Phobie
Vous avez l’habitude de travailler en musique. En sourdine, les préludes et fugues de Bach accompagnent le cheminement de la pensée. Une bulle de sons qui conserve la tiédeur d’un cocon.
Les enfants vaquent ailleurs. La maison vous appartient.
Le bureau a été aménagé dans les combles. A l’écart du tumulte domestique. La lumière du matin allonge ses rayons sur le clavier de l’ordinateur.
Des champs bordés de cerisiers sauvages jouxtent l’immeuble. En cette saison les arbres sont en fleurs. De temps à autre, vos yeux quittent l’écran pour observer par la fenêtre l’envolée de pétales sous la brise. Au clavecin, une fugue disperse des notes assourdies. Vous tendez l’oreille pour suivre la mélodie des voix entrelacées.
Une abeille s’active derrière le carreau loin de son butin. Vous entrouvrez la fenêtre et d’une pichenette l’aidez à prendre son envol.
En vous penchant pour suivre la trajectoire de l’abeille, vous constatez que des mouches ont élu domicile sur la façade. Points noirs sur le crépi ocre, elles reposent immobiles au soleil. Vous refermez la fenêtre sur les promesses de l’été.
Votre regard s’attarde sur les fils qui assurent les branchements électriques des appareils connectés, remonte jusqu’à la prise téléphonique à laquelle est raccordée la box. Une mouche chemine en direction de la fenêtre, une autre comme surgie d’entre le mur et la prise progresse laborieusement à sa suite. Comment ces insectes ont-ils pu se faufiler à l’intérieur sans que vous vous en aperceviez en ouvrant la fenêtre ? Ou alors …?
Bach a fini par se taire. Vous saisissez un journal, assommez les mouches.
Vous n’allez pas tarder à le constater, la colonisation est en marche. Aucune expertise - désinsectisation, pulvérisation de produits répulsifs - n’arrêtent l’invasion qui se propage à l’intérieur de l’appartement, fenêtres fermées, toutes saisons confondues. Après l’étonnement, vient le doute. Comment croire que des mouches puissent nicher dans les murs et surtout en sortir ? Sur le pignon de l’immeuble on aperçoit bien les insectes mais seul votre appartement sous les toits en est infesté.
Cinq années de bataille avec le syndic et les copropriétaires n’y changeront rien.
Au bout du compte il vous reste la fuite.
NADINE TRAVACCA
Elle se présente :
Nadine Travacca vit en Savoie et publie des textes poétiques en revue papier et numérique.