La membrane
de la bibliothèque
Où s’en est allée l’odeur des livres ?
Le parfum du papier bruni,
L’essence de la bibliothèque ?
Où s’est engouffrée cette pièce carrée ou rectangulaire ?
Où, ces étagères en bois qui fleuraient bon l’ancien ?
Où, ce plafond haut d’un temps abandonné ?
Le goûter du mercredi après-midi avait la saveur des livres pour la jeunesse qui comblaient les murs de la bibliothèque. Le goût acidulé des dessins animés pétillait comme une nouvelle quatrième de couverture que je lisais. Et je ne me lassais pas de regarder les mêmes couvertures, d’imaginer, et d’en prendre finalement un ou deux pour la semaine.
Où s’est défilée la bibliothécaire ?
Où, son bureau logé dans un angle de ce petit espace ?
Où, son manche à balai ? Qui l’a volé ?
Cette journée, que la semaine a habilement creusée en son milieu pour enseigner aux enfants des notions élémentaires de liberté, cette journée me rappelle pourtant que l’école est à côté : derrière la fenêtre de la bibliothèque, la cour de récréation est vide. Ceci ne gâche en rien mon escapade en solitaire : je suis même content de la retrouver dans cette forme-là.
Je ne me souviens pas avoir croisé beaucoup de mes camarades le mercredi après-midi. C’était mieux ainsi. Ces parenthèses informelles, quoique régulières, revêtiraient désormais l’habit de l’ennui pour moi. Contiendraient un plaisir trop petit pour être suivi, petit comme l’est mon village, petit comme l’était la bibliothèque. Mais l’essentiel ne se trouve-t-il pas dans l’infime ?
Où l’infime peut-il être ravi ?
Comment l’infime donne-t-il naissance à des envies immenses ?
Où peut-on débusquer l’origine de nos envies ?
Notre mémoire, qu’on souhaite garder vive, nous lasse cependant et ne laisse qu’un entrebâillement étroit sur la puissance de nos émotions premières. Nous récoltons des lambeaux de ces émotions, des parcelles de sentiments aigus, des imitations de plaisirs simples et incomparables. Le jour s’achève toujours avec une rapidité qui nous surprend, l’ombre grandit trop facilement dans la bibliothèque, quoique la douce lumière à travers la fenêtre persiste à me rassurer. La vérité sur ces émotions est enfermée, savamment rangée dans un coffre-fort de l’univers – peut-être. Dans un espace où (Dieu fait bien les choses s’il le veut) le mal de l’humanité est incapable de s’immiscer. Dans un lieu où le mot « heureux » est inepte et en mal d’être employé, trop terne face à ce qu’on y reconnaît. Et nous avons raison : la nostalgie n’est d’aucune utilité. Mais pourquoi continue-t-elle de renfermer le précieux et l’essentiel ?
FRANCOIS BAILLON
Il se présente :
17ème arr., Le Coudrier, 2017
Les journées doréfiées de Nathalie, Editions de l’Onde, 2015
La ville aux paquets de silence (conte), revue Délits d’Encre, 2015
Collaborateur à la revue Les Cahiers de la rue Ventura (2010-2018)