Ce que disent les couleurs…ou pas
(un voyage)
A quinze heures cinquante neuf
Nous entrons dans l’Eure
Par la pancarte bleu foncé
Le ciel est matelassé de blanc et de gris
Le champ beurré de colza
Coupant le bitume anthracite la ligne discontinue
Est la couture qui surfile nos pensées délocalisées
Parfois écrire une phrase
Comme on pose une nappe sans motifs
Le Plessis sur Vert
Rénovation chaussée
la semelle de la route sera-t-elle souple ?
En hauteur le feu rouge
Une étincelle dilatée
Un rubis serti dans le ciel livide
Une trouée dans le troupeau
Des nuages ce bleu pâle
De mouchoir oublié
Fanions oranges sous les paupières
Baissées comme des jalousies
Toutes les couleurs se superposent
Se diluent dans le rêve essoré
Et la nuit plein soleil
Silhouette en métal corbeau
Brocardée de fleurs roses et rouges
Pour rappeler que la lumière
Peut s’éteindre d’un coup
A la fin du virage
Une bâche bleu turquoise
Légèrement plissée confirme
Dans un sourire que rien
N’est tout à fait nouveau
Murs moutardés d’un hôtel de poche
Dernier cube posé à l’emplacement vacant
Camion bouton d’or
Glissières endommagées
Frontières ébréchées
Partager ou s’éloigner oublier la carte
Prochaine sortie parcs et jardins
Terrains vagues à marée basse
Tant pis si la vitre est sale
Le soleil épongé traverse la fenêtre
Caresse les objets disparates
Il suffit d’attendre un peu pour que s’incruste
Sur la joue tachée quelques grains de mauve
Traînée de rose aplats de brique contre le ciel lilas
Un dimanche drapeau blanc
J’écris en bleu et le triangle
Ardoisé de l’ancien presbytère se prend
Pour la proue d’un navire fiché en terre
Les rideaux sans plis se tiennent
Immobiles dans leur jetée d’encre
Normandie couleur d’ampoule
Loin de l’interrupteur
Vert de gris
Gris de vert
Latéral
La Seine et le ciel
Jumeaux
D’extinction
Eau du fleuve
Flux verdâtre
Vert 403 de 1962
Le panneau indique Le Trait Yvetot
Fond blanc dit aussi Auberge des Ruines
La Pommeraie Chemin de Halage
Vert de fer forgé
Blanc d’œuf cassé sur le bord de la route
Les troncs sont courts les branches basses
Des enfants qui tardent à grandir
Petits bouts de gris
Pelotes rabougries
Végétale la brume devient douce
Ouvre l’horizon
Au lieu de le fermer
Il pleut des cordes tressées
Le paysage est un grand vêtement
Imbibé d’attente
Un tissu qui dégorge
Déshabillé de jaune et de bleu
Seules les rayures grenat se tiennent à carreaux
Une poignée de fleurettes safran
Sur le monticule de terre
Pas le temps de les compter
Ces lueurs convoquées
Pour pigmenter l’averse
Pommiers plumeaux fermés
Le rose se tient serré à côté du blanc
Nous éloignés
Le vert et le vert
Oublient leur différence
Seul le rouge des pancartes
Contient le blanc
Maintient les limites
Le dos des vaches
Brun généreux
Comme des mottes de terre
Pleines et pelucheuses
La mer de bronze
Brodée de blanc
Sous un vent d’essoufflé
Fin de journée détrempée
Ravinée crête bleutée
Suivant la courbe du retour
Le jaune latéral et le vert nu
S’additionnent
Dans la lueur des phares
Le chemin constellé de flaques
Restera l‘ultime couleur
Une nervure
CLAIRE KALFON
Elle se présente :
Publications dans les revues papier Petite, Décharge et Friches
ainsi que dans les revues numériques : Ce qui reste, Secousse, Francopolis, La toile de L’un , Recours au Poème, Ecrits du Nord
Cabaret et Le Capital des Mots.
Recueil de poèmes, Delta, édité chez Encres Vives,
collection Encres Blanches, en décembre 2016.
Expositions :« Feux de croisements » avec l’artiste Annie Barrat
à la galerie Lyeuxcommuns à Tours, en mars 2015.
Recueil « Nuit est jour » associé à l’exposition de Yolande Tanchou
dans les galeries Lyeuxcommuns et Elie Veyssières en Mai 2017.