes
Nuit
rivière
femmes debouts
regard
orage au fond des flaques
3 militantes kurdes.
Et dehors les arbres traversent le vent
et dehors les poules noires disparaissent dans les buissons
et dehors les routes sont chargées de voitures
et dehors la vie roule au milieu des chiens et des montagnes de sel
et sans qu'au dehors les avions ne tombent de tristesse
les balles sont tirées.
Le regard n'est plus porté
3 femmes tombent
touchées à la tête.
Il y a des balles
dans 1 arme
pour 3 femmes
Les corps sont là
retrouvés à la nuit
la tête traversée ;
sur les péniches qui traversent Paris
3 femmes ont déposé
les rêves d'égalité
au milieu du sable et du mazout ;
3 femmes ont pris la parole
tandis que sur les ponts prenaient place les tireurs
Elles s'adressent à la foule
massée le long de la Seine :
Qui es tu quand l'aube tarde à venir ?
quand au bord des lacs les chants attendent d'être chantés ?
L'espoir est long comme la mémoire d'un oeil
mais il n'est pas une arme.
Et la foule ne répond rien
(on entend passer les poissons).
Il y a des balles
dans 1 arme
pour 3 femmes
Nuit
rivière
arbres immobiles
les corps rêvent de pluies chaudes
les périphéries des grandes villes recommencent leur grand mouvement circulaire
les péniches traversent Paris
chargées de sable et de mazout.
Les lampadaires
les petites vitres des porches
les halos des perrons,
les rues brillent.
Hors d'état de penser le monde
et les arbres qui se télescopent
hors d'état de chanter
de veiller une nuit pleine pour comprendre
hors d'état d'articuler
hors d'état de répondre
hors d'état de marcher,
avec celles et ceux qui vivent là,
au delà de l'endroit où la route s'arrête
hors d'état d'anticiper,
les corps sont là ;
rendus incapables de lutter
et de bouger les doigts,
les corps sont là
les têtes traversées.
Il y a des balles
dans 1 arme
pour 3 femmes.
Extrait de "Noir comme l'espoir"
SAMAËL STEINER
Il se présente :
Je partage mon temps entre deux métiers, celui d'éclairagiste (pour le théâtre, la danse et le cirque) et celui d'auteur, principalement de poésie. Loin d'être antagonistes, ces deux pratiques se nourrissent, l'une l'autre et je puis dire avec certitude que la personne qui écrit et celle qui éclaire est la même, animée par le même désir.
Je cherche, en écrivant, un lyrisme qui entretienne avec le présent une relation concrète, qui ne soit jamais une fuite. Qui tienne compte de l'Histoire. A l'intérieur de ce projet, l'érotisme et le corps de celui qui m'est étranger, tiennent une place particulière.
Molt més lluny est mon premier projet de publication, les précédents recueils ont été édités en très petites quantités et par mes soins.