Cosmos 1985
Enfants, nous étions les solaires
Nous déchirions des sachets de poudre
Pétaradante arôme orange fraise citron
Que nous vidions sur nos langues
La poudre et la salive faisaient des explosions
De fruit. Nous commentions hilares l’effet sur le palais
A l’intérieur des joues à la pointe de la langue
On aimait la guerre le feu d’artifice du haut des remparts
Et manger du Cosmos dans le coeur de la bouche
Après nous avons attendu
La Norme Française un syndicat de dentistes
Ma mère la boulangère la CEE
Ne voulaient plus donner en pâture de sachets aux enfants
Ou peut-être en pâture les enfants aux sachets
Nous avons attendu
Nous avons attendu
Nous avons
Et puis bien décidés, nous avons renoué avec le coeur des planètes
Les escarbilles dans la bouche qui toquent à la luette
Pulvérisées merveille le corps d'ondes concentriques
Nous étions alors un peu moins guerriers
Les sachets avaient l’arôme bouche de Laëtitia ou bouche de Marion
Alors hésitants langue à langue derrière des voitures
Limaces dans un parking sordide
Allongés ensuite plein soleil dans un parc
Puis enhardis sous des globes à la table d'un café
Nous retrouvions la bouche en coin les délices du Cosmos
Ensuite, nous avons attendu
Attendu attendu attendu attendu attendu attendu…
Et le Cosmos est revenu comme nous prenions des airs
Dans de longs pardessus chinés avec barbiche blonde
Air de poète russe nous nous abouchions toujours
Quand vite ces lèvres-là ne nous suffirent plus
Il nous fallait la peau dans des chambres à l’envers
Tout de la peau les ergs les versants nous voulions le cou la mousse la soie et fentes et vallées la main les feuillages tétin le nylon bouche blés le grain dentelles monts et daim ubac nous voulions méplats et plaines
Et puis la mer
Mais tout l’univers désormais ne tenait plus dans un sachet
La poudre crépitante alors divisée avait l’arôme bouche de Vénus
De Diane arôme Elodie Bouchez ou bouche de Circé
Nous cassions fragmentés des canapés bouche éclatante
De cyprine fous-rires couverts de sueurs brandis
Au bout d'orages celtes ou judaïques
De loin en loin à force de peau
A cause que l’éclatement du Cosmos de l’OTAN de l’ONISEP
Nos bouches vinrent à disparaître béantes derrière un baîllon de chair
Je t’ai attendue attendue attendue ... Bien plus encore
Encore encore...
Et puis tu es arrivée d’Amérique la bouche en coin
Avec dans ton sac des sachets de Cosmos.
***
Olympia Vegas airport
Loupiotes petit Vegas
J’ai vu descendre plume
Tes piafs sur le tarmac
Je t’attendais, tu sais
Ton manteau ?
- Envolé !
Je danse fou à t’enrouler dans une pelure d’orange
J’ai moi calé dans ma matrice un panier de goyaves
Tu ris. La lune est un soleil avec des mers bleues
Dont les rayons peureux font fondre tes amandes
Je t’aime, tu sais
Donne-moi ton jus, bouche, que je t’embrasse
Demain mes oies m’attendent
Blanches sur le tarmac
Je remonterai plomb
Vers le grand ciel ardoise
Loupiotes grand Olympia.
***
Amers ailleurs
Pour l’éternité d’un bleu
Frères, ô sœurs de fuite
Comme l’orangerie est amère
Mon pauvre Arthur Aden, Vincent, Alejandra et toi Koke
Combien d’amer, toi bel enfant des Ardennes
Pour ces marches boueuses au fin fond des atomes
Ces fracas dans la poudre, ces amoureuses
Et ces ponts que tu lances dans le ciel de Londres
Combien d’amer, toi le Hollandais des bords du Rhône
Pour la lune voltigeante comme un cyprès de Satan
D’amer pour brûler ta vie dans la gueule feu d’un héliotrope
D’amer, toi l’Argentine de New-York et Paris
Pour ton grand vaisseau ailé quand l’océan meurt en écluse
Pour les mots que tu traces jusqu’au bout dans l’enfer de ta tête
Combien d’amer, toi le Parisien du Pérou
Pour ces troncs tors, ces rouges inouïs de Pont-Aven
D'amer, pour ces serpents fornicateurs des Marquises
Et ces femmes lasses et lascives qui t’appellent Koke
Soeurs
Combien de dégueulis de tôle
Ces jus de charbon froid
Et ces propriétaires
Arrive l’oubli de la monstrueuse Europe
Puis les cases exécrables
Sous les palmes sans brise
Londres 2017 - Victoria station hall - Au milieu des voyageurs, un homme sri-lankais pousse un chariot vert, avec une poubelle verte, se penche avec une balayette verte, dans sa tenue de service verte ; ses yeux ont définitivement basculé à l’intérieur de son crâne. Je lis le logo sur sa casquette verte de service. Je ne peux mieux faire que d’imaginer à la place un dragon. Et je dis : « Si loin de chez toi, amer, amer, mais qu’as-tu fait d’Akasha ? »
Le vapeur de Marlow avance sur les brumes lourdes du fleuve.
Kurtz
« Il s’agit de ramener Monsieur Kurtz, le plus gros pourvoyeur d’ivoire de la Compagnie... »
Kurtz
Aux rives de la folie, aux mains du fleuve, ramener Kurtz que des centaines d’indigènes vénèrent. Kurtz le puissant. Kurtz le prophète. Kurtz le veau d'or. Kurtz que des milliers d’yeux dans la forêt protègent de toute intrusion.
Mais Kurtz dont le mystère ne vaut rien, absolument rien, devant le mystère vide, chaud comme un coeur de singe que l’on tranche, rien face à l’insondable, l’impitoyable, l’inutile et hiératique mystère de l’Afrique.
Kurtz vaincu, possédé. Amer, amer, amer. Qui a perçu de tout son être tremblant le néant des ailleurs.
L’horreur
L’horreur
L’horreur
[Gober l'orange,
il faut]
RAPHAËL ROUXEVILLE
Il se présente :
Raphaël Rouxeville a étudié et enseigné les Lettres modernes. Sa poésie a été publiée en revue dans Terre à Ciel, Décharge, Le Capital des Mots, Lichen et La Cause littéraire.