Dénouement
Je m’accroche à ce fil
seul lien ténu qui subsiste
je tiens à lui intenable
je caresse
la poupée apportée par Dédale
et comme les autres filles
je la donne au pommier
c’est moi lune féconde
puis ce sera à notre tour
données au fils de
ma mère
frère-taureau
outre ce monde
il ronge sa solitude
lèche les esquilles de nos os
un champion est venu
et le pommier bourgeonne
Dédale a apporté ce fil
je l’ai donné à Thésée
en même temps que moi
rançon de toutes les jeunes filles
de ce pays maudit
je l’amène sous le linteau
du labyrinthe d’où
la bobine se déroule
entre dans l’antre
où file notre chemin
veine d’eau vive qui le suit
filet d’argent lunaire
et il ressort couvert
du sang
de mon frère
ce fil sera tissé
en robe de mariée
abandonnée
sur l’île où il m’a laissée
défaite
sous la coupe de Dionysos
les journées défilent
le vin pourpre ne console pas
du sang que j’abhorre
seule je reviens
auprès de mon arbre
où le balancement
de mon corps
fera grossir les fruits
retrouver mon Minotaure
je
m’accroche
à
ce
fil.
***
Leçon d’humilité
au cours d’une introduction à la pièce
‘Les Sorcières de Salem’ d’Arthur Miller
Au cœur de Salem, terre de terreur
frénétique, une explication s’impose
pour saisir la notion de bouc
émissaire :
Chasse aux sorcières
suspendue aux mauvaises langues
d’enfants et de jaloux, tout comme,
sans excuse, la poursuite effrénée
de rouges, voire de verts
à des années-lumière, peu éclairées ;
référence au tableau du bouc
dans le désert, abattu, pourchassé,
chargé de tous nos maux, le poids
de nos peurs, l’étau qui nous serre.
Limpide, me semble-t-il,
mais parmi
les visages ouverts, une jeune fille,
revenant soudain de ses errances
ésotériques, les yeux teintés de rêves
roses et blanches, d’évidence perplexe :
« Madame, je n’ai pas bien compris.
C’est quoi, enfin,
le bouquet mystère ? »
***
Peur du Vide
Serait-ce toi ?
création seule et unique
fiction bâtie sur socle
de mots puissants
enflés dans la résonance
d’une cathédrale puis rétrécis
dans les ombres cloîtrées
idéal érigé sur un regard
sans profondeur miroir
désir d’être délétère
sur escalier en lacis
liseron montant
sur tour ajouré
malgré la peur du vide
sans détour remplage
de papier éboulé
dernière marche suspendue
dans le froissement des airs
ni mur ni main courante
la lacune attire
l’horizon s’étend mitigé
sous nuages pressés
cachant un demain ou aucun
soleil froid d’aube clignant
sur le cuivre des flèches
aveuglant les fenêtres
hauteur enivrant sans fondement
cette vue aspirant à tes yeux
JANE ANGUÉ
Notice biographique
Après des débuts dans le domaine de l’archéologie, Jane Angué étudie le français à King’s College, à Londres, puis s’installe en France, prépare une maîtrise de Lettres Modernes, ensuite l’agrégation et un DEA en anglais. Enseignante, l’étude et la pratique du théâtre et de la poésie font partie du travail avec ses élèves. Elle écrit des textes en anglais et en français publiés dans ‘The Dawntreader’ et sur les sites de ‘incertain regard’, ‘ Le Capital des Mots’ et ‘Amethyst’. D’autres sont à paraître dans ‘Poésie/première’, ‘Arpa’ et ‘Recours au poème’.