Dans le parc
Je reviendrai jouer dans le parc
et construire des abris
dans les grands stères de bois.
De nouveau jusqu’au sang
je fouetterai les orties.
Oh ! j’aurai tout mon temps.
Chaque brin d’herbe
sera mon camarade.
Et souvent je te vois
lorsque tu te tiens là
à l’orée des sous-bois.
Dans la grande roue de tes pensées,
comme des pépites d’or
s’accrochent à tes nacelles
comme un cadeau des dieux.
Je repartirai sur
la piste des indiens
et construire des abris
dans les grands stères de bois.
Oisif, indifférent,
j’interprèterai les feuillages.
Oh ! j’aurai tout mon temps.
Chaque brin d’herbe
sera mon camarade.
J’écouterai dans le parc
les bouts de plâtre tomber
sur la tôle ondulée.
De nouveau observer
dans le ciel, les avions,
leurs traînées argentées
qui le géométrisent.
Oh ! j’aurai tout mon temps.
Chaque brin d’herbe
sera mon camarade.
Et souvent je te vois
lorsque tu te tiens là
à l’orée des sous-bois.
Dans la grande roue de tes pensées,
comme des pépites d’or
s’accrochent à tes nacelles
comme un cadeau des dieux.
Je reviendrai jouer dans le parc
et construire des abris
dans les grands stères de bois.
De nouveau jusqu’au sang
je fouetterai les orties.
Chaque brin d’herbe
sera mon camarade.
Oh ! j’aurai tout mon temps.
***
Gédéon
– J’ai des Hongrois dans ma baignoire
et un amant dans mon placard.
Depuis que j’l’ai mis en morceaux
les étagères sont mieux rangées.
Faut-il vous parler de mon armoire ?
C’est une armoire en bois verni
bois verni et portes-miroirs.
Mais faut-il vous parler de mon armoire?
Cette armoire où repose mon amant,
cet amant par mes soins découpé.
Comment s’appelle mon amant ?
Mon amant s’appelle Gédéon.
Mais comment parler d’un amant
puisque mon amant est multiple.
J’ai multiplié mon amant
mais je ne m’en trouve pas
vraiment mieux.
– Vos amants s’appellent Gédéon,
mais les Hongrois me direz-vous,
expliquerez-vous la raison
de leur place dans votre baignoire ?
– S’il est bien vrai que j’ai des Hon-
-grois dans ma petite baignoire,
j’aurais vraiment trop de peine
à remonter dans ma mémoire.
Ils ne devaient rester qu’un week-end
mais voilà que depuis des semaines
ils y sont comme des âmes en peine.
Quant à savoir pourquoi Gédéon
a fini sa vie en morceaux,
j’en connais parfaitement les raisons.
Gédéon, ce fut une erreur,
Gédéon n’en valait pas la peine
et d’ailleurs rien que pour son nom,
ce drôle de nom de Gédéon,
il méritait qu’on le découpât
et qu’ensuite on le rangeât
en petits morceaux bien cubiques
dans cette armoire gédéonique.
***
Noyade
A celui qui n'est pas éveillé, il n'arrive que des rêves.
Lorsque ma tête a émergé au-dessus du niveau des eaux, toute ruisselante, les yeux toujours fermés, impossible à ouvrir sous la morsure du sel, j'ai entendu sa voix qui criait mon prénom en se vidant de son être jusqu'à une longue vibration de bonheur.
Un cri comme celui qui avait dû présider à ma naissance et comme jamais je n'aurais soupçonné qu'on puisse un jour en lancer un vers moi. Il me faisait fier de revenir dans le monde supra-marin. Une bouée m'a heurté le front, j'ai tendu les bras pour la saisir. D'autres bras m'ont bientôt hissé sur une embarcation.
Auparavant j'avais glissé dans cette masse verdâtre préférant soudain sa tranquillité au tumulte chaotique et inhospitalier de sa surface. Je m'enfonçais en elle. À un certain moment il y eut un tabouret posé là au fond de l'océan, un étrange tabouret. On s'est observé l'un et l'autre et puis il a repris sa vie normale d'objet inanimé. A mesure que je me rapprochais de lui, il s'allongeait, il se démesurait, ou bien était-ce moi qui diminuais jusqu'à tomber le long d'un de ses pieds ?
Tout d'un coup l'endroit m'a déçu. Il n'était qu'à moitié accueillant, et surtout habité par une immense solitude à laquelle je ne trouvais pas d'issue.
J'ai eu l'espoir de remonter. Des bulles d'air me sont passées sous le nez, mes poumons se vidaient, mes yeux se sont fermés et j'ai vu... j'ai vu ce qu'on voit dans ces cas-là... ma vie... . Non pas ma vie banale de tous les jours, heureuse et malheureuse, mais ma vie scripturaire !
Un mélange de rêve et de réalité, de fiction et de rêve que j'avais pris soin d'écrire, année après année, décennie après décennie, sans trop savoir pourquoi, à la recherche d'un vague plaisir, la plupart du temps déçu et vite oublié.
Ce n'était pas la mémoire de ma vie qui me revenait, mais bien cette sur-mémoire, arrachée à la prison des jours, plus signifiante, mieux ordonnée, plus cohérente. À travers ces mots qui défilaient, ma vie semblait avoir eu un sens.
Je me suis abandonné en eux, ils m'ont accompagné jusqu'à un point de non-conscience.
CHRISTOPHE ELOY
Il se présente :
Christophe Eloy. Né en 1956, longtemps Parisien convaincu, il s'est depuis quelques années, converti au sud. Il a été (dans une vie antérieure) informaticien, pour faire ensuite enseignant (de français). À une certaine époque, il a (re)trouvé le chemin de l'université pour y suivre des études de littérature. Il considère que la véritable unité de sa vie, il la trouve dans ces deux activités Lire-Écrire.
Depuis quelques temps, il a publié des recueils de poésie et de nouvelles. Trois au total.
Le désir en toutes lettres, 2013
Les trains que nous prenons, ceux qui partent sans nous, 2014
Dans cette ville, 2015
Son blog : http://elogedelamollesse.over-blog.com/