Forêts
1
Tu te laves dans cette coulée
de verdure et d'air pur
de toutes les flétrissures
du jour qui t'a accaparé
et d'une main mal assurée
tu touches ton visage blême
en espérant d'ombre baigné
qu'il ne soit plus enfin le même
2
La forêt voisine notre enfance
et garde au bout de ses allées
la silhouette à demi effacée
émaciée dans la lumière
de celui que nous pensions devenir
tout au bout de ce silence
3
La forêt sait seule
ce qu'il y a au bout
de son chemin
Elle nous précède
dans l'ordre de prééminence
devant la lumière
Et ce qu'il y a peut-être
en celle-ci de chagrin
4
Toute affaire cessante
il te faudra un jour
peut-être un soir
de grande fatigue
pousser plus loin
dans la forêt
et tu verras enfin
dans une dernière
trouée de lumière
ce qu'elle tramait
depuis toujours
derrière ton dos
***
Nuit vive remous d’étoiles
1
Nous rêvons de tendresses
plus vastes que le ciel
mais nos mains ne chérissent
que l'ivoire des vents
Prenant pour merveille
le mirage des routes foulées de chaleur
pris au collet de bras neufs
nous saisissons l'horizon par la lame
2
Nous armons tant de navires
pour devenir meilleur
à l'autre bout du jour
Tant de nous-même
appareille chaque fois
les cales chargées
de nuit mal arrimée
Chaque soir drossé à la côte
A peine un soupir Une colline
si basse qu'elle n'a pas de nom
3
Il y aura l'amour
un rayon de soleil
au matin dispersant
le froissement
cendreux des draps
Il y aura la joie
une vigne contre le ciel
Il y aura l'enfant
au moment de sa naissance
plus fort cent fois
que l'amour de soi
Il y aura le doute
une palme de nuit
éventrant le soleil
Il y aura la patience
car il faut bien des années
pour désenchanter
le monde
Il y aura le silence
qu'on traversera tremblant
par le gué
d'un regard
de peu de fond
Il y aura la déchirure
et nos cris vieilliront
sans faiblir
l'enfant caché dans nos poings
Il y aura la mort
son pas feutré toujours
par les cotillons d'une fête
Il y aura tout cela
et il y aura toujours
au-dessus de nous
le soleil
comme le regard de l'idiot
enveloppant tout de son silence
***
Mers
1
La mer rêve devant
l'horizon de la terre
Harassée d'épiphanies
elle croit en l'immensité
de l'homme
2
Le soleil donne
à l'homme sa toise
brisée dans les mille
et cent éclats
de la vague
3
On ne sait jamais
en venant devant toi
si tu nous parleras ce jour-là
de naissances glorieuses
dans un éclaboussement d'écume
ou bien de notre seule mort
dans le fil d'une veine plus froide
Tu exauceras le vœu
de chaque horizon
GAËL GUILLARME
Il se présente :
Né en 1974 à Paris, vivant aujourd’hui à Saintes (Charente-Maritime), professeur de français, il a publié un recueil, « Nuit vive Remous d’étoiles » en 2016 aux éditions Encres Vives (collection Encres Blanches, n°666) et a participé au numéro annuel de la revue Haies Vives (n°6, septembre 2018).