Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - LUIS ALBERTO DE CUENCA

Publié par Le Capital des Mots sur 28 Février 2017, 09:57am

Catégories : #poèmes

 

 

SUEÑO DEL MATRIMONIO PERNICIOSO


 

Te habías levantado de la cama.

Tu silueta se erguía ante la puerta

de nuestro dormitorio, desafiando

la envoltura del tibio camisón.

Te miré con los ojos entreabiertos,

consciente de tu cuerpo en la penumbra

de mi último sueño, donde había

paraguas convertidos en murciélagos

que agitaban sus alas membranosas

en la cúpula de un templo barroco

donde se celebraba aquella boda

que quisiera olvidar. Y te miraba

a escondidas, fingiendo que dormía,

mientras tú proseguías tu camino

rumbo a una ducha y un café cargado,

sin reparar en mí. Pensé que todo

lo que podía hacer era volver

a dormirme, a soñar con mis paraguas

metamorfoseados en murciélagos

que batían sus alas membranosas

en el templo barroco de mis males,

donde todo nació y todo murió.


 

Madrid, 18 y 31 de julio de 2015


 


 

Rêve du mariage pernicieux

 

 

Tu étais sortie du lit.

Ta silhouette se dressait devant la porte

de notre chambre, défiant

l’enveloppe de la tiède chemise de nuit.

Je t’ai regardée les yeux entrouverts,

conscient de ton corps dans la pénombre

de mon dernier rêve, où il y avait

des parapluies transformés en chauve-souris

qui agitaient leurs ailes membraneuses

sur la coupole d’un temple baroque

où l’on célébrait cette noce

que je voudrais oublier. Et je te regardais

en cachette, feignant de dormir,

pendant que tu suivais ta route

vers la douche et un café bien serré,

sans me prêter attention. J’ai pensé que tout

ce que je pouvais faire était de me rendormir,

de rêver de mes parapluies

métamorphosés en chauve-souris

qui battaient leurs ailes membraneuses

dans le temple baroque de mes maux,

où tout était né et était mort.


 

Madrid, 18 et 31 juillet 2015


 

***

 

VARIACIÓN SOBRE UN TEMA DE CATULO


 

Muramos juntos, Lesbia mía, amémonos

como fieras en celo hasta el final,

sin dar tregua al deseo. Consumamos

nuestros cuerpos ajados en la hoguera

de nuestras obsesiones favoritas,

como herejes relapsos que persisten

en su error de quererse para siempre.

Y, después, suicidémonos, siguiendo

el ejemplo de Heinrich y de Henriette,

o el de Lotte y Stefan, para que

nadie pueda decir que nuestro amor,

como el de tanta gente, fue fugaz,

y para que el flâneur de cementerios

pueda leer, inscrito en nuestra tumba,

el siguiente mensaje: «Ahí os quedáis.

Nuestra es la eternidad».


 

Madrid, 31 de julio de 2015


 

VARIATION SUR UN THEME DE CATULLE


 

Mourons ensemble, ma Lesbie, aimons-nous

comme des fauves en chaleur jusqu’à la fin,

sans donner trêve au désir. Consumons

nos corps flétris dans le bûcher

de nos obsessions favorites,

comme des hérétiques relaps qui persistent

dans leur erreur de s’aimer pour toujours.

Et, après, suicidons-nous, en suivant

l’exemple d’Heinrich et d’Henriette,

ou celui de Lotte et de Stefan, pour que

personne ne puisse dire que notre amour,

comme celui de tant de gens, fut fugace,

et pour que le flâneur de cimetières

puisse lire, inscrit sur notre tombe,

le message suivant : « Restez-y.

L’éternité est à nous ».


 

Madrid, 31 juillet 2015

 


***

 

VARIACIÓN SOBRE OTRO TEMA DE CATULO


 

Me preguntas, Carmilla, cuántos besos

tuyos me saciarían esta noche

de la razón en que las criaturas

lovecraftianas han tomado el mando

y no se mueve nadie sin permiso.

Y te respondo que con uno solo

con dientes (no con lengua) que horadase

mi yugular tendría suficiente.

No quiero seguir vivo en este mundo,

donde no hay más que monstruos iletrados

que han prohibido los mitos y los héroes.


 

Madrid, 31 de julio de 2015


 

 


 

VARIATION SUR UN AUTRE THEME DE CATULLE


 

Tu me demandes, Carmille, combien de tes baisers

me rassasieraient cette nuit

de la raison où les créatures

lovecraftiennes ont pris les commandes

et personne ne bouge sans permission.

Et je te réponds qu’un seul

avec les dents (pas avec la langue) qui percerait

ma jugulaire serait suffisant.

Je ne veux pas continuer à vivre dans ce monde,

où il n’y a que des monstres illettrés

qui ont interdit les mythes et les héros.


 

Madrid, 31 juillet 2015


 


***


 

VARIACIÓN SOBRE UN TEMA DE ALCMÁN


 

Duermen las cordilleras, las cumbres y los valles,

y el bosque y cuantos viven en él, ya sean plantas

o animales, y duermen los peces en los ríos

y en los océanos, y duermen en la selva

las fieras, y las aves de largas alas duermen

en sus nidos, y duermen las abejas en las

colmenas, y las rosas duermen en los jardines.

No comprendo por qué, si toda criatura

duerme en este hemisferio tan apaciblemente,

tengo que ser el único que no puede dormir,

ni con pastillas, hoy, mañana ni pasado

por culpa del terror que atenaza mi espíritu.

A este paso, me temo que solo cuando esté

muerto podré dormir tranquilo y sin angustia.


 

Madrid, 7 de agosto de 2015


 

VARIATION SUR UN THEME D’ALCMAN


 

Dorment les cordillères, les sommets et les vallées,

et la forêt et ceux qui y vivent, que ce soit des plantes

ou des animaux, et dorment les poissons dans les rivières

et dans les océans, et dorment dans la jungle

les fauves, et les oiseaux aux longues ailes dorment

dans leurs nids, et dorment les abeilles dans les

ruches, et les roses dorment dans les jardins.

Je ne comprends pas pourquoi, si toute créature

dort dans cet hémisphère si paisiblement,

je dois être le seul qui ne peut pas dormir,

même pas avec des pilules, ni aujourd’hui, ni demain, ni après

à cause de la terreur qui tenaille mon esprit.

A ce train-là, je crains que seulement quand je serai

mort je pourrai dormir tranquille et sans angoisse.


 

Madrid, 7 août 2015


 

***
 

VARIACIÓN SOBRE UN TEMA DE SAFO


 

No sé qué hacer. Mi sentimiento es triple.

Se reparte entre el miedo y el espanto

que vienen a ser uno—, la ansiedad y la angustia

que cuentan como una— y el amor y el deseo

haz y envés de una misma cosa—. ¡Cómo quisiera

que fuese más sencillo mi sentimiento, sin

tanta maldita mezcla, puro, simple, desnudo,

amor solo, fusión con todo lo creado,

y no desear nada que no fuese inocente,

cándido, ingenuo, humilde, pródigo, generoso!


 

Madrid, 7 de agosto de 2015


 

 

VARIATION SUR UN THEME DE SAPHO


 

Je ne sais pas quoi faire. Mon sentiment est triple.

Il se partage entre la peur et l’épouvante

-du pareil au même-, l’anxiété et l’angoisse

-envers et endroit d’une même chose-. Comme je voudrais

que mon sentiment fût plus simple, sans

tout ce sacré mélange, pur, simple, nu,

amour seulement, fusion avec toute la création,

et ne rien désirer qui ne fût innocent,

candide, ingénu, humble, prodigue, généreux !


 

Madrid, 7 août 2015


 


 

***
 

 


 

DINOSAURIOS FOR EVER


 

Y digo yo, ¿tenían alma los dinosaurios?

A Dios omnipotente, ¿se le ocurrió crear

un edén para ellos? ¿Quiénes fueron los buenos

en aquella película? ¿Los que solo comían

plantas o los carnívoros? ¿Los que ramoneaban

helechos a mansalva o quienes, en el bosque

perenne del Jurásico, perseguían herbívoros

para saciar su sed infinita de sangre?

Todos, sin excepción, como reyes del mundo

que fueron, se merecen un Más Allá de selvas

perpetuas, y de sueños a la orilla del mar

de Tetis, y de duelos a la luz de una luna

que brille para siempre: Dios no puede negárselo.

Para dormir tranquilo los años o los meses

o los días, quién sabe, que me quedan, me gusta

creer que aquellos monstruos de mínimo cerebro

y máximo tamaño gozan de un paraíso

donde vivir eternamente, aunque solo sea

por la fascinación que ejercieron en Bradbury

o que ejercen en mí, y para que los años

en que fueron los amos ciento sesenta y cinco

millones, más o menos no hayan pasado en balde.

Al fin y al cabo, el plan de Dios los tuvo en cuenta

como privilegiado jalón en el camino

que conduce hasta el hombre, y ni puede ni debe

dejar que se disuelvan en un olvido eterno.

Al menos mientras vivan en nuestras fantasías

y acribillen de imágenes terribles y entrañables

nuestra imaginación.

 

Narbonne, 12 de agosto de 2015


 

 


 

DINOSAURES FOR EVER


 

Et moi je dis, les dinosaures avaient-ils une âme ?

Dieu tout puissant a-t-il eu l’idée de créer

un éden pour eux ? Qui étaient les gentils

dans ce film ? Ceux qui ne mangeaient

que des plantes ou les carnivores ? Ceux qui broutaient

des fougères à la pelle ou ceux qui, dans la forêt

pérenne du Jurassique poursuivaient des herbivores

pour satisfaire leur soif infinie de sang ?

Tous, sans exception, comme les rois du monde

qu’ils furent, méritent un Au-Delà de jungles

perpétuelles, et de rêves au bord de la mer

de Thétis, et de duels à la lueur d’une lune

qui brillera pour toujours : Dieu ne peut pas leur refuser.

Pour dormir tranquille les années ou les mois

ou les jours, qui sait, qui me restent, j’aime

croire que ces monstres au cerveau minimal

et de taille maximale jouissent d’un paradis

où vivre éternellement, même si ce n’est

que par la fascination qu’ils exercèrent sur Bradbury

ou qu’ils exercent sur moi, et pour que les années

où ils furent les maîtres –cent soixante cinq

millions, plus ou moins- ne se soient pas passées en vain.

En définitive, le plan de Dieu les prit en compte

comme jalon privilégié dans le chemin

qui conduit jusqu’à l’homme, et il ne peut ni ne doit

les laisser se dissoudre dans un oubli éternel.

Au moins tant qu’ils vivront dans nos fantaisies

et qu’ils cribleront d’images terribles et touchantes

notre imagination.


 

Narbonne, 12 août 2015


 

***
 

LOS GATOS VENGADORES
Cinco gatos en casa y tres maridos

a tus espaldas: un buen historial.

Los gatos daban miedo. Los maridos,

dinero. No eran mala conjunción.

El amor lo volcabas por completo

en las cinco peludas criaturas

que esparcían por las habitaciones

de tu mansión déco de varias plantas

su silencio, felino y misterioso,

y afilaban sus uñas en los muebles

antiguos y en tu cuerpo ya marchito,

que lucía arañazos por doquier.

Pero no te importaba, porque aquellos

feroces animales lo eran todo

en tu vida, tu asilo, tu refugio

frente a las inclemencias de la edad.

Veías, quizá, en ellos una excusa

para saldar las deudas con tu ruin

trayectoria amorosa, desprovista

del más mínimo rasgo de elegancia,

rebosante de vacuo narcisismo.

Aspirabas, tal vez, a redimirte

en ellos, en sus uñas justicieras,

de tanta crueldad como sembraste

en el terreno de los sentimientos

y que ahora se volvía contra ti.


 

Narbonne, 13 de agosto de 2015


 

***


 

LES CHATS VENGEURS


 

Cinq chats à la maison et trois maris

sur le dos : une bonne feuille de services.

Les chats donnaient des frissons. Les maris,

de l’argent. Ce n’était pas une mauvaise conjonction.

Tu projetais complètement ton amour

sur les cinq créatures poilues

qui éparpillaient dans les chambres

de ta demeure déco de plusieurs étages

leur silence, félin et mystérieux,

et aiguisaient leurs ongles sur les meubles

anciens et sur ton corps déjà fané,

qui exhibait partout des griffures.

Mais tu t’en fichais, parce que ces

féroces animaux étaient tout

dans ta vie, ton asile, ton refuge

face aux inclémences de l’âge.

Tu y voyais peut être une excuse

pour solder les dettes de ton abjecte

trajectoire amoureuse, dépourvue

du plus petit caractère d’élégance,

débordante de vide narcissisme.

Tu aspirais, peut-être, à te racheter

en eux, en leurs ongles justiciers,

de tant de cruauté que tu avais semée

dans le terrain des sentiments

et qui maintenant se retournait contre toi.


 

Narbonne, août 2015


 

Textes traduits de l'espagnol par Marceau Vasseur et Miguel Angel Real


LUIS ALBERTO DE CUENCA


Présentation par Marceau Vasseur et Miguel Angel Real

 

 

 

Luis Alberto de Cuenca est né à en Madrid le 29 décembre 1950. Docteur en Philologie Classique, il a été directeur de la Bibliothèque Nationale. Entre 2000 et 2004 il a été secrétaire d’Etat à la Culture en Espagne. En 2010 il a été élu membre de l’Académie Royale d’Histoire.

En tant que traducteur et spécialiste de la culture classique, il a publié de nombreux ouvrages : Floresta española de varia caballería (1975), Necesidad del mito (1976), Himnos y epigramas de Calímaco (1980), Antología de la poesía latina (1981), El héroe y sus máscaras (1991), Libros contra el aburrimiento, Reino de Cordelia, Madrid (2011), ou Los caminos de la literatura, Rialp (2015). En 1989 il a obtenu le Prix National de Traduction pour sa version du poème latin médiéval « Cantar de Valtario » .

Son oeuvre poétique débute en 1971 avec Los retratos et se poursuit avec Elsinore (Madrid, Azur, 1972), Scholia (Barcelone, Antoni Bosch, 1978) et Necrofilia (Madrid, Cuadernillos de Madrid, 1983). Ces ouvrages s’inscrivent alors dans la poésie dite « culturaliste ». L’ironie, le langage familier ou le mélange du quotidien et du transcendant sont des traits perceptibles à partir de La caja de plata (Séville, Renacimiento, 1985), Prix de la Critique en 1986. Par la suite, il a publié de très nombreux recueils, dont les derniers sont Cuaderno de vacaciones (2014, Visor), Prix National de Poésie, et La Flor azul (2016, Raspabook). Sa vaste production poétique est réunie dans l’anthologie Los mundos y los días. (Madrid, Visor, 2012).

 


 


 

LES TRADUCTEURS


 

MARCEAU VASSEUR

Il se présente :

Après des études de sciences politiques et de philosophie à l’Université de Toulouse, il devient professeur de lettres en Bretagne, Colombie, Vietnam, Espagne, montant parallèlement des spectacles de théâtre avec lycéens et étudiants. Il habite désormais à Douarnenez où il co-traduit de la poésie espagnole contemporaine. Il a publié avec Loreto Casado « C’est peut être du toc, la vie » (La vida puede ser una lata) de Pedro Casariego (Le Nouveau Commerce, 1996).

***
 

MIGUEL ANGEL REAL

 

Il se présente :

Il poursuit des études de français à l’Université de Valladolid (Espagne), sa ville natale. Il travaille en 1992 à l’Agence France Presse à Paris. Agrégé d’espagnol, Inspecteur Pédagogique Régional dans l’Académie de Rennes en 2012, il enseigne au Lycée de Cornouaille à Quimper et intervient occasionnellement à l’Université de Bretagne Occidentale. Il se consacre aussi à la traduction et à l’écriture de poèmes. La revue Passage d’encres a publié certaines de ses traductions en collaboration avec Marceau Vasseur, en 2008.

Luis Alberto de Cuenca -    ©   https://www.escritores.org

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B
Très fort
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