Dans la nuit toscane
Le feu crépite
J’observe la course folle des étoiles
Impavides
Au ralenti d’une ruée universelle
Comme étourdi par ce temps
d’immobilité fulgurante
Senteur enivrante des champs de blé
Quand la rosée réveille les soupçons
Grillons et cigales symphonisent
Quand les moucherons vocalisent
Au milieu
Des plaines de l'Ennui, profondes et désertes
Soudain de derrière les buissons
Voûté mais tonique
Noctambule taciturne
Un homme râblé mais souple
Surgit d’ici d’ailleurs de nulle part du centre de la terre peut-être
Grommelle s’ébroue se râcle la gorge pose son bâton regarde le ciel maugrée de nouveau renifle fort scrute autour de lui s’approche du feu se frotte les mains des mains calleuses épaisses respire fort dégage une flasque de sa poche en boit une gorgée tend la main vers moi m’offrant un calumet alcoolisé rituel décisif je saisis bois tout en l’observant déchiffrer le destin dans les flammes il reprend sa flasque se ressert range son breuvage dans cette ample cape qui lui confère une silhouette intimidante et soudain plante ses yeux dans les miens pour la première fois depuis son arrivée immobile sans desserrer les mâchoires sans qu’une paupière ne bouge sans qu’un insecte se manifeste je ravale ma salive soutiens son regard puis il sourit détend les muscles du visage serre ma main ou plutôt broie mes os chaleureusement tout cela sans qu’un instant nos yeux se détachent
Il me salue dans sa langue
Repère à mon accent mes origines et me parle doucement de cette voix rauque usée par la solitude
Je suis berger je suis sarde je parle ta langue car j’écoute la radio toute la nuit et j’apprends ce que l’école aurait dû m’offrir si ses portes m’avaient été ouvertes je parle huit langues toutes apprises en écoutant la radio
mon gosier de métal parle toutes les langues
Inculte les premières décennies de son existence
Aujourd’hui érudit ne croise âme qui vive que deux fois trois fois l’an
Il pourrait m’éblouir de sa science des arbres
des herbes des cris d’animaux mais
rien de cela
après me dévisager
avec le souci de qui veut se souvenir
respire profondément comme
pour soulever une montgolfière et lentement
il me récite les Fleurs du mal
Trésor gagné au gré des tourmentes et cyclones
Sur les mers intérieures de son atlas toscan
L’oreille recueillant les ondes du poste
Comme les mains l’eau qui désaltère
Discrètes larmes de joie masquées par les fumerolles du brasier
Distraites envolées au firmament
le ciel est triste et beau comme un grand reposoir
Alors après un long silence
Partagé choisi et apaisé
Il se lève d’un bond de ses soixante ans alertes et libérés
Un bâton d’olivier en main droite aristocrate des champs
Me salue et repart comme il est apparu
Et me laisse en songes
Ephémère érudit
Ne sachant si j’étais victime de mirages
Ou bien collectionneur d’évidences
Au loin j’entends ses sifflets ses harangues qui se mêlent aux cloches des moutons
Et devine le peu de mots qu’il doit prodiguer durant des semaines
Alors poète inculte
Je cherche à redire ce que j’ai entendu
A confondre le poète tutélaire et le poète des collines
A fondre le voyageur immobile dans les pas de l’éclaireur de la nuit toscane
(…) Aimer et mourir au pays qui te ressemble
(…) Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
LAURENT MAINDON
Il se présente :
Laurent Maindon est metteur en scène et auteur par passion, fils de peintre en bâtiment et de caissière. Il a fondé et dirige à Nantes le Théâtre du Rictus, compagnie de théâtre conventionnée, depuis 1996 et défend tout particulièrement les écritures dramatiques contemporaines.
En tant qu’auteur, il a publié plusieurs ouvrages de poésie (dont récemment au Zaporogue Lettres intimes, Chroniques berlinoises, Soudain les saisons s’affolent, La Mélancolie des Carpathes qui formaient la tétralogie Les chemins du désir) et quelques nouvelles et récits (récemment La collection, Voivodina Tour, Par delà les collines…). Il collabore avec les Editions du Zaporogue, Leaky boot press et a publié également dans différentes revues (Le Zaporogue, Terre à ciel, Revue des Ressources, Ancrages.ca, Nagyvilag, Uj Forras).