in ERRANCES
Errance
Nuit
Jetée au hasard
Ivre-folle
Ivre-floue
À trébucher sur les pavés
Et rire aussi
Enfin
Rire
Éthylène plein de fumée rire malsain rire de hyène à rebours quand rien n’est drôle
Mais quand même
Rire
Princesse
Il a dit
Princesse des rues
Princesse en jean échevelée
A cassé son talon
A saigné
Un peu
A vomi
À genoux sur l’asphalte
Toute la rage
A marmonné des choses stupides
Sur la rage
Qui a peut-être le goût du bourbon
Peut-être
A chassé l’ennui un instant
Princesse ne pleure pas
Il a dit
On n’y croit pas
De toute manière
En tenant ses cheveux
En essuyant son front
Ne pleure pas
Ça commence à se voir tu sais
Il a pris la lune à témoin
Et l’astre imbécile
S’est empressé d’éclairer
Les cernes noirs
Les plis amers
Et puis a détourné les yeux
Ça commence à se voir
Chienne de lune
Il a dit Princesse des rues je t’offre la nuit
Je t’offre toutes les nuits
Tu perdras tout
Il a réfléchi un peu il a dit
Redit
Tu perdras tout
Princesse
Sauf les nuits de désastre
Ivres-rouges
Ivres-fièvre
Sauf les hoquets à genoux
Sur l’asphalte
Et ce rire
Qui résonne
Qui se cogne contre tous les murs
Qui te fait mal
Entre deux spasmes
Pauvre Princesse il a dit
Pauvre Princesse des rues en guenilles tu perdras tout
Oui
Sauf les chansons à boire la nuit et les marins soûls et les rues de ta ville
Et la tendresse des éclopés
Mais Princesse
Que demander de plus?
***
in DÉMONS
« Qu’est-ce que tu veux à la fin ?
- Tous les matins de ta vie, ton nom et tes fils. Ou une clope, s’il t’en reste. »
***
in AMERICA
Regarde-moi je t'en prie
Je t'en prie
Je ne sais plus ce que j'ai fui
Je ne te vois pas
Je ne te sens pas
À marcher sur cette route
La nuit
Encore une fois
Une autre nuit ailleurs toujours la même
Toujours la même foutue nuit
Je t'en prie
Cet océan de nuits
Entre toi et moi je sais bien je sais bien mais
Ce n'était pas pour toi
Pas pour t'oublier derrière moi
Toi
Pas ça
Ce n'était pas pour fuir l'encens et les voix
Pas pour te perdre dans la nuit
Encore une fois
Pas pour ce froid
Regarde-moi
Du fond de ta nuit de tes milliers de nuits
Je t'en prie
Tu es partout
Ne me laisse pas
Pas ainsi vide amère transie
Sur la route
Je suis seule dans la nuit sur la route et j'ai froid
Je suis seule et j'ai froid
Encore une fois
Et j'ai peur
Sur cette route où tu n'es pas
Regarde-moi
Je t'en prie
Les yeux levés vers ta nuit vers tes milliers de nuits
Je t'en supplie
Regarde-moi
Avant que mes yeux ne s'abaissent
Vers l'autre Nuit
Encore une fois
***
in ENNUI
Le parfum lourd des roses mourantes
La senteur entêtante
Douceâtre
Écœurante
Comme un souvenir vague et corrompu de
Ce qui fut
Qui bientôt ne sera plus
Le dernier artifice
D'une putain finissante
Qui dépose en tremblant au creux de ses poignets
Entre ses seins trop lourds
Sur sa gorge abîmée
Trois gouttes capiteuses
De musc et de regret
Pour masquer un instant la sueur
La fatigue
D'encore une autre nuit des centaines de
Nuits
Trop longues
Que l'eau brûlante n'efface plus
Même pas pour essayer de plaire encore même pas
Pour eux
Juste pour pouvoir
Dormir
Un peu
Peut-être
La fragrance sucrée
Épouvantable et douce
De la tristesse et du remord
Comme un vin qu'on aurait
Trop longtemps
Caressé
Des fleurs qui pourrissent sur sa table de nuit
Discrètement
Ne laissant deviner de leur désespérance
Que cet arôme amer
De chair
Encore tendre encore presque
Tentante
Mais qui se fane
En silence
Ce parfum de chagrins décomptés
Qu'on voudrait retenir qu'on voudrait
Épargner
L'odeur suffocante de vieux disques rayés
Au grenier
De poussière et d'été
Les couleurs estompées et les sons
Assourdis
Les sens qui s'assoupissent
Plus rien voir ni toucher plus
Rien
Entendre
Juste
L'odeur envahissante et le goût
Du poison
Plein la bouche
Le goût d'alcool de mort de ces derniers baisers
Dont on se refuse à croire
Qu'ils sont bien les
Derniers
L'odeur d'une enfance qu'on n'ose plus
Pleurer
De révolte matée
D'adolescence enfuie et d'années
Qui vous bouffent
Doucement
Sans faire d'histoires
Le sillage oppressant du fard et de la poudre
D'essences trop fleuries
De langueur
Artificielle
L'odeur de la beauté en train de crever
Sans recours
Le parfum lourd
Vénéneux et
Poivré
De tout ce qui fut gâché
Et dans le pauvre vase de faux cristal l'eau
Sale
L'eau trouble l'eau stagnante
Où je me décompose
(ô l'odeur entêtante des roses agonisantes)
Extraits de
INGRID S. KIM
"La vraie vie est ailleurs, elle l'a toujours senti. Elle la cherche partout, depuis toujours, autant qu'elle se souvienne. À l'école, dans les cafés, auprès des tarés. Elle a été repérée tout de suite, les décalés se reconnaissent entre eux. J'ai souvent salué son talent et la qualité de ses textes. Pour moi, comme pour d'autres, ISK fait partie de la nouvelle génération des auteurs qui a appris à voir la beauté dans ce qui est aujourd'hui, et aujourd'hui, ce qui est, c'est ce qui reste."
Jacques Serena
Poète, dramaturge, parolière, Ingrid S. Kim est une touche-à-tout bilingue obsédée par les notions d’oralité, de mot juste et de rythme, en français mais également en anglais, qu’elle a perfectionnées au fil de ses nombreuses vadrouilles sur plusieurs continents.
Après de nombreuses publications en revues et collectifs (plus récemment Illusion(s) aux Éditions Bancal, l'anthologie américaine Moonlight Dreamers of Yellow Haze ou le cinquième opus de la revue Pierre d'Encre tout juste paru), son premier recueil Déambulations est paru en septembre 2015 aux éditons Mon Petit Editeur.
https://www.facebook.com/IngridSuzieKim/