Le Noyau
Arraché comme fragment d'équinoxe
Je glisserai gravier chevaux vapeur vers mon noyau
Derrière
Miniature Canada gorgé de brumes
Arrière
Le sommeil de la maison
Chênes charmes chargés de gouttes
Mais c'est quoi ton noyau ?
J'avalerai des glissières
Zébras lignes vignes colline de Sancerre
Barrières des péages
- Oh la tendresse du verger -
Arraché comme fragment d'équinoxe
Ballast un café
Je glisserai au rail cloué depuis l'enfance
Rien d'autre
Vers le noyau
Derrière
XIIIe - Frères Tang - aux pieds de l'oracle Baudruche
Infinités des caves
Mais c'est où le noyau ?
Devant là ?
Rouaud seul en terrasse ferme ses yeux de carpe
Devant là ?
Parthénon pacotille, pas une égratignure - Est-ce là le noyau ?
J'te foutrais ça par terre - et le sang des Communards et patati, les peshmergas, mes grands principes et tous ces hommes noirs dans la nuit, étincelant les yeux, assis sous Stalingrad ?
Devant là ? Oui...
Cachée, ombre de toc Acropole, tu en fais, toi, dis, une tête de noyau
Arraché comme fragment d'équinoxe
Glissant au rail cloué depuis l'enfance
Sera-ce toi ? Sera-ce ?
Sera-ce moi le noyau ?
*
Long feu
L'été a fait long feu
Tu le savais
Paille et carabine
Chapeau pour tout brasier
La terre est un brûlot
Il faut rouler les tentes
Suivre les troupeaux
Vers quelque nord avant l'automne
Il faut suivre un soleil
Qui réchauffera l'hiver
Qui rayera la neige
Le feu pour qui grelotte
Suivre aussi
Quelques maigres traces
Aveugle dans le givre
Fourrure pour tout brasier
Paille et carabine
Tout cela sera si loin
Je serai avide de printemps
Je le savais
Du cri renvoyant à la prairie
Et ne veux au prochain été
Plus long feu ni brûlot
Ni paille ni carabine
Et si le feu revient
Je le veux incendiaire
En cendres alors paille
Fourrure et carabine.
*
La lampe
Comme il nous en faut peu comme carburant
nous autres en alchimie
un seul morceau de corne, un seul cheveu
peau, calcium
à peine une cellule pour fondre le miroir
C’est si peu de choses - que le don de l’enfance
à faire naître, chauds, les mondes fabuleux
tous les châteaux d’Asie
Comme une miette suffit - juste l’oeil dans ton
regard
à peine une vie passée
pour ensemer Japons, chevaliers
lacs et brumes, parvis bitumineux
Si peu dans la cornue nous autres
pour traverser la lune
et que luise, continue, dans la nuit
la lampe à carbure
petite mais diffuse.
*
Les écharpes
Deux saisons sont passées
dans l'air niais
Et qu'as-tu fait des amitiés
Plus de paroles
Plus même de musique
Et puis
Plus de mots
Ta voix même, dis
Est d'un pâle
Bouh !
A manger des spectres
Tes deux mains
regarde
n'ont agilité
qu'à laisser braire le vent
Et tes doigts attrapent les écharpes
que tu portes à ta bouche
les écharpes
les écharpes des morts.
*
L'enfant sage
J’ai bien volé un jour un tournesol, chapeau melon
en habit vert - oh il est si sage, on ne l’entend jamais
c’est si calme quand il joue, ça m’inquiète, alors je vais voir -
Je l’ai rendu le lendemain sans sommeil, oui
à demi-mort de peur
Pourtant combien ma déraison aux écouteurs
combien aux formats italiens, combien de jours trop ouverts
combien au guichet de mon coeur
combien
J’ai aussi une nuit sous les draps
attendu ma venue en messie
- c’est sûrement moi, nouveau-Jésus, je suis si gentil
Safet Suzic, Marie-Madeleine, hé vous, priez pour moi
Pourtant combien ridicule ce buste droit à un vacher
anneaux d'acier sur fesses nues, oui
combien embusqué aux reflets de la Centaure
combien
Et puis, en loggia d'or, à l'opéra, dites, d'où sort ce type
là, combien aux mains rougies, dans le lorgnon
combien à courtes manches – et pourquoi pas ?
En enfant sage, en petit Christ, hé, en homme fou
Pourtant combien fille de ma raison est la magie folle où j'ai bu
combien d'une goulée et sans façon, oh là là
Combien, en enfant sage, oh oui, combien en homme fou.
RAPHAËL ROUXEVILLE
Il se présente :
Raphaël Rouxeville est poète. Il pratique aussi la photographie. Par ailleurs, sans aucune espèce de rapport, il regrette le temps où Jean-Pierre Pernaud présentait à la télévision des sujets sur les petits métiers de province en voie de disparition. Il avait l'art, à la fin du sujet, d'incliner sur commande la tête, comme un épagneul à qui on aurait appris à sourire benoîtement. C'était touchant.
Les voyages de Raphaël ne nourrissent pas particulièrement sa poésie. C'est pourquoi il a choisi d'en faire état dans sa biographie (voir saison 2, 3, 4). Toutefois, par solidarité avec les cheminots en grève, il a décidé de pratiquer, lui aussi, une grève perlée de la relation de ses voyages (Pays-Bas et Londres à venir).
Raphaël Rouxeville sera présent les samedi et dimanche 9 et 10 juin 2018 au Marché de la Poésie à Paris afin, notamment, d'y rencontrer des trices.éditeurs. Il portera (peut-être) pour signe distinctif un poireau dans la main gauche mais aussi un sac-à-dos avec des tapuscrits qu'il jettera, deci-delà, sur son passage. Il pense que les vases communiqueront et qu'au fur et à mesure de sa glorieuse distribution, son sac-à-dos se remplira de recueils et de revues; son compte bancaire reconsidérant, lui, ses ambitions à la baisse.