Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - GÉRARD LE GOFF

Publié par Le Capital des Mots sur 18 Mai 2019, 19:53pm

Catégories : #poèmes, #nouvelles

 

Toutes ces pierres levées -

La Terre vous rêva-t-elle socs

Sans aucun sillage

*

Effleurer ta main

A l’endroit où l’ombre d’une rose

Coupée la colore

*

Aux fenêtres du soir

Tremble dans un reflet d’oiseau

Le désir de fuir

 

 

Extraits du recueil : Le reste du peu : 75 haïkus libres ou courts élémentaires, selon les convictions des uns et des autres.

Le reste du peu : vient de paraître aux éditions Encres Vives, collection Encres Blanches, N°764 © Encres Vives, dépôt légal juin 2019, ISSN 1625-8630 / ISBN 2-8550.  Pour se le procurer :

https://encresvives.wixsite.com/michelcosem/edition

 

 

***

 

Passage de l’Aube

Je cherche l’or du temps.

André Breton

 

J’ai tendance à considérer Paris comme un ensemble attirant de monuments et de musées. Je me rends là en touriste, comme on peut se rendre en bien d’autres lieux. Après tout, je ne vis pas dans la capitale de la France et m’estime en droit de traiter cette cité en destination culturelle. Ce n’est pas lui manquer de respect, après tout ; c’est même estimer qu’elle vaut le voyage.

Cette année-là - pour laquelle je me trouve en incapacité de déterminer son rang dans le siècle car fâché avec mon passé et dépourvu de tout agenda -, je décidai de visiter une fois de plus le Louvre. Vous voilà obligés d’admettre que mon comportement est bien celui d’un authentique touriste. Je demeure par ailleurs persuadé que nombre de parisiens n’ont jamais posé un orteil dans l’ancien palais royal.

Après ma studieuse déambulation dans les couloirs séculaires du musée, j’allais baguenauder sous les arcades de la rue de Rivoli. Quelle pitié de voir ces minables étals de plein vent venus enlaidir ce qui aurait pu ressembler à un tableau de Giorgio de Chirico. A travers la sonorité de son nom, par son décor d’allées de cintres, cette voie ne restitue-t-elle pas un peu de la grâce italienne ? Quand chasserons-nous les marchands du temple ?

Quelques enjambées me menèrent au pied de la tour Saint-Jacques, chère aux pèlerins de Compostelle, aux alchimistes, aux poètes et autres rêveurs – tous compagnons des plus belles routes. Ce beffroi gothique, seul vestige d’une église disparue, possède un magnétisme surnaturel. Ce que semblerait pourtant démentir l’herbe du square qui lui fait cortège.

Je voulus aller me promener ensuite sur les Champs Elysées, comme tout touriste ; je rejoignis le site en métro, comme un autochtone. Je descendis à la station Concorde, car estimant pour finir que Paris ne pouvait se découvrir que pédestrement. Je remontai l’axe historique de la ville jusqu’à l’Arc de Triomphe. Je me suis ensuite engagé dans l’avenue Hoche pour aborder le parc Monceau, un des plus beaux de la capitale, qui affiche avec désinvolture sa symbolique maçonnique par la présence d’une curieuse pyramide presque conique - comique ?

Je ressentis dès lors une intense fatigue. J’avais marché plusieurs heures d’affilée dans les rues éprouvantes de Paris, à l’envoûtement sans pareil, sans compter le piétinement dans les galeries muséales. Eprouvant la faim, je me jetai au hasard dans un café de la rue de Thann. Modeste établissement où l’on vous servait des casse-croûtes interminables avec un large sourire contre si peu d’argent, somme toute. En engloutissant mon pain qui croustillait sous la dent, garni de jambon, d’œuf dur, de salade et relevé d’une juste touche de mayonnaise moutardée, je vidai deux bières.

— La poussière de la ville assoiffe bien plus que celle des champs, me suis-je justifié.

Au sortir du bistrot, je m’interrogeai sur la suite à donner à mes pérégrinations lorsque mon attention fut attirée par l’ouverture colorée d’un passage. Je savais que de nombreuses galeries couvertes existaient dans divers arrondissements. Je ne connaissais pas leur nombre, encore moins leur dénomination, à l’exception des plus connues : les Panoramas, Vivienne, le Grand Cerf ou Jouffroy - par exemple. Il émanait de ces lieux hors du temps une atmosphère particulière, tout à la fois magique et mélancolique. Celui devant lequel je me tenais s’appelait le passage de l’Aube. Un nom aussi évasif que commun.

— Seuls, sans doute, les chauffeurs de taxis chevronnés connaissent toutes les adresses de la ville, me suis-je rassuré.

J’entrai. D’emblée, je fus surpris par la singularité des vitrines bordant l’allée abritée : tant par leur aspect que par leur contenu. Dans la première était exposée une table de dissection sur laquelle on avait juché une machine à coudre obsolète, noire et incrustée de ramages dorés, et un parapluie en percale grise, au manche de bois blond. L’échoppe n’avait pas de nom. La deuxième s’appelait : A l’amour fou. Derrière le verre, un buste de femme énucléée et une paire de gants couleur azur. Les yeux de verre de la statue luisaient dans une troisième devanture, portant les lettres peintes du mot : Curiosités, et qui apparaissait plongée dans une obscurité concertée. Je ressentis un trouble m’agiter. D’autant plus que j’étais le seul à flâner dans les parages. Tous les étals suivants apportaient leur lot de bizarreries, d’inconvenances : sculptures et masques primitifs, poupées vouées à quelque pratique de sorcellerie, tableaux enchantés, figures et symboles alchimiques ; un bric-à-brac si déroutant que je ne parvenais pas à en dégager la moindre cohérence, fut-elle d’ordre magique.

Le couloir s’achevait par une double porte matérialisant l’entrée d’une salle de spectacle. La surmontait, en effet, un panneau indiquant : Théâtre de l’Imprévu. Une affiche imprimée mais dépourvue d’image renseignait le passant sur le déroulé d’une conférence dont l’intitulé me ravit : Comment être surréaliste aujourd’hui ?

La question méritait tout à fait mon intérêt. Dans le modeste amphithéâtre, décoré à l’italienne, où je pénétrai, tous les sièges s’avérèrent inoccupés ; sur la scène, un homme marchait de long en large. Son pas lourd résonnait dans l’âme des planches. De taille moyenne, les cheveux drus et portés en arrière, doté d’un regard d’indien - celui des grandes plaines -, il portait un costume démodé, une chemise sombre au col de laquelle il noua une cravate de soie obscure. M’ayant aperçu, silhouette malhabile chancelant sur le seuil d’une travée, il s’écria :

— D’où venez-vous, enfin ?

Surpris, je ne pus lui répondre qu’en faisant allusion au dernier lieu que je traversai à pied :

— La place de l’Etoile.

— La dix-septième lame du tarot de Marseille.

— Plaît-il ?

— L’Etoile, c’est l’arcane positif. L’Etoile vous guide vers l’espoir.

— Je n’entends rien à l’ésotérisme.

— Pourquoi écrivez-vous, alors ?

— Comment savez-vous cela ?

L’homme, qui m’impressionnait par son port altier, par sa diction impeccable, m’affirma connaître beaucoup de choses à mon sujet.

— Je sais, par exemple, que c’est parce que vous êtes un poète que vous n’avez pas pu résister à l’attraction de la tour Saint-Jacques.

— Croyez-vous ?

— Elle est magnétique.

Il m’observait maintenant que j’avais approché l’estrade. Il me donnait l’impression d’être courtois, aimable même, mais singulièrement attentif aussi. Comme si ma modeste personne présentait un intérêt particulier. A moins qu’il ne s’étonnât de l’absence de public pour la conférence à venir. Il reprit, d’une voix de confident :

— Dans l’entrelacs des voies qui rayonnent autour de ce beffroi médiéval, vous auriez pu découvrir la seule maison encore existante de Nicolas Flamel, rue de Montmorency. Du moins, prétend-t-on qu’elle lui appartint… Et pourquoi pas ? Or, un natif du village où vous résidez - Noël du Fail - cita le nom de ce célèbre alchimiste dans sa préface au livre d’un sien ami paracelsien. Est-ce une coïncidence ?

— Vous en êtes sûr ?

— Et le souvenir de la rue de la Vieille-Lanterne où se pendit Nerval, qui portait le même prénom que vous ? Cela vous parle-t-il ? Cette venelle, à portée de la tour, fut effacée peu de temps après la disparition de l’inconsolé. On trouve là, maintenant, le théâtre de la Ville.

— Un simple hasard, ai-je alors avancé.

L’énigmatique personnage éclata de rire avant de proférer :

— Le hasard est objectif !

Je lui fis comprendre que je n’étais pas encore tout à fait convaincu.

— Et cet auteur que vous admirez tout autant que moi… Il devait reprendre l’affaire de la famille : une fabrique d’alliances… Ne trouvez-vous pas que ce mot : alliance recèle d’infinis possibles ?

— Sans doute, ai-je balbutié, sur la défensive.

— Les alliances Nuptia se vendaient au numéro deux de la rue des Haudriettes. Cette adresse n’est pas très éloignée de la tour Saint-Jacques, cette boussole si mystérieuse. Elle s’avère proche aussi de l’église Saint-Merri, que connaissait notre ami André (remarquez au passage qu’il portait le même prénom que moi), dont le portail principal est surmonté par la figure tutélaire de Baphomet.

Son discours me donnait le tournis.

— Ne constatez-vous pas que cet espace somme toute restreint, par rapport à la dimension de l’agglomération, qui gravite autour de la tour, concentre un nombre important de repères qui devraient s’avérer capitaux à vos yeux ?… De la limaille poétique attirée par… Par quoi, me direz-vous ?

— Je n’en sais rien.

L’inconnu poussa un rugissement d’exaspération.

— La conférence est annulée ? ai-je risqué.

Il eut un sourire indéchiffrable ; se moquait-il de moi ?

— Elle vient d’avoir lieu.

Je me retrouvai dans la rue de Thann, hébété. Je fis quelques pas pour constater que le passage de l’Aube n’existait plus. Une fissure spatio-temporelle venait de se refermer.

J’éternuai. Cherchant un mouchoir dans l’une des vastes poches de mon manteau, mes doigts rencontrèrent un objet. Comment avait-il atterri là ? J’extirpai un volume à couverture blanche, que je lus aussitôt : Arcane 17 par André Breton, édité par Jean-Jacques Pauvert.

— L’écrivain avait été inhumé au cimetière des Batignolles dans le dix-septième arrondissement, me suis-je souvenu.

Je n’allai pas tout de même entamer des spéculations hasardeuses. Pourtant, cette nécropole n’était pas si éloignée que cela du parc Monceau, donc de la rue de Thann.

— Décidément, me suis-je dit, je prenais l’habitude d’acquérir mes livres de bien étrange manière à chaque fois que je venais à Paris.

 

Texte inédit, in : Les chercheurs d’or.

 

GÉRARD LE GOFF 

 

 

Il se présente :

Gérard Le Goff travaille la prose (roman, nouvelles), la poésie, le dessin et la peinture.

Pour en savoir plus, voir son site :

Gérard Le Goff : Amers & compas,

https://gerardle-goff4.wixsite.com/monsite

Gérard Le Goff - DR

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