Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - MICHEL COSEM

Publié par Le Capital des Mots sur 14 Mars 2018, 18:36pm

Catégories : #poèmes, #texte

 

 

Sur le quai de ciment dans une fente l’anneau de fer est scellé. Il rouille nuit et jour grince quand la brume gémit. Il laisse les bateaux partir et l’on n’accroche plus que les regrets et les cauchemars. Les mouettes le contournent avec prudence. Une fleur en forme de cœur a surgi d’on ne sait où et pousse tranquille près de lui. La lueur rouge du phare passe furtive dans le petit matin. Sur la colline le manoir des pirates a sa face lunaire.

 

(Binic, Côte d’Armor)

               

 

*

 

Dimanche matin au café Surcouf. Rengaines et odeur de tabac blond effacent le chant des vagues et le raclement du vent iodé. Une nuit s’achève dans la lumière laiteuse. La servante est blonde et a de grosses hanches, le nez en trompette aussi. D’où vient son sourire et quelle est son histoire à travers le temps. Les mouettes immobiles sur la rambarde d’un vieux bateau ne s’envoleront pas. Elles n’ont plus peur des marins qui sont partis depuis plus d’un siècle. L’Angleterre n’est pas très loin et l’Irlande aussi. Les vagues deviennent de plomb tandis que vibre une note de cornemuse.

 

(Binic, Côte d’Armor)

 

*

 

La huitième île est un nuage aux voiles gonflées par le vent. Une escale au matin de lait après tous les tropiques sur la route des Indes. Une écaille oubliée sur le quai comme un ongle de sirène.

On la voit parfois posée sur l’océan. On ne sait où elle va les jours de tempête et à la nuit tombée. Certains ont abordé ses plages de sable doré. D’autres ont vu de belles femmes entre les rochers. D’autres encore affirment dans les bars de la ville qu’elle n’a jamais existé.

 

(Paimpol, Côte d’Armor)

 

 

*

 

Les nuages fendus par l’étrave des toits de toutes ces maisons semblables au sourire éphémère se reflétant à peine dans le limon et le nid des algues serrées les unes aux autres comme dans un cimetière les nuages noirs s’en vont tels des oiseaux gris et pluvieux dressant à l’horizon de nouvelles îles. La petite ville reste bien ancrée dans une terre pleine de jonquilles avec sa falaise invisible et son mât d’artimon ses bateaux peints en vert en bleu comme les yeux de mille mouettes. Ici se reposent tous les écueils de l’Océan.

 

(Paimpol, Côte d’Armor)

 

*

 

Dans la grande abbaye carcasse immense d’un navire de pierre retentissent les hymnes des corneilles et des grands corbeaux. L’écho va de rocher en rocher et d’arche gothique en dentelle de pierre. Le vent tel un chœur aux mille voix basses circule entre les murs et ne cesse de raconter le grand naufrage des humains et des bateaux. Les nids dépassent à peine accrochés au ciel serein et évitent les querelles de printemps.

 

(Abbaye de Beauport, Côte d’Armor)

 

 

*

 

Les camélias de la Roche Jagu ont éclos sous le regard d’un grand corbeau surveillant les bourgeons et la petite pluie piquante qui fait pleurer la haute façade de granit rose du château. Seul un volet est ouvert et contemple réjoui la ria changeant miroir et mystérieuse demeure des sources. Un enchanteur devait vivre par ici.

 

(La Roche Jagu, Côte d’Armor)

 

*

 

Le froid pétrifie la piéta de Runan plantée au cœur d’un pays de terre mémoire humides aux flancs usés à la solitude exténuée. L’annonciation de granit n’est qu’un tout petit chant de flûte dans le néant et tisse le fil ténu de l’espoir. Les bêtes elles-mêmes lourdes et fatiguées errent déjà promises à l’agonie. Tout autour les morts se reposent insensibles au corbeau de pierre qui aiguise son bec. Seule une tombe est honteuse que l’on ait planté sur son ventre d’herbe un avis de recherche de propriétaire.

 

(Pontrieu, Côte d’Armor)

 

 

*

 

Sur la digue protégeant le port s’entassent les carcasses de bateaux les morceaux de câbles les filets les coquilles et les arêtes de poisson. Notre Dame de Rocamadour est là pour réveiller les naufragés et les guider vers le rivage. On déjeune d’une délicieuse raie aux câpres avec du vin blanc de Nantes. Les mouettes pleureuses tournent autour du fort Vauban.

Toutes les histoires bretonnes sont ici riantes. On oublie les trépassés et les morceaux de monstres marins qui flottent entre deux eaux.

 

(Camaret, Finistère)

 

*

 

Tout en haut de la colline dominant des allées de pierres levées le vent entre et sort en pleurant de la maison de Saint-Pol-Roux. On n’échappe pas à la triste histoire même redite elle est toujours nouvelle. La moisson des grandes pentes qui descendent vers l’océan est pleine de souffrance. Même les vagues sont muettes. Nul ne sait dans cet abîme où vont les pas de celui qui marche. Heureusement on ne tourne pas autour d’un sépulcre. Cependant on aimerait une petite braise mais ce sont les larmes qui crépitent et l’insomnie impose de nouvelles pages déchirées.

 

(Camaret, Finistère)

 

 

*

 

Face à l’océan en ce matin de brume dans un grand manteau d’incertitude je ne regarde nulle part. Je suis face à moi-même dans un instant de blancheur laiteuse avec des nuages gris et des rochers qui me précèdent. Ici aboutissent des chemins sans fin et des fondations résistantes au grand ciel telles des sentinelles impassibles et sûres protégeant les voies de la rencontre et de la contrebande. Vague après vague gémissent les sirènes. Tout est serti dans une coquille dans la méditation du sable et de l’eau. Dès qu’il le peut le regard va plus loin vers les maisons d’Espagne. Une nouvelle journée se prépare.

 

(Hendaye, Pyrénées Atlantiques)

 

 

 

MICHEL COSEM 

 

 

Il se présente : 

 

 

Michel Cosem entend mener de front son œuvre poétique et son œuvre romanesque, liées entre elle par son amour de l’écriture. A cela s’ajoute la direction d’Encres Vives. Parmi les publications récentes notons « Echos de braise et de cigales » à l’Harmattan, « Aile, la message » aux éditions Unicité. Du point de vue romanesque « La nuit des naufrageurs » (editions TDO, Terre de l’ouest ). D’autres projets sont en route.

 

 
Michel  Cosem - DR

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