IV
C’était un village.
Un peu plus qu’un lieu-dit,
un village.
Mais tout juste un village.
Petit.
Très petit.
Dans la vallée de Chevreuse
à quelques kilomètres de Paris.
Cernay-la-Ville.
En pleine campagne.
C’est étonnant,
obsédant,
ces silhouettes fantomatiques,
ces silhouettes de soldats
qui passent
en moi,
brèves,
comme passent
des personnages de cinéma muet…
des rêves…
Il y avait…
une route
sinueuse,
mal entretenue,
crevassée,
qui traversait la place du village
et allait se perdre dans la nature,
à peu près sauvage
par endroits,
d’où elle était venue…
de vieilles maisons
tassées,
entassées,
aux portes lourdes,
aux gouttières bancales,
aux peintures délavées…
deux ou trois fermes,
sales,
avec des chiens hargneux,
vindicatifs,
agressifs,
dangereux,
en liberté dans les cours grandes ouvertes
où trônait l’énorme tas de fumier,
qui aboyaient,
menaçaient
dès qu’on approchait…
une église,
basse,
datant du Moyen-Âge,
où des plaques de cuivre rectangulaires
brillantes,
flambantes,
fixées sur l’appui des prie-Dieu,
réservaient les premiers rangs
devant l’autel
aux personnalités
de la région…
un curé…
Monsieur le Curé…
aussi vieux que l’église,
pauvre
en soutane usée,
hors d’usage,
grise
à force de lavages,
d’essorages
et de séchages
d’année
en année,
qui prêchait la bonne parole
et la conscience pure,
nette,
du haut de sa chaire en bois sculpté,
qui faisait faire la quête
pour réparer la toiture
et,
après la messe
de midi,
présidait le déjeuner dominical
chez l’un de ses fidèles
après l’avoir béni…
une mare
fleurie de nénuphars
et entourée
aux trois-quarts
d’un parapet…
des petites grenouilles vertes
qu’on attrapait à l’aide d’un chiffon rouge
au bout
d’un roseau, d’un bambou,
de n’importe quoi,
deux ou trois crapauds,
deux ou trois champs,
deux ou trois vaches
et un grand bois…
Un village tranquille…
Tranquille…
Et son château,
où s’était installé
un centre de commandement
allemand.
Le garde-champêtre,
de l’âge du prêtre,
en uniforme déformé par le temps,
la casquette affaissée
du même noir que la soutane,
le pantalon à peu près clair,
la veste à col officier
du même noir que la casquette,
les sourcils éparpillés,
la moustache hérissée,
se plantait au centre de la place
devant
le restaurant
au parquet lavé à l’eau et au savon,
faisait rouler son tambour
major
et annonçait les nouvelles
du jour…
une naissance…
une mort…
une annonce particulière
du maire…
Les gens écoutaient
sans bruit…
presque sans bruit…
respectueusement
en cercle autour de lui.
C’était en mille-neuf-cent-quarante-quatre.
Mille-neuf-cent-quarante-quatre.
Quatre ans.
J’ai.
Les paysans
coupent le blé à la faux,
l’entassent en meules
à la fourche,
des meules qui font
comme de petites maisons
rondes
tout au long
des prés.
Ils maintiennent,
dirigent
leur charrue traînée par un cheval
épais,
lent,
pesant,
affublé d’œillères en cuir
ou en chiffon,
et creusent des sillons
profonds
dans la terre
pas
à pas.
Cernay.
Cernay-la-Ville.
Extrait de "Quatre ans et la guerre" Editions Unicité, 2016
JEAN-LOUIS GUITARD
Il se présente :
( Notice Janvier 2012)
Monte à Paris au début des années 60.
Dessine sans cesse, étudie toutes les approches possibles des sujets les plus opposés par le biais des différentes techniques du crayon, de la plume, de la mine de plomb.
Adopte l’encre de Chine, pointe (Rotring), plume et pinceau, à partir de 1976.
Expositions personnelles et de groupe se succèdent dès 1977 en France et à l’étranger.
En 1984, première exposition personnelle à Paris, à la Galerie Visconti. Dès lors, cette galerie lui consacrera une exposition chaque année jusqu’au décès de son propriétaire.
Depuis 2001 c’est la galerie La Hune-Brenner qui, à Paris, présente ses nouvelles oeuvres… A laquelle s’ajoutent diverses galeries en France et à l’étranger.
Aujourd’hui les oeuvres de Jean-Louis Guitard, considéré comme l’un des plus grands créateurs du dessin actuel, figurent dans de nombreuses collections privées non seulement dans l’hexagone, mais aussi aux Etats-Unis, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Belgique, au Brésil, en Suisse, au Canada, en Allemagne, en Australie, à Taïwan et au Japon.
Parallèlement, Jean-Louis Guitard a écrit et composé plus de 900 chansons… Il continue d’écrire, de composer, et donne régulièrement des récitals dans lesquels il est seul en scène durant 1h30.
De plus, dans le domaine de l’écriture, il compte à ce jour une trentaine de pièces de théâtre ainsi que des nouvelles et de très nombreux textes poétiques. Toute son expression repose sur les drames quotidiens présentés à travers une sorte d’éclat de rire constant fait de détachement et de dérision.
( MAJ ) Dernier livre paru : "Quatre ans et la guerre" Editions Unicité, 2016
Quatre ans et la guerre. Jean-Louis Guitard. Editions Unicité, 2016 . Dessin de couverture : © Jean-Louis Guitard