Le Capital des Mots.

Le Capital des Mots.

Revue littéraire animée par Eric Dubois. Dépôt légal BNF. ISSN 2268-3321. © Le Capital des Mots. 2007-2020. Illustration : Gilles Bizien. Tous droits réservés.


LE CAPITAL DES MOTS - JANE ANGUÉ

Publié par Le Capital des Mots sur 5 Juin 2019, 16:26pm

Catégories : #poèmes

 

Dénouement

 

Je m’accroche à ce fil

seul lien ténu qui subsiste

je tiens à lui intenable

je caresse

la poupée apportée par Dédale

et comme les autres filles

je la donne au pommier

c’est moi lune féconde

puis ce sera à notre tour

données au fils de

ma mère

frère-taureau

outre ce monde

il ronge sa solitude

lèche les esquilles de nos os

un champion est venu

et le pommier bourgeonne

Dédale a apporté ce fil

je l’ai donné à Thésée

en même temps que moi

rançon de toutes les jeunes filles

de ce pays maudit

je l’amène sous le linteau

du labyrinthe d’où

la bobine se déroule

entre dans l’antre

où file notre chemin

veine d’eau vive qui le suit

filet d’argent lunaire

et il ressort couvert

du sang

de mon frère 

ce fil sera tissé

en robe de mariée

abandonnée

sur l’île où il m’a laissée

défaite

sous la coupe de Dionysos

les journées défilent

le vin pourpre ne console pas

du sang que j’abhorre

seule je reviens

auprès de mon arbre

où le balancement

de mon corps

fera grossir les fruits

retrouver mon Minotaure

 

je

m’accroche

à

ce

fil.

 

 

***

 

Leçon d’humilité

au cours d’une introduction à la pièce

Les Sorcières de Salem’ d’Arthur Miller

 

Au cœur de Salem, terre de terreur

frénétique, une explication s’impose

pour saisir la notion de bouc

émissaire :

Chasse aux sorcières

suspendue aux mauvaises langues

d’enfants et de jaloux, tout comme,

sans excuse, la poursuite effrénée

de rouges, voire de verts

à des années-lumière, peu éclairées ;

 

référence au tableau du bouc

dans le désert, abattu, pourchassé,

chargé de tous nos maux, le poids

de nos peurs, l’étau qui nous serre.

 

Limpide, me semble-t-il,

mais parmi

les visages ouverts, une jeune fille,

revenant soudain de ses errances

ésotériques, les yeux teintés de rêves

roses et blanches, d’évidence perplexe :

 

« Madame, je n’ai pas bien compris.

C’est quoi, enfin,

le bouquet mystère ? »

 

 

***

 

 

Peur du Vide

 

Serait-ce toi ?

création seule et unique

fiction bâtie sur socle

de mots puissants

enflés dans la résonance

d’une cathédrale puis rétrécis

dans les ombres cloîtrées

idéal érigé sur un regard

 

sans profondeur miroir

désir d’être délétère

sur escalier en lacis

liseron montant

sur tour ajouré

malgré la peur du vide

 

sans détour remplage

de papier éboulé

dernière marche suspendue

dans le froissement des airs

ni mur ni main courante

la lacune attire

 

l’horizon s’étend mitigé

sous nuages pressés

cachant un demain ou aucun

soleil froid d’aube clignant

sur le cuivre des flèches

aveuglant les fenêtres

hauteur enivrant sans fondement

cette vue aspirant à tes yeux 

 

 

 

JANE ANGUÉ

 

 

Notice biographique

 

Après des débuts dans le domaine de l’archéologie, Jane Angué étudie le français à King’s College, à Londres, puis s’installe en France, prépare une maîtrise de Lettres Modernes, ensuite l’agrégation et un DEA en anglais. Enseignante, l’étude et la pratique du théâtre et de la poésie font partie du travail avec ses élèves. Elle écrit des textes en anglais et en français publiés dans ‘The Dawntreader’ et sur les sites de ‘incertain regard’, ‘ Le Capital des Mots’ et ‘Amethyst’. D’autres sont à paraître dans ‘Poésie/première’, ‘Arpa’ et ‘Recours au poème’.

 

 


 


 

 

 

 

Jane Angué - DR

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