Paris Bercy 2015, 13 décembre,
berges de Seine, friselis sur l’eau grise,
nuit tombante, faillite d’un jour blanc automnal
qui noie ses dernières lueurs dans le fleuve noir.
Contre un quai désert
deux barges vides, bord à bord se désolent.
Une haute cheminée crache
dans les nues des chiffons sales.
Partout chantiers en terrasses, tours,
bâtiments en grappes,
Paris déshabillé à la hâte,
rhabillé pour le siècle,
son vieux frac éculé, ringardisé,
frénésie des changements,
la vieille encre de Doisneau
colorisée aux pinceaux des néons.
Toujours au loin cette cheminée
qui crache et recrache :
fantômes disloqués,
matière grise en lambeaux.
« Les jours s’en vont je demeure ».
Le cerveau de maman fuyait de toute part
quand je l’ai quittée tout à l’heure.
***
Grosse fatigue
Aux urgences porte coulissante qui ne cesse de s’ouvrir et se fermer.
Entrevu dans ce va-et-vient, un long couloir qui dessert des salles de soin.
Florence a disparu dans l’une d’elles. On ne sait rien. Attendre.
L’attente se prolonge et grossit l’inquiétude.
Ce malaise… Sans doute un vertige, une chute de tension… surmenage passager, grosse fatigue.
On se rassure. On n’est pas rassuré.
La porte automatique s’ouvre, se ferme, dit oui, dit non…
On se sent tout à coup vulnérable.
On n’ose questionner l’infirmière qui semble très occupée.
On marche de long en large.
Après une heure d’attente, on risque la question qui brûle les lèvres :
- Excusez-moi, vous avez des nouvelles de ma femme ?
- Des nouvelles?... de…?
- Ma femme… vous savez la dame qui a fait un malaise … que j’accompagnais… vous nous avez reçus…
- S’il vous plait, rappelez-moi son nom…
On décline alors l’identité demandée en s’excusant du dérangement.
Magnanime, l’ogre hospitalier vous rappelle dans un demi-sourire à votre aimable insignifiance, à la servitude de votre anonymat, à votre écrasante solitude.
Mais va pour cette fois, rien de grave, fausse alerte, coup de fatigue.
Quitte pour une simple frayeur.
On a cependant compris que les murs de l’hôpital auraient tout aussi bien pu s’effondrer sur vous comme ils le font tous les jours sur d’autres, dans la compassion feinte d’un personnel soignant préparé au pire et l’atroce indifférence des flonflons de l’oubli.
JACQUES ROLLAND
Jacques Rolland écrit et dessine.