Laurence
Je me suis rasé de frais
Et pas pour dire aux enfants
Comme Octave, années cinquante :
« Qui veut l’étrenne de ma barbe ? »
- Et toujours, c’était la petite dernière
dans ses bras, sur ses genoux
Qui posait lèvres roses sur ses joues lisses
Non, je me suis rasé de frais
Et j’ai peint mes lèvres de vermillon
Comme toi, pour aller par les rues
Je me suis rasé de frais
Mis du mascara sur mes cils
De la nacre sur mes ongles
Des dessous de dentelles
Pour aller par les rues
Je me suis rasé de frais
Et j’ai posé tes cheveux sur ma tête
Que j’ai longuement lissés
Passé un pantalon
Épousant forme de mes fesses
Galbe, mollets et cuisses
Pour aller par les rues
Je me suis rasé de frais
Me suis glissé dans tes bottines
Ton imper
Pour aller par les rues
Voir ce que cela fait, le regard des hommes
Le regard des femmes
Ton désir de désirs
Et l’enfer de ta beauté
Quand toutes et tous te ramènent à elle
Que tu n’es plus que ça
Je me suis rasé de frais
Pour aller par les rues
Comme toi, pour marcher en beauté
Les trottoirs du désir
Pour séduire, en souffrir
Et te dire que
Te dire que
Je suis ton Laurence anyways
*
L’éther
Au pavillon des drames
Je ne t’accompagnerai pas
Pardon
Je ne peux pas je ne peux plus
Mon ballon noir est une outre
Je ne peux tes cheveux
Je ne peux l’éther
Le taxi ira tu reviendras
Je ne peux la sonde
Ma coupe regorge
Mon cœur dégorge
Au pavillon des drames
Je ne t’accompagnerai pas
Je ne peux que les mots
M’envoler en restant ici
Ne peux la perruque ni la morgue
Je ne peux l’éther
Ton citron grossit orange
Ô mon Modigliani Ô ma Jeanne
Mon nu couché
Que je photographiais
Nue
Collier Art nouveau
Je ne peux l’éther
Ma seiche n’a plus d’encre
Depuis longtemps vidée
La grand-mère folle des rats
Partout galopant la chambre
Cœur-fier je défaille
Grand hôpital américain
84-85 dans les bras, papa
Je ne reprends conscience
Que sur le parking
La morgue, la morgue
Je ne peux l’éther
Ma tête est pleine
Ma coupe est folle
Le taxi ira tu reviendras
Me ramener ta force
Les nouvelles ton courage
Tes trente-six ans
La belle ambiance ta foi dans la vie
Les beaux infirmiers
Tes camarades de soixante-cinq ans
Ceux que tu ne verras jamais plus
Je ne peux l’éther
Au pavillon des drames
Je ne t’accompagnerai pas
Je ne peux pas je ne peux plus
Je serai là à ton réveil
Ma tête
Ma coupe
Mon cœur
Est noir
RAPHAËL ROUXEVILLE
S'il n'avait pas été contrôlé positif, la veille, dans l'ascension du Tourmalet, Raphaël Rouxeville aurait été agrégé. Il est certifié de Lettres modernes et titulaire d'une maîtrise sur l'oeuvre de Rimbaud.
Il est aussi expert en sémiologie et communication (Master 2 Sorbonne). Aussi n'aime-t-il pas entendre dire que la "langue peut être fasciste". Certes, il comprend bien qu'il s'agit là d'une façon un tantinet excessive pour décrire la structure enfermante que peut être une langue, avec ses automatismes, ses règles d'usage, son prêt-à-parler. Raphaël Rouxeville pense au contraire que "la langue est amour". Chaque mot : "poubelle", "secrétaire général", "handicapé", "je t'emmerde", ou "je t'aime", même; chaque mot est mot d'amour.
Saison 2. La poésie de Raphaël Rouxeville ne s'inspire pas beaucoup de ses voyages. A dix-huit ans, il a failli aller en Irlande avec deux filles à peine plus âgées que lui (dont sa cousine), en 2CV, en ferry et sous une toile de tente. Sa mère n'a pas voulu. Il est allé à Londres en ferry, avec son cousin. Il y a acheté une cassette soldée à 9£99 de Martin Stephenson and the Daintees et a ramené le Melody maker.
Plus tard, il a visité Barcelone, avec une étudiante en Lettres appelée Isabelle. Elle avait les cheveux longs, très bruns, en cascade. Elle était plus catalane que les Catalanes. Hormis qu'elle ne s'adonnait pas à cette curieuse pratique des Barcelonaises consistant, sur un banc, assises sur les genoux de leur compagnon, à examiner leur peau masculine, à en extraire entre leurs ongles les points noirs de leur nez, dans leur cou, sur leur front. L'étudiante en Lettres, elle, n'a rien trouvé de mieux que de se fouler la cheville alors qu'ils ne leur restaient à peine que 2 immeubles de Gaudi à prendre en photo.
Puis il est retourné à Londres en ferry avec un ami, qu'il a depuis perdu de vue et c'est dommage
Il a voyagé ensuite à Athènes, à Delphes, avec sa soeur qui, très bon public, entre les colonnes, et dans les amphithéâtres, répétait souvent en serrant les cuisses : arrête, arrête de me faire rire, je vais encore faire pipi dans ma culotte.
Toujours avec sa soeur, il a assisté à Saint-Denis à la finale France-Brésil, sans avoir de billet et en passant trois postes de contrôle (ce qui peut sembler hors-sujet mais, en définitive primordial, afin de relater les voyages de Raphaël Rouxeville). Le cousin était là aussi mais n'est pas entré dans le stade, prétextant qu'il préférait voir le match sur grand écran. Raphaël, une fois dans la tribune, s'est tout de suite lié d'amitié avec une jolie stadiaire en tailleur rouge qui faisait des études de marketing. A l'issue du match, avec sa soeur, le cousin, la stadiaire (qui arborait un long carré effilé châtain foncé) et d'autres amis rencontrés sur les Champs-Elysées, Raphaël a célébré le 1et2et3zéro jusque dans l'appartement du XIIIe arrondissement sororal. La jolie stadiaire, qui était de Marseille, lui avait donné son adresse, là-bas, lui disant tu passes quand tu veux. La raccompagnant galamment, Raphaël a voulu l'embrasser dans l'ascenseur parisien ; mais elle l'en a suavement dissuadé en mettant sa main sur sa poitrine à lui, lui murmurant j'ai un copaing. Raphaël s'est tout de même rendu à Marseille quelques semaines plus tard, avec l'ami perdu de vue, et l'adresse de la stadiaire. Il ne l'a pas retrouvée. Il sont allés à l'Isle-sur-la-Sorgue, à Arles, ailleurs, en voiture, en écoutant de la très bonne musique.
Plus tard, avec son cousin, notre voyageur est allé à Essaouira, à Ouarzazate, dans l'Atlas et à Marrakech. Dans la casbah en pisé de Ouarzazate, les cousins ont été accueillis par une véritable nuée d'enfants, un essaim aux cheveux de jais, magnifiques, qui les a littéralement conduits à travers les ruelles, essaim hilare, riant en arabe et montrant du doigt les yeux des deux cousins, avec des mots français "jolis, jolis", "beaux, beaux". C'est mon plus beau souvenir de voyage. Puis, sur un grand boulevard de Marrakech, par un soir orange, une mannequin de type nordique, qui revenait probablement d'une séance photo, s'est avancée vers eux, pieds-nus, ses chaussures à la main, au ralenti. Elle a demandé une cigarette au cousin. Leurs yeux clairs se rencontrèrent. Il a fallu le réanimer à l'hôtel. C'est peut-être le plus beau souvenir de voyage de son cousin.
Plus tard, au Mont-Saint-Michel, un autre ami perdu de vue, a présenté à Raphaël une doctorante néo-zélandaise. Quelques semaines plus tard, très déprimé, il prenait le ferry pour Londres. Il y retrouva la Néo-zélandaise qui portait des bottes noires, était brune, avec les cheveux courts et des mèches acajou. Sa thèse, qu'elle conduisait à Londres, portait sur la littérature médiévale française. Elle était très déprimée. Raphaël a passé deux jours à discuter avec un Sri Lankais parce que c'est lui qu'il comprenait le mieux.
Là ne s'arrêtent pas les voyages de Raphaël Rouxeville. Mais il nous faut préciser, d'ores et déjà, qu'il retournera à Londres (voir Saison 3).
Et ajoutons, que Raphaël Rouxeville écrit de la poésie. Pour Le Capital des Mots, Lichen, Terre à Ciel et Décharge (précieuses revues qu'il remercie sincèrement) et qu'il se sent prêt à faire éditer un recueil (raphaelrouxeville@gmail.com).