TU N’AS PAS D’EMPREINTE
Tu n'as pas d'empreinte
Hormis la cendre
Pas de nom
Excepté celui hurlé entre les dents dont tu es né
- L'injure de l'oubli dans ta gorge
Fore un puits de lave dans ta poitrine
Mais il faut bien s'empreindre d'un avenir -
Tu n'as de nom que celui écrit par dessus
Le tien le leur à eux qui t'appelaient
Par ce nom hurlé entre les dents
Qui devaient te déchirer
Dont tu devais mourir
Pas trace de toi avant que tu ne t'imprimes
Sur les murs et les pages et les écrans
Avant que tu détournes les voies toutes tracées
Par ton nom et ceux qui te nommaient alors
Vers d'autres lieux vers d'autres corps
Tu n'as d'empreintes
Que dans la cendre de qui tu fus
De qui tu fuis en lui fermant les yeux
Le laissant vivre de son aveuglement
Dans cet ailleurs qui fut toi
***
JE ME LIE
Je me lie à l'envers de l'usage
Avec ce qui ne se dit ne se fait pas
Je vous dirais bien d'entrer
Mais je n'ai pas envie de vous voir
J'ai besoin d'être seul pour me lier ainsi
Sans avoir à me faire comprendre
Sans attendre que se lisent les mots
Pour tout dire je ne veux donner
Que la part aveugle du pied de la lettre
Je me lie par le dedans de ce qui se dit mal
À commencer par la strate la plus évasive
Tout se dit d'abord à l'avers de la peau
Dans les accidents de la pulsion
L'aléatoire de la matière à ne rien dire
Concrétions de la retenue
- Je transpire pour éviter de rompre
Comme l'évidence endurcie de ce qui se dit -
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Fange
Tu as fait de la fange où tu as vautré ton ventre et le reste de tes membres, un limon pour entretenir la mémoire de nos névroses, une sédimentation de maux à se ressouvenir pour savourer notre filiation fétide et la célébrer par la phrase sans fin où je m'agite et me protège, où je me vautre pour mieux vivre.
Tu es toute tension orientée vers la terre - nerfs et tendons enroulés autour d'un ventre fangeux dont tu fais naître chaque fois un rejeton identique à toi même tendu lui même autour d'un centre vautré dans un limon de mémoire à reproduire qui nourrit à son tour le même soi excrémentiel.
Tu es tout entier attention à toi même, concentré sur le souci de te savoir rassasié des regards et des mains posés sur toi pour faire de toi le vautré au ventre fangeux qui vit mieux d'être dit dans la phrase faite des limons sédimentés dans nos mémoires fétides et savoureuses.
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MAISON
Je ne sais pas comment les murs ont pu résister à la pression de la mélancolie qui saturait ta maison comme une moiteur tropicale.
Comment se fait-il qu'à aucun moment nous n'avons confondu la nuit avec la noirceur de ce que nous vivions chez nous - que jamais nous ne nous sommes dissouts dans l'obscurité ?
Tant de cauchemars ont envahi notre maison qu'elle aurait dû se dilater, irrésistiblement, pour exploser un jour comme une planète détruite par son noyau en expansion .
(Quand même, pendant des années, le mur de la façade resta parcouru sur plusieurs mètres par une fissure sombre.)
Comment les sables mouvants qui ont englouti chaque pièce, ont-ils pu épargner ceux qui y vivaient ? (Quand même, chacun de mes pores transpire un sable noir dont je sais mal l'origine.)
(Quand même, nous sommes bien restés ensablés, des années durant, gestes et mots empruntés, pris dans le désert de la volonté d'un autre)
Comment a-t-on pu être un enfant dans cette maison implosée, fissurée par la mélancolie propagée d'un autre que soit ? Comment ne pas garder cet enfant en soi, le dissimuler avec quelque chose comme de la honte, un fruit volé qu'on n'ose ni consommer ni jeter, un fruit asséché - un corps momifié dans un tombeau ensablé, au milieu d'un désert qui rêve de s'étendre sans retenue jusqu'à engloutir le temps des autres que soi ?
Comment oublier que régnait sur notre maison, assurément, le maître des langueurs, vêtu de ses yeux noirs, le corps tout débordant du corps momifié d'un enfant mélancolique, ensablé dans un temps du renoncement à soi même, soumis à l'obscure volonté d'un autre que soi ? Comment ne pas s'imaginer qu'enfant lui-même il avait bu de ce sang des langueurs au ventre arrondi d'un désert de sable noir - berceau et tombeau de son corps asséché par la grande soif de soi-même toujours inassouvie ?
HUBERT LE BOISSELIER