Va t’faire naître
A toi qui crois que tout s'achète
le bonheur l'amour ou la vie
qu'il faut qu' ça brille ou qu' ça en jette
pour tout s'offrir et à bon prix
A toi qui crois que tout vaut tant
le temps le sang et chaque geste
qui achèt'rait même le printemps
pour lui tout seul et à perpèt
va t' faire naître
A toi qui n'a ni queue ni tête
et puis une bouche qui fait qu' du bruit
qui avance sans feu ni quête
avec un cerveau rétréci
qui n'écoute que radio mon cul
sans comprendre un mot de Leprest
et qui penserait qu'un canut
ça doit r' sembler à une canette
va t' faire naître
Toi qui t'abreuves du sang des bêtes
qui voulaient juste vivre un peu
qui aime voir leurs grandes gueules ouvertes
avec des larmes au coin des yeux
j'espère que tu crev' ras bientôt
alors je jouerai d’la de trompette
avec mes amis animaux
et on t' lanç'ra des cacahuètes
pour t' faire naître
A toi qui crois que le Bon Dieu
il a une barbe et une machette
et qu'il voudrait que meurent tous ceux
qu'obéissent pas à la baguette
A toi qui parles religion
avec la main sur la braguette
tu nous prends vraiment pour des cons
ah oui et range aussi ta calculette
et va t' faire naître
**
C’est tout ce que j’laisse
Un mouchoir en Kleenex
Sur lequel j’écris
Un costume une seule pièce
Dans un grand sac Tati
Un tabouret pliant
Où j’ai posé mes fesses
et un seau en fer blanc
où des fleurs apparaissent
un chapeau de kermesse
qui fait une ombre floue
entre un mur qui se dresse
sur le ciel et partout
la grande roue d’un moulin
qui tourne en sens inverse
et la trace de tes mains
sur une pile de compresses
c’est tout c’que j’laisse
zéro au palmarès
et pareil en conduite
une fusée de détresse
un robinet qui fuite
deux chandelles un chandail
plié dans une caisse
et un truc en ferraille
ou j’ne sais quoi ou qu’est ce
un seau plein d’eau de pluie
qui me regarde sans cesse
et mon grain de folie
que j’ai r’vu à la baisse
un slip petit bateau
recousu de justesse
la toile d’un chapiteau
là avant que je naisse
c’est tout c’que j’laisse
un vieux lit qui s’affaisse
un ticket de métro
des erreurs de jeunesse
et une pompe à vélo
un brevet d’Arlequin
une épée d’Damoclès
et l’horaire des trains
pour aller au Loch Ness
des mots qui sentent la fin
plantés dans mon cortex
des amours mal éteints
qui hurlent des SOS
et puis sur une ardoise
ma toute prochaine adresse
où j’dirai plus mes phrases
au fond d’la nuit épaisse
c’est tout c’que j’laisse
et un p’tit chemin de traverse
C’est tout c’que je laisse
C’est tout.
**
J'étais là juste avant
Quand Django s'est brûlé la main dans sa roulotte
quand l'monde a disparu derrière l'anti-matière
quand ils ont inventé la musique militaire
quand 13 dents sont tombées de la bouche à Don Quichotte
quand la source polluée s'en est coupée les veines
quand dans leurs coffres morts ils ont mis toutes nos choses
quand ils ont peint en noir le dernier flamant rose
quand l'a croqué la pomme dans le jardin d'Eden
ça m'fait grincer des dents
j'étais là juste avant
quand l'visage dans l'coma il est tombé Ravel
quand ils ont crevé l'monde juste pour vendre des rustines
quand les bagnards mouraient sur l'île de Sakhaline
quand ils ont inventé les vacances aux Seychelles
Quand Nerval s'est pendu rue de la Vieille Lanterne
quand ils ont cogné l'ange à coups d'clé à molette
quand ils ont changé l'vin pour de la vieille piquette
quand l'grabat rue Descartes a vu mourir Verlaine
ça m'rend un peu à cran
j'étais là juste avant
mais quand la nuit a mis son habit d'aquarelle
quand ils ont découvert le contraire de la mort
quand ils ont replanté des milliers d'sycomores
quand ils ont r'cousu l'vide avec trois bouts d'ficelle
quand le temps des cerises a cogné aux fenêtres
quand l'étoile sous la peau a gonflé ses bourgeons
quand le poumon de l'amour a joué d' l'accordéon
quand on a continué pour au cul vous la mettre
j'ai mon sourire d'enfant
j'étais là juste avant
PHILIPPE GUILLARD
Comédien-chanteur, poète.
http://www.philippe-guillard.fr/index.html